L’ex-ambassadeur de France s’acharne : «Il faut menacer les Algériens !»
Par Nabil D. – Xavier Driencourt fait, lui aussi, partie de ces hauts responsables français qui «aiment l’Algérie, mais…». Multipliant les apparitions publiques depuis la parution de son livre sur sa double expérience algérienne, l’ancien ambassadeur de France à Alger est sollicité davantage par les médias au lendemain du terrible assassinat de la petite Lola par une ressortissante algérienne, dont le visa était arrivé à expiration au moment des faits, relançant ainsi le débat sur les difficultés que les autorités françaises rencontreraient dans le dossier des expulsions des étrangers indésirables.
Interrogé par Sud Radio sur cette question, Xavier Driencourt n’a pas dévié de son jugement, maintenant sa position ferme envers l’Algérie qu’il dit pourtant porter dans son cœur. «Vous avez dit je connais bien l’Algérie, c’est exact, et j’aime beaucoup l’Algérie parce que c’est un pays très proche et, effectivement, en France, nous avons environ 10% de la population française qui a un lien avec l’Algérie», a soutenu le diplomate à la retraite, qui énumère, parmi ces Algériens établis en France, «les pieds-noirs, les harkis, ce qu’on appelait les pieds-rouges [c’est-à-dire les coopérants], le million et demi de militaires qui ont fait la guerre et puis tous ceux qui sont algériens, franco-algériens ou d’origine algérienne». «Donc, ça fait à peu près sept millions de personnes», a-t-il précisé.
«C’est le seul pays avec lequel nous avons des relations aussi étroites. Ce qui explique, à la fois, les difficultés, la proximité avec l’Algérie», a ajouté l’ancien ambassadeur connu pour son large réseau d’informateurs à Alger, avant d’expliquer les raisons qui, selon lui, rendent l’extradition des Algériens quasi impossible : «Il faut regarder d’abord les faits, et les faits, c’est que le phénomène migratoire, ce n’est d’abord pas un phénomène nouveau […]. Mais, aujourd’hui, c’est un phénomène qui est le défi majeur du XXIe siècle, avec le climat, sans doute, parce que ça concerne des populations comme les pays du Sahel, les pays du Maghreb, dont l’Algérie. Donc, ces mouvements migratoires pour ces pays, c’est une sorte de variable démographique», a-t-il dit.
«Le mouvement migratoire a souvent un rapport avec le climat, mais aussi parce que ce sont des pays jeunes, la jeunesse représente 75% de la population, il n’y a pas d’emploi pour ces jeunes, c’est une jeunesse un peu turbulente, dirons-nous, et pour ces pays, les reprendre, c’est difficile», a argumenté Xavier Driencourt, pour lequel cette situation «est difficile pour la France en raison de toutes les difficultés qu’on connaît – les CRA [Centres de rétention administrative], la jurisprudence, les recours, etc. –, mais aussi pour l’Algérie, parce qu’on ne parle pas de centaines mais de milliers de personnes». «Ramener ces gens-là en Algérie entre deux gendarmes, c’est compliqué», a-t-il ponctué, en estimant que «le droit est avec nous évidemment» et que la France «doit les reconduire en Algérie».
Ce que l’ancien ambassadeur dit attendre de l’Algérie, «c’est un engagement à coopérer avec [nous] et à établir des laissez-passer consulaires». «Il y a toute une partie en amont qui concerne la chaîne administrative française, qui est de notre ressort, mais il y a une partie sur notre territoire qui concerne l’Algérie qui doit délivrer des laissez-passer consulaires. Il faut que les autorités consulaires algériennes disent monsieur Untel est bien algérien, parce qu’il a l’accent de Ghardaïa ou de Constantine», a-t-il développé, peu convaincant. «L’Algérie refuse de reprendre ses citoyens parce que, d’abord, ça fait beaucoup de monde, c’est une population – je dis – turbulente, mais une population qui a pris goût à la vie en France», a-t-il poursuivi.
«J’ai entendu l’argument de la part des Algériens comme quoi ce sont des gens qu’on a un peu contaminés, qui sont le résultat de l’environnement français et qu’ils seront difficilement réadaptables en Algérie», a répété l’ancien collaborateur d’Alain Juppé, lorsque celui-ci était au Quai d’Orsay et que son département s’était rendu coupable de l’exécution des moines de Tibhirine dans une guerre interne aux services secrets français. «Quand vous avez passé un, deux ou trois ans à Montpellier, à Marseille ou à Paris, vous n’avez pas forcément envie de retourner à Béchar, à Biskra ou à Adrar. Je suis désolé, mais c’est un peu ça la réalité. C’est une population qu’il est difficile de réadapter en Algérie où, encore une fois, il n’y a pas forcément d’emploi pour ces gens-là, il y a une société très conservatrice, très religieuse», a essayé de justifier l’ancien ambassadeur qui s’est complètement emmêlé les pinceaux, puisque ces sans-papiers algériens dont il parle sont considérés persona non grata en France car, justement, ils refusent catégoriquement de s’intégrer et rejettent les conventions françaises au point d’être vus comme un terreau fertile pour les islamistes.
L’auteur de L’Enigme algérienne, chroniques d’une ambassade à Alger est revenu sur l’accord du 27 décembre 1968 dont il veut se servir comme une «bombe atomique», d’autant plus que, selon lui, «pour l’instant, la France n’a pas énormément besoin du gaz algérien». «Comme moyen de pression, nous avons cet accord [de 1968] qui n’est plus d’actualité. Nous avons un accord sur les passeports diplomatiques qui exonère beaucoup de gens en Algérie d’avoir une obligation de visa, il y a les inscriptions au lycée français, il y a toute une gamme de mesures, et puis nous pourrions ne pas accorder l’ouverture de nouveaux consulats algériens. J’ai lu qu’il y a deux semaines à Alger, les deux Premiers ministres se sont mis d’accord pour en ouvrir deux nouveaux en France, pour porter leur nombre à vingt. Si on ouvre des consulats, c’est pour faire le travail consulaire, dont celui des laissez-passer, j’imagine», a-t-il insisté, en appelant à «mettre fin» à ce document signé six ans après l’indépendance et à «menacer les Algériens de remettre tout à plat». «L’Algérie n’est pas prête à renégocier cet accord, en tout cas, pas quand j’y étais», a-t-il fait savoir.
«C’est un sujet extrêmement sensible et politiquement risqué, aussi bien pour les Algériens que pour les Français», a encore affirmé Xavier Driencourt, qui appuie son propos par une anecdote : «J’avais dit un jour, dans une conférence de presse, ce que je vous dis là, je me suis fait engueuler – pardonnez-moi l’expression –, j’ai été convoqué par le ministre algérien des Affaires étrangères pour avoir dit tout haut la réalité du problème, parce que j’avais dit à des journalistes voilà les difficultés concrètes que nous avons !» «La question des visas est un des sujets majeurs de notre ambassade», a-t-il confessé.
N. D.
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