L’Algérie face aux nouveaux enjeux : gouverner n’est pas gérer mais prévoir

gouvernement Benabderrahmane
Le gouvernement Benabderrahmane face aux députés. PPAgency

Une contribution de Ferid Racim Chikhi – Un jour, un grand oncle me dit : «Dans le monde il existe deux catégories de personnes : celle des personnes qui ne disent rien et qui s’accommodent de tout, et l’autre composée des individus qui dénigrent croyant qu’ils critiquent et que cela fait partie de la liberté d’expression sans évaluer les conséquences de leurs propos.». Il me demanda dans laquelle je me verrai le plus… Après un petit moment de réflexion, je répondis : ni dans la première ni dans la seconde. N’existe-t-il pas une troisième parce qu’avec ces deux axes, mon libre choix est ignoré ? Il me dit : «Certainement, il y a un troisième groupe, celui composé des personnes qui font tout pour être objectives et qui tiennent compte de plusieurs facteurs tels que le temps, l’espace et les acteurs ; cependant, il arrive parfois que les liens entre les trois soient rompus.»

L’Algérie des passions et des passionnés

Que l’on soit Algérien ou non, parler de l’Algérie, c’est le faire avec passion, avec des sentiments d’appartenance ou d’intérêts directs ou indirects. Mais, ceux qui se sentent les mieux placés pour le faire sont, bien entendu, les nationaux, qu’ils vivent en Algérie ou ailleurs dans le monde. Souvent, si un étranger le fait en la dénigrant, la spontanéité, souvent assimilée à de l’impulsivité, est exprimée avec… dérision.

De nos jours, la gouvernance de l’Algérie est pointée du doigt par deux groupes bien identifiés : le premier est celui qui fait preuve d’une frustration bien incrustée dans l’esprit de ses membres et l’autre regroupe les étrangers qui ne peuvent souffrir que le pays se sorte de l’espace de crises multidimensionnelles qu’il connait depuis l’indépendance. Pourtant, à regarder les indicateurs les plus probants, il y a de quoi se réjouir et, à quelques exceptions près, il faut le reconnaitre, même s’il reste beaucoup à faire, c’est sous l’impulsion du président Tebboune que ces résultats ont été atteints.

1- Durant les décennies 1980 et 1990 et les suivantes, le pays faisait face au FMI, à la BM, et aux Clubs de Paris et de Rome qui imposaient une marche forcée pour une gestion sous leurs contrôles permanents. La dette tournait autour de 26 milliards de dollars. Le spectre de la mise en faillite était ressenti par un grand nombre d’experts algériens. En 2022, la situation a complètement changé, la dette extérieure est à peine de 6 milliards de dollars, ce qui fait du pays celui qui est le moins endetté des pays africains et arabes et même de quelques pays européens.

2- De nos jours, la solidité de l’économie est telle que les exportations hors hydrocarbures ont grimpé à plus de 900 millions de dollars et la dette publique représentait 50.7% du PIB en 2020 et, selon les projections du FMI, 59.2% du PIB en 2021 et 65.4% en 2022.

3- Mieux encore, les recettes en hydrocarbures seront d’environ 60 milliards de dollars pour 2022 et l’endettement extérieur restera faible.

4- D’un autre côté, les opérations menées depuis 2020 dans le monde du médicament ont fait que la facture pharmaceutique a été réduite de 900 000  de dollars sans répercussion majeure sur les problématiques de santé de la population. La relance du secteur de l’industrie pharmaceutique avait permis une baisse de la facture d’importation, avec une économie de 500 millions de dollars escomptée pour l’année 2021 et le maintien de ce rythme les années à venir.

La gouvernance interne prend du temps pour redémarrer

D’autres éléments d’analyses déjà explorés dans deux précédentes publications sur les effets de la gouvernance actuelle menée par le président Tebboune depuis son élection touchent, entre autres, ce qui reste à faire en la matière et, à titre indicatif, du nouvel élan que l’Algérie et la France souhaitent donner à leurs relations de partenariat, de l’organisation et de son fonctionnement.

Il arrive que la force des habitudes génère une inertie qui ralentit le processus de développement. Un travail gigantesque avec des défis multifonctionnels exige non seulement une stratégie de grande ampleur mais aussi des actions opérationnelles dans le monde de l’administration et de la justice pour sortir de l’engrenage d’un système sclérosé par le fléau bureaucratique qui empêche toute action corrective. Dans ce contexte, les gestionnaires sont toujours confrontés à quatre handicaps persistants et significatifs : l’un d’entre eux est celui de leurs compétences, souvent loin d’être en adéquation avec les exigences des postes qu’ils occupent ; le second est généré par le précédent puisqu’il bloque partiellement la machine administrative au point où apparait cette bureaucratie prégnante ; le troisième réside dans des situations d’injustice, tant administratives que sociales et le quatrième est celui de la communication institutionnelle qui peine à être redynamisée. Mais le pire est l’interventionnisme qui donne un statut d’impunité à certains qui se sentent en dessus des lois.

Un passage en force du socialisme au néolibéralisme

C’est ainsi que l’Algérie, depuis les années «1960» avec une population d’environ 45 000 000 d’habitants est passée du socialisme à un libéralisme hybride, en passant par une économie de bazar malicieusement introduite et entretenue. Elle se retrouve dans une tentative d’ajustement de son économie, en se basant sur la remise au travail des forces vives du pays, y compris celles qui sont qualifiées de «diaspora». Néanmoins, arriver à concilier les ressources humaines en Algérie et celles qui pourraient s’impliquer de l’étranger n’est pas un projet aisé et à la portée des gestionnaires actuels, sans diminuer de leurs capacités et de leurs compétences intrinsèques.

Et pour cause, le sens du labeur n’a pas été suffisamment cultivé chez les jeunes qui devraient constituer le gros de la main-d’œuvre nationale alors que le capital expérience acquis durant les décennies 1970 et 1980 se perd au lieu d’être consolidé. Prenons un indicateur spécifique à l’Algérie nouvelle : il réside dans ces milliers de véhicules qui roulent du début de la matinée à la fin de la soirée. Bientôt, ce parc automobile sera ouvert à l’importation de véhicules de moins de trois ans. Les stations d’essence affichent tout le temps complet ; cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les services de premières lignes des banques, des CCP, etc. ne s’arrêtent pas, de leur ouverture à leur fermeture. Dans une telle situation, si les sans-emplois se comptent par milliers, l’absentéisme défie toutes les règles de l’OIT. C’est peut-être dans ce bassin de main-d’œuvre qu’il faudra aller chercher le vrai potentiel.

Les effets sur la société et ses communautés

Selon les autorités de l’Etat, en ce mois d’octobre 2022, l’Algérie se veut en mode gouvernance transparente. Sur le plan économique, les problématiques liées à l’inflation telles qu’annoncées ailleurs ne semblent pas freiner l’élan impulsé par le président Tebboune. Les prix du pétrole et du gaz suivent une courbe ascendante même si, parfois, ils redescendent un tant soit peu. Les effets du Covid-19 sont jugulés malgré l’aspect psychique qui persiste au sein de la population d’une Algérie traumatisée depuis les années 1990. La régulation du commerce commence à se stabiliser et les prix débutent leur régulation, en dépit du manque de statistiques à même d’anticiper d’éventuelles réussites ou échecs. Le secteur bancaire, en dépit de quelques opérations technologiques appropriées, souffre encore d’anémie alors que l’inspection des finances, qui devrait servir de régulateur et empêcher les dépassements, peine à se réveiller.

Oui ! La diplomatie algérienne a retrouvé sa place après avoir «touché le fond», a déclaré le président Tebboune, le 24 septembre dernier, en ouvrant la rencontre gouvernement-walis. Mais qu’en est-il si les agents de l’Etat ne rendent compte qu’au président, n’y a-t-il pas un dysfonctionnement qu’il faut traiter par anticipation ? Même si le wali est le représentant du chef de l’Etat comme l’est l’ambassadeur, sur le plan hiérarchique ne dépend-il pas directement du ministre de l’Intérieur et du Premier ministre ? A présent que la ligne stratégique a été tracée par le président, ne revient-il pas au ministre de l’Intérieur et au Premier ministre de s’atteler à organiser des réunions régionales non seulement des walis mais aussi des présidents des APC ? L’idéal serait de passer de la phase stratégique supervisée par le Président à celle opérationnelle du ressort des deux précités.

Cependant, la fausse note reste la justice. L’impression que se dégage de ce secteur d’activité est que des décisions sont prises en dépit du bon sens. Pour le simple citoyen, il y a comme un manque de droiture, d’équité et même de probité qui généralement qualifient cette institution.

Des changements opératoires mais beaucoup reste à faire

Améliorer le niveau de vie du citoyen passerait, selon le président Tebboune, par «la protection des responsables et des gestionnaires contre les machinations auxquelles ils pourraient s’exposer dans l’exercice de leurs fonctions. Ils doivent s’affranchir de la peur et faire preuve d’audace dans la prise des décisions, soutenant que «l’Etat ne saurait avancer sans ses enfants». Alors, une question de bon sens est posée : qui sont ces parties qui «sèment la peur dans le cœur des responsables, car elles ne veulent pas de stabilité pour le pays » ? Le citoyen n’a-t-il pas le droit de savoir ? Ceux qui continueront de fomenter leurs complots contre l’Etat, leur mise hors d’état de nuire devra être effective et exemplaire. Verra-t-on la Cour des comptes reprendre un service de tous les temps ? Verra-t-on des contrôleurs du ministère de l’Intérieur sillonner le territoire pour soutenir les gestionnaires locaux ? etc. Verra-t-on des procédures réglementaires dictant les démarches, les balises et les directions à suivre par les fonctionnaires à tous les niveaux des institutions ? Verra-t-on les dépassements sanctionnés, selon ces mêmes procédures ?

Beaucoup soulignent, les changements des procédés de gestion à la Présidence, notamment en matière de communication et d’information et particulièrement des fuites administratives. Cette démarche sera-t-elle généralisée à toutes les organisations administratives, sachant que des «cadres» de certaines institutions jouent  les super gestionnaires désignés et «impunissables» ?

Algérie-France : après les bouderies la reprise

Pour terminer cette réflexion et au plan bilatéral, l’Algérie et la France ont une histoire commune de plus de deux siècles, meublée de peines, de pleurs, de sang, de joies, de trahison, de «boudage et de crêpage de chignon» ; les deux pays partagent un espace géographique qui les oblige à rester ensemble comme un couple qui devrait conjuguer ses efforts pour aller de l’avent plutôt que deux vieux qui se regardent comme des chiens de faïence ; des relations controversées ; des résistances et des endurances pénibles mais voici qu’une embellie se dessine à l’horizon…

La Première ministre française, Elisabeth Borne, est déjà repartie. Un des objectifs essentiels de ce déplacement se voulait être le point de départ du partenariat décidé par les deux Présidents et notamment la relance des liens bilatéraux entre les deux pays. La partie algérienne a insisté sur la reprise des travaux des comités intergouvernementaux parmi lesquels celui du dialogue stratégique. Un point fort intéressant parce qu’il décrypte le moyen et le long terme. De quoi sera-t-il question ? Des enjeux, des défis, des arrangements et, bien entendu, de dossiers dont il ne faut pas parler en public. Nous le saurons après le 10 octobre 2022.

Il est cependant incompréhensible que ni les partis politiques ni les multiples influenceurs et autres animateurs des médias des deux côtés de la Méditerranée n’abordent ces questions qui, pourtant, constituent les facteurs clés des relations bilatérales entre l’Algérie et la France. Presque tous soulignent les paramètres en lien avec l’histoire et la mémoire, sachant pertinemment que des consensus sont loin d’être réunis.

L’Algérie a besoin de se renouveler, de réapprendre à mieux anticiper et mieux planifier ses activités, le tout au service du citoyen. Cela s’appelle gouverner. Alors, espérons que des pistes seront ouvertes pour une participation réelle de toutes et de tous.

F. R. C.

Analyste Senior GERMAN

Comment (5)

    Le Chat Botté
    11 octobre 2022 - 23 h 39 min

    :gouverner n’est pas gérer mais prévoir. Vous dites;
    L’un ne va pas sans l’autre je dirais.
    On ne peut pas gouverner sans gérer et on ne peut pas gérer sans gouverner.
    Pour gouverner il faudrait un plan d’action à court teme,moyen terme et long terme.
    Pour gérer il faudrait une plate forme sur quoi assoir son plan d’action: exemple les ressources nécessaires (Humaines, Naturelles et Matériels).
    Les 2 matrices(gouvernance/gestion) nécessaires pour assoir une plate-forme de travail adéquate.
    Mais faut-il encore avoir les bonnes personnes à la bonne place.
    Placer et mettre un CHAT, qui se prend pour un lion, pour gérer un portefeuille aussi complexe n’augure rien de bon pour la continuité de sa responsabilté.

    Anonyme
    11 octobre 2022 - 18 h 36 min

    C est anticiper et prévoir et donner son bilan perso hebdomadaire , mensuel ou annuel. Est ce le cas en Algérie ?

    icialG
    11 octobre 2022 - 9 h 46 min

    Et bien ça tombe sous le sens ils ont du mal à gérer quand a prévoir pour ça il faut sortir le théorème de Pythagore

    La Bonne Gouvernance
    11 octobre 2022 - 9 h 23 min

    Sans “dénigrer” personne , la “Frustration”, c’est que , par exemple, l’Ancien Premier Ministre Ahmed BENBITOUR , une personne “raisonnable et Objective”, enfin je crois , avait déjà parlé du Problème de Gouvernance et avait même proposé des Choses qui avaient l’air censées.
    C’était très Courageux de sa part.
    Personne ne pense que ce soit Simple , mais J’espère qu’il n’a pas renoncer pour rejoindre tous les “silencieux qui s’accommodent” et les résignés.
    Ce serait dommage.

    Abou Stroff
    11 octobre 2022 - 8 h 17 min

    « Dans ce contexte, les gestionnaires sont toujours confrontés à quatre handicaps persistants et significatifs : l’un d’entre eux est celui de leurs compétences, souvent loin d’être en adéquation avec les exigences des postes qu’ils occupent ; le second est généré par le précédent puisqu’il bloque partiellement la machine administrative au point où apparaît cette bureaucratie prégnante ; le troisième réside dans des situations d’injustice, tant administratives que sociales et le quatrième est celui de la communication institutionnelle qui peine à être redynamisée. Mais le pire est l’interventionnisme qui donne un statut d’impunité à certains qui se sentent en dessus des lois. » souligne F. R. C..

    en effet, je pense que l’auteur a convenablement cerné la problématique à laquelle nous sommes confrontés et il s’agit, dans un premier temps, d’analyser les 4 handicaps mentionnés.

    1- la question des compétences ne se pose que dans un système où ces dernières sont requises pour que ce dernier puisse se reproduire, et permettre de reproduire, la domination des couches dominantes du dit système. En termes simples, la question des compétences se posent dans un système où le travail est le rapport de production dominant et la valeur sans laquelle le système ne peut point se renouveler
    question à un doro : le système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation a t il besoin des compétences visées par l’auteur?
    la réponse me semble évidente. en effet, malgré l' »incompétence » d’un nombre incalculable (voir tous ceux qui sont déjà en prison et tous ceux qui ne sont pas encore en prison) de nos augustes dirigeants, le système rentier se renouvelle, sans accroc, et se renouvellera, sans accroc, tant que les ounboub pétroliers et gaziers seront fonctionnels.
    2- la question de la « bureaucratie prégnante » est, me semble t il, inhérente au mode de fonctionnement du système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui, pour son renouvellement « fluide », n’a pas besoin de travaillleurs-producteurs mais exige la présence d’une « police » (la bureaucratie) omniprésente pour veiller à l’application des directives du « distributeur en chef » de la rente, ce dernier pouvant être le président de la république ou un de ses nombreux représentants, à l’échelle nationale ou locale.
    3- la question des situations d’injustice me semble découler du fait palpable et quantifiable que ceux qui contrôlent la distribution de la rente, contrôlent et l’Algérie et les algériens. en d’autres termes, le système, dans sa globalité ne reposant pas sur le TRAVAIL mais sur la distribution de la rente, ceux qui distribuent cette dernière ont, structurellement, plus de droits que ceux qui en reçoivent des miettes, d’où cette impression d’injustice qui, dans les faits, est tout à fait « normale » et est une caractéristique essentielle du bon fonctionnement du système rentier (le client, i. e. celui qui reçoit des miettes de rente, ne peut pas avoir les mêmes droits que celui qui distribue cette dernière, n’est ce pas ?
    4- quant à la communication institutionnelle, je pense que lorsque le téléspectateur observe que les JT de 20 heures s’ouvrent quasiment toujours sur des activités protocolaires du président de la république et sur ses soi disant directives à ses subalternes, ou sur des ministres qui tancent (ou font semblant de tancer) leurs subalternes, il (le téléspectateur) ne peut que conclure qu’il n’y a que quelques personnes qui travaillent et qu’il n’y a pas lieu, pour les algériens lambda, de retrousser leurs manches, de travailler de produire, d’innover et d’inonder le marché national et le marché mondial de leurs diverses productions.

    Moralité de l’histoire : il n’y en a aucune, à part le constat incontournable que ceux qui, au moment présent profitent des bienfaits de la rente n’ont ni intérêts objectifs, ni intérêts subjectifs à changer le système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui nous avilit et nous réduit à des tubes digestifs ambulants attendant tout d’autrui doublés de zombies décérébrés attendant la mort avant d’avoir vécu.

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