Borne s’interviewe dans deux médias algériens et étale son paternalisme
Par Abdelkader S. – C’est une vieille coutume chez les présidents et Premiers ministres français qui, à la veille de chaque visite en Algérie, font précéder leur déplacement d’une interview clé-en-main envoyée de Paris à deux rédactions algériennes, l’une francophone, l’autre arabophone. Le choix des supports, les mêmes jusqu’à récemment, l’un des deux se trouvant à deux doigts du dépôt de bilan, n’est pas fortuit.
Les Algériens ont donc eu droit aux justifications des positions de la France sur un certain nombre de questions qui concernent directement l’Algérie, avec une ahurissante condescendance. Les concepteurs parisiens de l’interview d’Elisabeth Borne ne s’embarrassent plus de gants pour dévoiler les ambitions françaises à travers la visite quatre fois reportée des pensionnaires de Matignon. Un des objectifs principaux du déplacement qu’effectue la cheffe de l’Exécutif ce dimanche à Alger consiste à «soutenir» les efforts de l’Algérie d’augmenter sa production de pétrole et de gaz, apprend-on. Total se préparerait donc à prendre sa part dans les richesses souterraines algériennes pour pallier, à terme, sa dépendance à l’égard des hydrocarbures russes, la France comme l’Europe ayant compris que la guerre entre elle et la Russie s’inscrit dans la durée et sera donc très longue.
Cette annonce d’Elisabeth Borne, qui rappelle celle de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius annonçant le recours de l’Algérie aux énergies non-conventionnelles, c’est-à-dire au pétrole et au gaz de schiste, fait s’écrouler comme un château de cartes le discours officiel qui prône un affranchissement de l’hégémonie culturelle française en balayant la langue de Molière au profit de l’anglais, introduit dès cette année de façon précipitée et sans réelle préparation en classes primaires. Paris pratique la vente concomitante en adjoignant aux contrats que la Première ministre et les seize membres de son gouvernement qui l’accompagnent des accords bilatéraux dans le domaine culturel, cinématographique notamment.
Pour autant, Paris ne compte pas revenir en arrière en matière de limitation drastique du nombre de visas délivrés aux Algériens. Dans son interview placée sous embargo jusqu’à ce dimanche matin, Elisabeth Borne reprend mot à mot le discours de son président, Emmanuel Macron, qui admettait à partir d’Alger que la France ouvrirait ses portes à l’élite algérienne exclusivement, mettant ainsi en pratique la politique de l’immigration sélective prônée en son temps par un de ses prédécesseurs de droite, Nicolas Sarkozy. «La délivrance des visas est une décision souveraine», a martelé la responsable française qui se rend à Alger au moment où son pays traverse une crise économique, financière et sociale rarement égalée depuis la crise pétrolière du débit des années 1970, voire la fin de la Seconde Guerre mondiale.
C’est donc en position de faiblesse que l’hôte française de l’Algérie atterrit ce dimanche à Alger. L’interview concoctée par ses services a tout l’air de servir de voile à cette réalité, dans l’espoir, sans doute, de pouvoir picorer quelques victuailles en ces temps de grande disette dans cette «puissance» aux 3 000 milliards de dette, laquelle dette est appelée à s’envoler avec le conflit ukrainien qui va en s’enlisant.
L’arrogance sans borne affichée par Elisabeth Borne dans deux supports médiatiques algériens transparaît également par le choix des sujets traités : les questions mémorielles, le Sahel et l’énergie, mais pas un mot sur la situation cataclysmique qui prévaut dans l’Hexagone, pas une question sur le soutien incompréhensible au plan illégal d’autonomie proposé par le régime de Rabat, pas une allusion aux graves atteintes quotidiennes aux droits humains par l’armée israélienne en Palestine, pas un clin d’œil sur la situation en Libye induite par l’intervention militaire française aux côtés de milices islamistes libyennes chaperonnées par l’inénarrable Bernard-Henri Lévy, pas une parenthèse sur les attaques enragées d’agents algériens au service de la DGED et de la DGSE contre l’Algérie à partir du territoire français.
A. S.
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