Des paradigmes historiques occidentalistes
Une contribution de Khider Mesloub – Dans notre contribution intitulée «La mentalité de colonisé vaut-elle mieux que l’esprit harki ?», publiée dans Algeriepatriotique le 8 septembre 2022, je m’interrogeais sur la congruence cognitive et intellectuelle entre ces deux formes d’inclination politique, prédisposition comportementale, habitus culturel. Voici, en résumé, ce que j’avais écrit : «Il est communément admis que les ressentiments nourris par les Algériens à l’encontre des harkis sont inversement proportionnels à ceux qu’ils réservent à l’ancienne puissance colonialiste française (…). Ce traitement de faveur, accompli avec ferveur, réservé à l’ancien colon français ne peut pas être expliqué autrement que par la perpétuation de cette mentalité de colonisé théorisée par Franz Fanon, pour qui la servitude volontaire due à son ancien maître demeure, en dépit d’une formelle indépendance, toujours ancrée dans la psyché de l’affranchi. L’oppression opprime, avait-il écrit. L’intériorisation de l’oppression se pérennise même au-delà de l’affranchissement du colonisé formellement obtenu. Et la subordination témoignée au maître s’insinue encore dans l’attitude toute de soumission du colonisé, par-delà le contexte colonial. Cet esprit d’asservissement est l’expression d’une mentalité de pauvre, corollaire d’une pauvreté mentale. (…) Comment pourrait-on analyser cette complaisante commisération accordée à la France, sinon par ce complexe d’infériorité toujours vivace parmi les Algériens, en dépit de leurs proclamations de foi indépendantistes crânement exhibées. (…) Cela s’apparente à un syndrome de Stockholm néocolonial où la vénération portée par le colonisé à son bourreau devient un élément constitutif d’une relation fondée sur la subordination, cristallisée par l’adhésion à la pensée dominante du colon, par l’identification aux représentations idéologiques de l’ancienne puissance coloniale matérialisées par l’adoption servile de ses valeurs, ses codes linguistiques et culturels, voire ses modèles vestimentaires, ses pires travers politiques et économiques, notamment son despotisme larvé et son libéralisme débridé.» Voire son idéologie nauséabonde belliciste. Sa mémoire historique criminelle.
Les paradigmes historiques néocoloniaux sont répandus par l’ennemi – et de l’Algérie et de l’humanité. En l’espèce, par la France impérialiste.
En affirmant que «la doxa historique française réfute toute aide apportée par les figures du mouvement national et le peuple algérien à la réussite de cette opération», cherche-t-on à diffamer le Mouvement nationaliste algérien en prétendant qu’il s’était militairement enrôlé sous le drapeau colonial, lorsqu’on admet que le Mouvement national algérien était déjà engagé dans la voie révolutionnaire de la libération de l’Algérie du joug colonial de la France ? Cette preuve nous est administrée par la rédaction du Manifeste de 21 pages, véritable «document représentant une synthèse socio-historique et un appel sans ambiguïté aux armes pour libérer la nation du joug colonial». Document par ailleurs adressé par Ferhat Abbas à Robert Murphy en février 1943.
Aussi, contrairement à ce qui a été affirmé, le Mouvement nationaliste algérien ne s’est jamais enrôlé sous le drapeau de la France coloniale pour participer à l’effort de guerre impérialiste au cours de la Seconde Boucherie mondiale. Tout panégyrique glorifiant cette sombre époque marquée par la guerre totale génocidaire, insinuant que le Mouvement national algérien se serait volontairement engagé au service de la France en qualité de supplétifs de l’armée coloniale pour combattre le camp des forces de l’Axe, sacrifier sa vie pour la libération de la France, est condamnable.
Quand bien même il y eut quelques Algériens mobilisés (de force) durant cette boucherie mondiale, il n’y a aucune fierté à tirer de cette participation mortifère à la barbarie guerrière internationale. Ces Algériens enrôlés par les troupes coloniales françaises, l’Algérie contemporaine indépendante n’a ni à les blâmer, ni à les honorer. Car ce fut une guerre impérialiste. Et, l’Algérie, étatiquement inexistante à cette époque, n’avait donc pas participé à ce carnage mondial. Aussi, contrairement à ce qui pourrait être suggéré, l’Algérie n’a pas à écrire ou réécrire cette sombre page de l’histoire du débarquement anglo-américain, supposément occultée par la France impérialiste ingrate. Le peuple algérien ne doit pas être associé à cette seconde boucherie européenne (mondiale). Ni donc être mêlée à la commémoration de cette barbarie guerrière.
Car, au cours de cette Seconde Guerre mondiale, au vrai, contrairement à ce que laisse entendre la grille de lecture occidentaliste, il n’y avait aucun camp à défendre. Ni celui du camp impérialiste formé par les «Alliés», ni celui des forces de l’Axe. En effet, la Seconde Guerre mondiale, tout comme la Première, a été une guerre impérialiste, mettant aux prises des brigands impérialistes. Le génocide de 60 millions de personnes, d’origines nationales et d’obédiences religieuses diverses (dont de malheureux Algériens emportés pour une cause étrangère, mensongère : défense de la démocratie ; alors que la France piétinait les droits nationaux du peuple algérien par son occupation coloniale), est venu dramatiquement confirmer l’essence génocidaire du capitalisme, signer sa faillite historique.
Pour la bourgeoisie occidentale, il est idéologiquement crucial d’endoctriner la conscience des générations nouvelles avec le narratif hagiographique de cette Seconde Guerre mondiale, décrit comme le combat du bien (incarné par le camp démocratique) contre le mal (incarné par le camp fasciste). Par cette mystification historique, la bourgeoisie occidentale œuvre à exonérer la responsabilité du capitalisme (intrinsèquement belligène) dans la cause du déclenchement de ce carnage mondial, pour l’attribuer exclusivement aux seuls régimes totalitaires, présentés comme les ennemis de la démocratie (comme elle le fait actuellement à la faveur de la guerre en Ukraine).
C’est le système capitaliste comme un tout, incarné par tous les dirigeants à la tête de l’Etat de tous les pays belligérants, qui est responsable de la Seconde Guerre mondiale. L’humble humanité opprimée, notamment algérienne, a sa conscience tranquille. Ses mains sont maculées d’innocence. Pour la majorité de l’humanité, en particulier sa frange longtemps opprimée (les peuples du continent africain, du Moyen-Orient, du Maghreb), sa mémoire porte encore les stigmates de l’esclavage et du colonialisme infligés à ses aïeux par l’Occident civilisé et démocratique jusqu’à l’orée des années 1960, notamment pour l’Algérie meurtrie par 132 ans d’asservissement colonial opéré par la France «démocratique», pays des droits de l’Homme (Blanc), notamment durant la Seconde Guerre mondiale. C’est la même France qui enrôle de force des Algériens pour défendre la «démocratie» qui perpétrera le 8 mai 1945 le massacre de masse de Sétif, Guelma et Kherrata.
K. M.
Fils de moudjahid
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