Contribution – Pas de croissance possible sans la fin des intérêts rentiers
Une contribution d’Abderrahmane Mebtoul – On devra méditer les échecs passés de la dépense publique, mal ciblée et sans contrôle, des assainissements répétés d’entreprises publiques pour plusieurs dizaines de milliards de dollars, revenues pour la majorité à la case de départ et le favoritisme pour une oligarchie rentière privée alors que le principe de base d’une économie de marché maîtrisée, avec l’importance de l’Etat régulateur, repose sur une économie productive.
Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1 100 milliards de dollars en devises entre 2000 et 2021, avec une importation de biens et services, toujours en devises, de plus de 1 050 – le solde étant les réserves de change clôturé à 44 milliards de dollars au 31 décembre 2021 – pour un taux de croissance relativement faible de 2 à 3% ? Avec un excédent de la balance commerciale, selon le Premier ministre lors de la réunion gouvernement-walis, de 17 milliards de dollars à fin 2022, le document significatif étant la balance de paiement, donc devant tenir compte de l’inflation mondiale des produits importés – biens d’équipement et biens finaux – et de la sortie de devises des services. Cela donnerait un montant largement supérieur à 50 milliards de réserves de change fin 2022.
L’Algérie doit profiter de cette hausse passagère, le FMI prévoyant une crise économique mondiale en 2023, au cas où les tensions géostratégiques persisteraient, ce qui aurait un impact sur le prix des hydrocarbures. Le taux d’emploi étant fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité, le faible taux de croissance approchant la croissance démographique risque d’accroître le chômage, en rappelant que la majorité des entreprises publiques et privées dont les PMI/PME en 2021, représentant plus de 95% du tissu économique peu concurrentiel, fonctionnent en sous-capacités. Le taux d’intégration ne dépasse pas 15%, alors qu’il faut un taux de croissance sur plusieurs années de 8 à 9% pour absorber le flux additionnel annuel de 350 000 à 400 000 emplois qui s’ajoute au taux de chômage actuel.
La cohésion sociale nécessaire est assurée actuellement par des subventions généralisées sans ciblage où, selon les prévisions pour 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions, étant prévu 1 942 milliards de dinars, 19,7% du budget de l’Etat en 2022. C’est là un dossier très complexe, mais sans maîtrise du système d’information et sans quantification de la sphère informelle, la réforme risque d’avoir des effets pervers. Aussi, comprendre la situation actuelle implique de saisir les liens dialectiques entre la production de la rente – Sonatrach et sa distribution à travers le système financier, enjeu énorme du pouvoir assis sur la rente –, réforme qui doit être couplée, pour plus de cohérence, avec celle du ministère du Commerce, responsable de nombreuses licences d’importation et autres autorisations de complaisance.
Sans sa réforme profonde autant que celle des institutions – les administrations centrale et locale – et de la justice, il serait utopique de s’attaquer à l’essence de la corruption, se limitant à des actions conjoncturelles où les mêmes causes produiront les mêmes effets de corruption si on maintient les mêmes mécanismes de régulation. Sans oublier les caisses de retraie dont le déficit cumulé dépasse les 700 milliards de dinars, fin 2021, devant combiner le système de répartition dominant et celui de la capitalisation encore embryonnaire, encourager d’autres formes de crédits, comme celui de la finance islamique et le crédit-bail plus adapté aux PMI/PME.
La réforme urgente du système financier doit toucher toutes ces structures, toutes les banques publiques notamment qui canalisent plus de 85% des crédits ayant été octroyés par le passé sans garanties réelles ; la Direction générale des impôts avec des non-recouvrements faramineux inexplicables, les seuls pénalisés étant les salariés et fonctionnaires dont la retenue est à la source ; les services des domaines qui doivent avoir un registre cadastre transparent afin d’éviter le bradage du patrimoine national ; la douane qui doit élaborer des tableaux de la valeur en temps réel, reliés aux réseaux tant nationaux qu’internationaux. Ces préconisations de la Cour des comptes, qui remontent déjà à 1982, n’ont jamais vu le jour car touchant de puissants intérêts rentiers.
A. M.
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