Quand Boualem Sansal «tétanise» les journalistes français avec son charabia
Par Karim B. – Ecouter Boualem Sansal parler et «le» lire, ce n’est résolument pas la même chose. Et il n’est pas le seul dans la panoplie d’écrivains alibis algériens, marocains, tunisiens ou autres africains au service de la francophilie qui étonnent par ce grand écart entre une expression orale indigente, cacophonique et des écrits élaborés, structurés. On a eu à le constater encore une fois, ce dimanche, sur la chaîne de Vincent Bolloré qu’Edwy Plenel vient de désigner comme«fasciste» et de «xénophobe», deux qualificatifs auxquels le délégué général du CFCM, Abdallah Zekri, ajoute «islamophobe».
Il faut dire que c’est Ivan Rioufol, qui a commencé par dire son «immense admiration pour l’écrivain de langue française, l’écrivain francophone, l’écrivain algérien» qu’il a invité sur son plateau et qui a accepté bien volontiers de reporter de vingt-quatre heures son voyage en Algérie pour étaler sa science sur l’islam et les musulmans, qui était littéralement «tétanisé» en écoutant le littérateur battre la breloque. Boualem Sansal a battu tous les records d’ergotage sur CNews, mais qu’à cela ne tienne, le but étant de casser du musulman avec comme point de départ ce qu’il se passe actuellement en Iran.
«Le régime iranien est dans une phase ascendante et se consolide de jour en jour, d’autant qu’en face, les réactions sont pusillanimes, pour ne pas dire quasiment souvent complices, on laisse faire, on laisse avancer», a lancé dès l’abord l’écrivain, qui suggère aux Occidentaux d’aller à Téhéran pour en exfiltrer les femmes qui y sont menacées. Pour lui, l’islam et l’islamisme, qui ne font qu’un, «ont un boulevard devant eux». «L’islam a tétanisé le monde, a-t-il décrété, il est là et personne n’ose le combattre, alors on travaille à la périphérie, l’islamisme». Et pourquoi donc ? «Parce que c’est une religion à laquelle adhèrent un milliard huit cent mille personnes dans le monde et qui est en plein éveil, qui retrouve son énergie, qui est offensif et qui n’a peur de rien, mourir pour les gens les plus radicaux, c’est une gloire». Et de reprocher à ceux «d’en face» – qui ? – de ne pas avoir «la même détermination». L’Algérien Boualem Sansal appelle donc à une croisade. Il persiste et signe : «Pour qu’un combat soit intéressant, il faut que les deux parties soient de la même force».
Celui qui se présente comme une «caution pour le régime algérien» et qu’on introduit en France comme un second Salman Rushdie encense la société occidentale qui est une «société du juste milieu» et appelle la France à faire preuve de «fermeté» et de «souveraineté» à l’égard de ses musulmans «abominables», tout en s’interrogeant : «Pourquoi en France on parle toujours de djihadisme et d’islamisme ?» L’intellectuel se surprend alors à ouvrir les yeux aux Français sur une «erreur monumentale» qu’ils commettent sans le savoir : «L’islamisme, c’est quelque chose de marginal, le problème c’est l’islam. L’islam est une religion qui a raté, il y a quatorze siècles, son entrée dans le temps, dans le mouvement du monde et qui fait tout pour le bloquer, pour le briser. En France, on fait une différence entre islam et islamisme pour des raisons tactiques, mais le fond du problème, c’est l’islam. L’islam est là, il est sur sa voie, il n’a pas dévié d’un millimètre. Malgré toutes les répressions, que ce soit en Afghanistan, en Iran, en Algérie ou ailleurs.»
Le romancier se perd alors dans des explications embrouillées et entortillées à n’en plus finir, laissant son intervieweur bouche bée. A la question «est-ce que l’islam des Lumières existe ?», notre théologien en herbe répond : «Au cours du temps, l’islam a essayé plusieurs stratégies qui sont actuellement en mouvement. Il y a des musulmans qui pensent qu’assurer la victoire de l’islam en utilisant les moyens des Lumières, [c’est-à-dire] la démocratie, les droits, la justice, puis il y a ceux qui, comme les Frères musulmans, sont plutôt dans l’agitprop, dans les banlieues [françaises], on n’a pas besoin des Lumières, ça pourrait se faire, mais dans des millénaires, c’est trop long, et donc travaillons pour les lumpenprolétariats, c’est ce qu’on fait les Frères musulmans. Ce mouvement a été créé en 1928, un an après, [ils] étaient six millions, 30 millions. Il y a évidemment d’autres mouvements, comme le mouvement djihadiste qui a commencé en Afghanistan, puis l’Algérie.» Des rides horizontales se forment sur le font du journaliste chevronné de CNews.
L’auteur de 2084, la fin du monde, largement inspiré du livre de Michel Houellebecq, surenchérit, cherchant ses mots et ses idées à grand-peine, pivotant sur son siège en direction d’une journaliste assise à sa droite comme pour lui lancer un appel à lui envoyer une bouée de sauvetage vocabulaire. «Les islamistes, les musulmans se rendent compte qu’aller trop fort provoque des réactions aussi violentes ou peut-être plus violentes puisque les Etats ont quand même des moyens de répression très importants et donc ils sont en train d’abandonner le djihadisme, après ce qui s’est passé avec Daech et ce qui se passe actuellement avec l’EIGS, l’Etat islamique du grand Sahara, du coup, ils se rendent compte que c’est une voie de garage. Il faut l’abandonner, il faut donc revenir aux Lumières, mais ça paraît…, mais revenir à la démarche qui a donné le plus de résultats, c’est les Frères musulmans, ils sont sur le terrain, mais pas seulement, ils sont dans l’économie, dans la banque, dans la finance internationale, dans l’imprimerie, dans… parce que là aussi on voit Frères musulmans égale mosquée, non, pas du tout, c’est un Etat, les Frères musulmans, c’est un Etat mondial, ils sont plus de trente ou quarante millions aujourd’hui dans le monde, dans tous les pays, qui ont des universités, des journaux, des magazines, des… je crois que les Frères musulmans éditent plus de livres que la France.» Ivan Rioufol fronce les sourcils, mais doit mener l’entretien à son terme en faisant mine de trouver dans ce verbiage quelque trait d’esprit brillant et inattendu.
«Je pense que de nombreux musulmans [en France] ont envie de participer à…, ils se sentent coupables d’être silencieux, d’avoir cautionné tout, c’est vrai que nous les intellectuels musulmans, nous avons tout cautionné, les dictatures militaires dans nos pays, ensuite la montée de l’islamisme, enfin tout, nous avons tout cautionné d’abord parce que nous ne sommes pas nombreux, nous n’avons pas une tradition révolutionnaire comme les intellectuels français, et puis voilà, il y a cette… voilà. Et donc ils ont envie de, de… ils ont déjà conscience qu’ils représentent quelque chose, une force, ça, ils le sentent bien, encore une fois, beaucoup de musulmans aujourd’hui [ben !] participent dans le jeu politique, ils sont dans le Parti socialiste, même au Rassemblement national et… Mais en même temps, les musulmans d’Europe n’ont pas rompu le cordon ombilical avec le pays. Qui a construit les 30 000 mosquées [ici] en France ? Ben c’est le Maroc, c’est l’Algérie, c’est l’Egypte qui financent et qui font pression sur le gouvernement, il faut s’occuper de notre diaspora, [les] respecter, leur donner du travail, vous voyez, donc… Ils ont peur d’être manipulés, donc, il faudrait les aider à s’émanciper.» Un silence de cathédrale s’abat sur le plateau quelques secondes avant que le journaliste se rappelle qu’il reste encore plusieurs minutes à brûler, il faut donc en rajouter une couche au charabia de Sansal qui reprend son sprint vocal sur la petite distance qui lui restait pour continuer de nous donner le précis d’islam et de politique.
«La gauche n’est plus la gauche, la gauche a quand même une histoire et on connaît le contenu de leur idéologie. Non, là, ils sont… cette gauche nouvelle… sont dans une démarche de recrutement, de reconstitution d’une base… d’une base électorale… et c’est vrai que cette population d’émigrés (immigrés, ndlr] et des musulmans qui sont là, qui représentent quelque chose, qui ont évolué, beaucoup ont fait des études supérieures poussées et sur le plan économique aussi ils représentent une force politique, ils ont beaucoup investi, ils ont de l’argent et ils sont riches maintenant, et donc on peut être tentés de les recruter, la France Insoumise a réussi à le faire dans les banlieues, pas dans l’élite. L’élite musulmane en Europe est, je crois, de plus en plus à droite, parce qu’elle a besoin d’ordre, de stabilité, elle est conservatrice parce si ça va mal en France, [ils] seraient les premiers à perdre.» Ivan Rioufol respire. Non que son invité ait pu agencer ses phrases décousues et absconses, mais parce que l’émission est enfin bien près de finir.
Boualem Sansal laisse le meilleur pour la fin, empruntant à La Palice sa vérité : «Tant qu’on n’est pas morts, on est vivants, donc la France a quand même du ressort, surtout la France, la France est un pays révolutionnaire, il y a quand même dans ses jeunes ce ferment, donc voilà, on n’est pas morts, on est vivants et il faut espérer que – je n’ose pas dire – une union sacrée entre…, ce que Zemmour essaye par exemple de faire avec la droite et l’extrême-droite et peut-être toute une partie des révolutionnaires qui sont dans LFI ou… Il y a eu cet espoir avec les Gilets jaunes, par exemple…». Fin de l’interview. Le journaliste s’empresse de rendre le micro au présentateur qui se précipite à bride abattue vers un autre sujet.
K. B.
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