Tabou : peut-on octroyer la nationalité aux Israéliens d’origine algérienne (II)
Une contribution de Hocine-Nasser Bouabsa – Dans sa contribution publiée dans Algeriepatriotique en date du 4 novembre, Khider Mesloub s’est montré convaincu – comme l’auteur de la présente contribution – que beaucoup de juifs d’origine algérienne sont issus de tribus berbères qui, grâce au prosélytisme de juifs venus d’Orient, se sont convertis au judaïsme, comme ils se sont convertis en grand nombre, plus tard, au christianisme et à l’islam.
C’est au nom de leur algérianité génétique qu’il appelle les autorités algériennes à prendre une «décision révolutionnaire, en guise de soutien au peuple palestinien», pour, d’après lui, «torpiller l’idéologie criminelle sioniste, faire imploser de l’intérieur la nation factice israélienne en affirmant le substrat algérien des citoyens israéliens d’origine algérienne, dévoyés par le sionisme». Ceci permettrait, selon lui, de les arracher à cette «prison des peuples» raciste et de «les libérer du sionisme mortifère». Pour cela, il suggère de les «inviter à regagner leur mère patrie, après avoir consenti à rompre avec le sionisme, c’est-à-dire Israël. Ils bénéficieront de facto de la nationalité algérienne».
Le mérite d’avoir brisé un tabou
Tout d’abord, reconnaissons à Khider Mesloub le mérite d’avoir brisé un tabou en soulevant en face d’un large lectorat majoritairement algérien, un problème épineux, que j’ai moi-même soulevé il y a plusieurs années dans un cadre plus restreint, à l’occasion d’une discussion en Allemagne sur le droit légitime des Palestiniens à retourner dans leurs terres occupées : quel destin pour les millions de juifs qui ont émigré vers Israël ou qui y sont nés, y ont grandi et vieilli ?. Une question que se posent jusque-là très peu d’Arabes et de musulmans ou généralement les soutiens palestiniens. Probablement parce que ces derniers sont considérés comme victimes d’une population, elle-même auparavant victime, mais plus tard devenue bourreau.
C’est une question complexe et explosive, mais elle nécessite et mérite d’être débattue, comme elle le fut pendant la Guerre de libération algérienne à propos des Français d’Algérie et pendant les années de combats de l’ANC en Afrique du Sud à propos des Boers. Mais qui, étrangement, fut presque tue concernant les colons et migrants européens d’Amérique et d’Australie. Probablement parce que les Amérindiens et les aborigènes étaient tellement affaiblis ou même presque décimés qu’ils n’avaient plus les ressources suffisantes pour capter l’attention et la sympathie des mouvements humanistes et progressistes qui les auraient aidés à juste titre à réclamer justice morale et réparation matérielle.
Juifs d’origine algérienne, mais surtout français
Pour résoudre la problématique du «destin des Israéliens juifs en cas du retour des Palestiniens», Khider Mesloub propose indirectement une solution globale – mais en la plaçant d’abord dans le contexte spécifiquement algérien – qui risque de mettre en rage non seulement les sionistes zélés, mais aussi tous les ultra-nationalistes et tous les intégristes à travers le monde. Cette solution prévoit le retour des juifs israéliens dans leur pays d’origine ou celui de leurs parents. Sa proposition est-elle juste, durable, réaliste et faisable ? Pour y répondre, procédons en deux étapes, en commençant par le cas spécifique des Israéliens originaires d’Algérie, sujet de ma contribution.
Peu importe qu’ils soient les descendants de migrants israélites venus des terres de Canaan, les descendants de tribus berbères autochtones converties au judaïsme, ou les descendants de juifs sépharades qui ont trouvé refuges chez nous après avoir fui les massacres d’Isabelle d’Aragon, les juifs d’Algérie étaient considérés comme algériens à part entière, malgré la dhimma [régime juridique auquel sont soumis en terre d’islam les non-musulmans] qui leur était imposée et qui peut être assimilée à la zakat que les musulmans versaient aussi. En 1870, le schisme est provoqué par le fameux décret Crémieux qui leur octroya la nationalité française.
C’est donc en qualité de citoyens français que les juifs d’origine algérienne ont vécu en Algérie de 1870 à 1962, avant de la quitter massivement après son indépendance, pour s’installer presque tous – ils étaient environ 150 000 – en France, au même titre que les pieds-noirs européens et les harkis algériens, collaborateurs de l’armée française contre leur propre peuple. Depuis, leur statut communautaire n’a pas changé ; ils sont français et ils le resteront probablement pour longtemps.
L’algérianité doit être méritée et non héritée par le sang
Malgré la réticence d’une partie des leaders algériens, les Accords d’Evian permettaient à chacun de faire son choix : opter pour la nationalité du nouvel Etat algérien souverain ou conserver la nationalité française. A l’exception d’une très petite minorité qui ne dépasse pas 2 000, ils optèrent une troisième fois – après 1870 et 1943 – massivement pour la France en 1962. Pour les Algériens restés fidèles à leur patrie, c’est la trahison de trop. Dans les us éthiques universels, un tel acte assumé et répété ôte à son auteur tout droit moral de réintégrer un jour la communauté qu’il a trahie. L’Algérie indépendante a agi dans le cadre de ces us universels et a cimenté ce paradigme dans sa législation.
Au même titre que les harkis algériens, les juifs d’origine algérienne ont répudié volontairement et consciemment leur algérianité et leur pays d’origine, et ont, par conséquent, perdu tout droit que cette terre leur doit. L’Algérie algérienne est, en effet, le résultat du sacrifice de plusieurs millions de ses enfants, de plusieurs révoltes et d’une révolution exceptionnelle dans l’histoire moderne, menée sous le leadership d’hommes exceptionnels. Avec autant de sang versé par ses martyrs pour la ressusciter, l’algérianité doit être méritée. Ceci fait partie de l’alliance et du serment entre les générations.
Traitres au même titre que les harkis musulmans
Témoin d’une vérité amère et regrettable qu’elle n’a certainement pas voulue, la collectivité nationale algérienne garde toujours en mémoire que ses ex-patriotes de confession israélite ont soutenu le système colonial responsable de la mort de plusieurs millions d’Algériens. Pire, certains d’entre eux – à l’image de Gaston Ghrenassia, alias Enrico Macias – ont même combattu la Révolution glorieuse du 1er Novembre 1954, qui est la matrice fondatrice de l’Algérie indépendante. Leur bannissement de la collectivité nationale n’est pas dû à des considérations religieuses ou raciales, mais à leur engagement à côté du colonialisme prédateur. Ils partagent, à ce titre, le même sort des harkis, les autres traitres algériens de confession musulmane.
En dépit de tout cela, Khider Mesloub, en antisioniste convaincu, propose pour le bien des Palestiniens, de passer l’éponge et d’opter pour le pardon en «invitant» les Israéliens d’origine algérienne à «regagner la mère patrie», l’Algérie, «afin de les extirper de l’influence du mouvement sioniste».
C’est, certes, une attitude noble, mais ne devrait-on pas plutôt, pour les raisons citées ci-dessus, les inviter à regagner leur vraie mère patrie, la France, d’autant plus que leur très grande majorité possède en sus de la nationalité israélienne, aussi celle de la France ? Ils se sentiraient certainement plus à l’aise dans un environnement judéo-chrétien que dans un pays musulman conservateur comme l’Algérie, où ils devraient fournir un effort titanesque pour se faire pardonner et s’intégrer.
Seule une très petite minorité a migré vers Israël
Retour en Algérie ou en France ? Cette question paraît, dans un premier stade, secondaire. Une autre question plus importante s’impose : supposons que tous les Israéliens d’origine algérienne seraient prêts à suivre l’appel de l’Alyah (ou retour) en sens inverse – comme le préconise Khider Mesloub –, est-ce que ceci serait suffisant pour saper ou même affaiblir le sionisme ? La réponse est catégorique : non !
En effet et comme je l’ai écrit plus haut, étant français à part entière – ce qui n’était pas le cas pour les juifs d’origine marocaine –, la très grande majorité des juifs algériens a préféré s’installer en France. Seule une très petite minorité continua son périple vers Israël ou y émigra plus tard. Ce qui poussa, d’ailleurs, les sionistes fanatiques à les accuser de tourner le dos au «nouveau foyer national juif». A ce sujet, reconnaissons aux juifs d’origine algérienne leur faible réceptivité à la propagande sioniste en comparaison avec les juifs d’Europe de l’Est, du Maroc ou du Moyen-Orient. Certes, ils expriment en France leur solidarité avec Israël, mais celle-ci reste néanmoins nuancée et ambivalente – malgré la ferveur nauséabonde d’un Bernard-Henri Levy qui, comme ses acolytes de l’intellectualisme hypocrite et mensonger des salons parisiens, est rémunéré par le capitalisme sauvage pour influencer le citoyen français et surtout juif, pour le rendre docile et réceptif aux thèses prédatrices du sionisme. Pour être équitable et ne pas stigmatiser injustement le mouvement sioniste, j’ajouterai que ces méthodes de caporalisation et de phagocytage des élites ne sont pas exclusives à ce mouvement, mais sont monnaie courante chez tous les monopolistes de capitaux de tout genre à l’échelle mondiale, inclus ceux de la Péninsule arabe et ceux des loges et des sociétés secrètes.
En guise de comparaison, en 2020, le nombre de juifs français – dont un nombre important est d’origine algérienne – qui ont émigré vers Israël fut estimé à environ 2 100, alors que ceux venant de Russie dépassaient 8 500. Ces statistiques récentes reflètent en général le nombre de Franco-Israéliens qui ne dépasse pas les 200 000 sur une population israélienne juive estimée à environ 8 millions d’habitants et dont environ 30% (environ 2,8 millions) sont originaires de l’ex-URSS et surtout de Russie. En tout et pour tout, le nombre d’Israéliens originaires d’Algérie ne devrait pas dépasser 50 000, selon mes propres estimations. Comparé à ceux qui ont émigré du Maroc et qui sont au nombre maintenant d’environ 800 000 (10% de la population juive), leur chiffre paraît très négligeable.
Ressusciter les Accords d’Oslo
L’Alyah en sens inverse que propose Khider Mesloub aux Israéliens d’origine algérienne pour saper les fondements du sionisme n’aurait donc aucun effet, vu le nombre restreint de cette communauté israélienne, même s’ils l’acceptaient tous, en contrepartie d’avantages à négocier. Pour qu’elle soit efficiente, cette Alyah doit concerner donc surtout les Israéliens originaires des pays est-européens et particulièrement de Russie, du Maroc et du Proche-Orient, sachant qu’une telle démarche paraît plutôt utopique. Il faut donc ébaucher une solution alternative. Pour être durable, celle-ci doit être au préalable humaniste, réaliste et faisable. Une telle solution ne peut, à mon avis, être concrétisée que sur la base d’une coexistence des deux communautés arabe et juive, suivant le modèle sud-africain.
Le contour d’une telle solution fut déjà dessiné dans le cadre des Accords d’Oslo, grâce à la contribution exceptionnelle de feu Yitzhak Rabin, paix à son âme, assassiné pour barrer la route à une pacification de la région. Presque trente ans après sa mort, le temps est venu pour les ressusciter, en dépit de la volonté des va-t-en-guerre de tout bord de faire perdurer ce conflit qui ruine tous les peuples de la région et les empêche de goûter à la paix et au progrès humains.
Ce sera le sujet d’une de mes prochaines contributions.
H.-N. B.
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