L’assassinat de la jeune Justine Vayrac sera-t-il instrumentalisé par Zemmour ?
Une contribution de Khider Mesloub – Dans la nuit de samedi à dimanche, 22-23 octobre 2022, une jeune fille âgée de 20 ans, Justine Vayrac, maman d’un petit garçon de deux ans, après une soirée passée dans une discothèque de Brive-la-Gaillarde, en France, avait disparu. Mardi 25 octobre, sur le fondement de nombreux éléments, un jeune homme, avec qui elle avait passé une partie de la soirée, a été interpellé et placé en garde à vue après la découverte de traces de sang dans sa voiture et du sac à main de la disparue, contenant des effets personnels, découvert calciné à proximité du domicile du suspect. Dans les dernières heures de sa garde à vue, avant son déferrement devant le juge, ce jeune homme est passé aux aveux. En effet, Lucas L., exploitant agricole de 21 ans et principal suspect, a reconnu avoir séquestré, violé, tué la jeune fille, puis enterré son corps dans un bois. Le suspect, Lucas L. a été mis en examen pour meurtre, séquestration et viol. Il a été placé en détention provisoire le jeudi 27 octobre.
Cet atroce homicide intervient quelques jours après le meurtre de Lola, cette collégienne tuée par Dahbia B., une jeune Algérienne. On se souvient que cet horrible meurtre avait défrayé la chronique et marqué les esprits. En raison de la nationalité algérienne de l’auteure présumée des faits, en situation irrégulière, par ailleurs sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français depuis le 21 août dernier, ce dramatique fait divers avait été outrancièrement instrumentalisé par certains dirigeants politiques français, notamment Eric Zemmour. Ce meurtre avait donné lieu à un déchaînement de haine anti-immigration et anti-Algérien, à une instrumentalisation xénophobe de la part de l’extrême droite.
Dans le même esprit de ses coutumiers amalgames établis entre immigration et insécurité (et désormais immigration et crimes), l’ancien candidat à la présidentielle avait dénoncé un «francocide», terme inventé pour qualifier le meurtre d’un citoyen français commis par un étranger. Cette fantasmagorique théorie objectivée par le néologique «francocide», nouveau concept de l’extrême droite, véhicule l’idée selon laquelle il existerait un racisme (homicidaire) anti-Français entretenu par les Maghrébins.
Comme à chaque fois, sur fond de critiques de l’immigration et d’obsessions identitaires, les sympathisants d’Eric Zemmour s’étaient activement mobilisés sur les réseaux sociaux. Cette offensive numérique avait donné lieu au lancement de l’hashtag #manifpourlola, avec la volonté de le faire monter, ainsi que l’achat de noms de domaine, JusticePourLola.fr et ManifPourLola.fr. A l’appel de l’institut pour la justice, think tank d’extrême droite, un rassemblement avait été organisé à Paris. A la place Denfert-Rochereau, en présence d’Eric Zemmour, plusieurs centaines de Franciliens s’étaient rassemblés sous une banderole sur laquelle était inscrite «Elus, vous rendrez des comptes». Les participants, au cri de «On est chez nous !» et «Migrants assassins, politiques complices !» avaient également accusé le gouvernement d’être en partie responsable de la mort de Lola. D’autres défilés de groupuscules identitaires avaient été organisés à Lyon, Rennes et Strasbourg.
Avec son esprit vindicatif qui le caractérise contre la principale suspecte du meurtre de Lola, l’Algérienne Dahbia B, mise en examen et écrouée, Zemmour ira jusqu’à indiquer sur BFMTV qu’il ne serait «pas choqué» d’une peine de mort appliquée contre la jeune Algérienne, Dahbia B. «La peine de mort ne me choque pas pour un personnage pareil», avait déclaré le leader du parti Reconquête, ce dealer d’idées racistes. Autrement dit, il est favorable à l’«assassinat judiciaire» de l’Algérienne Dahbia B., perpétré par un bourreau français assermenté.
Incapables de remporter la moindre victoire sur le terrain politique, Eric Zemmour et ses partisans, ces profiteurs de crime, à l’instar des profiteurs de guerre occidentaux actuellement en œuvre à la faveur du conflit ukrainien, se rabattent sur les faits divers qu’ils instrumentalisent avec cynisme.
Le meurtre de Justine Vayrac par Lucas L., jeune citoyen français, donnera-t-il lieu à la même instrumentalisation politique par la classe politique française, notamment sa frange extrémiste, le parti Reconquête d’Eric Zemmour ? A la même hystérie inquisitoriale médiatique ? Aux mêmes furies et haines vengeresses, entendues après l’arrestation de Dahbia B. ? Aux mêmes rassemblements haineux dans de nombreuses villes de France ? Zemmour qualifiera-t-il ce barbare meurtre de féminicide, de francocide, étant entendu qu’il s’agit d’une femme, qui est plus française, tuée par un homme français ? Ira-t-il jusqu’à se fendre d’un semblable communiqué rédigé sur son tweet au lendemain du meurtre de Lola : «Retrouvée dans une malle égorgée par des barbares, Lola n’avait que 12 ans… Mes pensées à ses parents. Pour eux et pour Lola, justice devra être rendue» ? S’emparera-t-il de ce fait divers meurtrier pour dénoncer le «silence» et le «laxisme» du gouvernement ?
Quant au Rassemblement national, le parti de Marine Le Pen, pour honorer la mémoire de Justine Vayrac tuée par Lucas L., un exploitant agricole français, observera-t-il une minute de silence ou un silence honteux, pour ne pas devoir se rappeler à cette glauque réalité gauloise, assurément pas glorieuse pour la France : «87% des crimes sont commis par des Français, c’est-à-dire par des personnes de nationalité française n’ayant pas d’ascendance étrangère. Donc par des blonds aux yeux bleus» ? (1)
Le présumé meurtrier, Lucas L., est un exploitant agricole. Eric Zemmour, spécialiste des amalgames, préjugés et extrapolations démentiels (n’a-t-il pas accusé tous les étudiants algériens établis en France d’être tous des criminels (2), fustigera-t-il la corporation agricole ? Rédigera-t-il un tweet dénonçant la dangerosité des exploitants agricoles ? Exigera-t-il du gouvernement une surveillance accrue de l’ensemble des exploitants agricoles pour protéger les «blondes aux yeux bleus» de ces bouseux «prédateurs sexuels», «potentiels meurtriers» ? Avec la même fustigation véhémente et démente ordinairement réservée aux immigrés, accusés irrationnellement de propager l’insécurité et le crime, Zemmour réclamera-t-il une restriction de délivrance des permis d’exploitation agricole pour endiguer le phénomène des homicides perpétrés par les exploitants agricoles ? Réclamera-t-il leur expulsion des terres agricoles car, comme tout un chacun le sait, avec leurs rustres mœurs incompatibles avec l’urbaine mentalité française, ces exploitants agricoles menacent la sécurité des citoyens et la vie des «blondes aux yeux bleus» ?
Initiera-t-il une campagne hashtag #ManifPourJustine, avec la volonté de le faire monter, ainsi que l’achat de noms de domaine, JusticePourJustine.fr et ManifPourJustine.fr ?
K. M.
1- Zemmour accuse les étudiants algériens en France d’être tous des criminels, Algeriepatriotique, 20 octobre 2022.
2- Idem
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