La racine du mal
Par Abderrahmane Mebtoul – Le cancer de la corruption démobilise la société par une méfiance généralisée et accentue le divorce Etat-citoyens. Le combat contre la corruption, pour son efficacité doit reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents, en fait une bonne gouvernance. Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent certains secteurs publics et privés, relatés chaque jour par la presse nationale, dépassent souvent l’entendement humain du fait de leur ampleur, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d’innocence afin d’éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles.
Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l’Etat censés contrôler les deniers publics et, surtout, le manque de cohérence entre les différentes structures de contrôle. Cela dénote l’urgence de mécanismes de contrôle transparents qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent, renvoyant à plus de liberté, de moralité des institutions et de démocratie non plaquée selon les schémas occidentaux mais tenant compte des riches anthropologies culturelles de chaque nation (voir A. Sen, indien professeur à Harvard prix Nobel d’économie).
Si l’on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises publiques qui accaparent une partie importante du financement public, un assainissement des entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public, selon un rapport du Premier ministère, près de 250 milliards de dollars ces trente dernières années, un véritable gouffre financier, il ne faut jamais oublier les détournements de certains opérateurs privés entre 2000-2020 relatés par la presse nationale et la mauvaise gestion de l’administration et les services collectifs, gérés selon des méthodes du début du XXIe siècle, ignorant les règles de la rationalisation des choix budgétaires.
S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis sur le prix de revient des différents ministères et des wilayas et APC, de nos ambassades (car que font nos ambassades pour favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ? A ce titre, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis.
Il semble bien qu’à travers toutes les lois de finances, l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien que certaines dispositions encourageant l’entreprise existent. Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien, tant salarial que celui de la protection sociale, est diffus et, dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine.
Ce sont la mauvaise gestion et la corruption qui expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques, et le contrôle le plus efficace passe par une plus grande démocratisation et, nécessairement, par une lutte contre ce cancer, la bureaucratisation. Le bureau, comme l’a montré le grand sociologue Max Weber, est nécessaire mais devant être au service de la société, non s’ériger en terrorisme bureaucratique qui enfante la corruption et la sphère informelle qui contrôle plus de 45/50% de la superficie économique (entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars, selon le président de la République), soit entre 33% et 45% de la masse monétaire en circulation, avec une intermédiation financière informelle réduisant la politique financière de l’Etat. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner.
La corruption est également favorisée par les produits subventionnés, la distorsion de la cotation du dinar par rapport aux pays voisins, le trafic aux frontières lié à la cotation du dinar sur le marché parallèle. La procédure est simple : je vous achète 1 euro, vous me facturez 1,20 ou 1,50 euros et on partage et comme la différence avec le marché parallèle est de 50%, il y a encore une rente au niveau du marché intérieur où, souvent, le prix final s’aligne pour les produits importés sur le marché parallèle, excepté les produits subventionnés.
Cela pose la problématique de la réforme bancaire, lieu de distribution de la rente, qui doit toucher la nature du système et pas seulement la rapidité de l’intermédiation financière par la numérisation (aspect purement technique) qui, paradoxalement, pourrait faciliter des détournements plus rapidement si l’on ne s’attaque pas à la racine du mal.
A. M.
Comment (10)