Ni l’arabe ni le français ne sont la cause de la destruction de l’école algérienne
Par Khider Mesloub – «Autrefois, les illettrés étaient ceux qui n’allaient pas à l’école. Aujourd’hui, ce sont ceux qui y vont» (Paul Guth). Le système éducatif algérien alimente beaucoup de débats et surtout se débat dans une crise qu’aucun programme politique ne peut restaurer. Et pour cause : au menu de l’instruction manque l’essentiel : l’appétence intellectuelle, par manque de goût à la vie, généré par le climat social dépressif et l’environnement économique récessif.
L’école algérienne souffre d’anémie cérébrale, d’une forme d’anorexie pédagogique caractérisée par une insuffisance d’irrigation intellectuelle des étudiants, provoquée par l’inappétence scientifique induite par un affaiblissement des facultés d’apprentissage des élèves. Des élèves néanmoins abondamment gavés de programmes scolaires salafisés, une espèce de bouillie didactique indigeste et faisandée, importée des pays du Golfe, ces contingentes richissimes nations féodales, bâties sur un désert intellectuel où ne pousse jamais un brin d’herbe réflexif, encore moins un Arbre du savoir.
Une chose est sûre : le système éducatif algérien ne permet ni d’étancher la soif de connaissances, ni de nourrir à sa faim un jeune Algérien au moyen d’un travail jamais décroché à l’issue de ses études. Car en Algérie le travail est une denrée rare. En revanche, les denrées importées sont abondantes (du moins, jusqu’à une date récente car, depuis quelques années, l’assèchement des revenus pétroliers a tari la source des importations), financées par une économie rentière fondée sur la manne pétrolière.
Manifestement, l’Algérie, faute d’avoir de grandes idées pour développer son économie, dispose de raffineries de pétrole pour éviter de penser son développement. A cet égard, il ne faut pas oublier de souligner que l’économie algérienne repose sur du sable mouvant. Et son école est bâtie sur un désert pédagogique. Un système éducatif au sein duquel la programmation de la stérilisation du savoir le dispute à la castration des esprits des écoliers algériens. Une école convertie en caserne idéologique chargée de l’enrégimentement de la pensée, enrôlée au service des successifs régimes monolithiques vivant, depuis l’indépendance, de l’instrumentalisation mémorielle de la glorieuse Révolution de Novembre 1954, secondé, sur le versant religieux, par les mercenaires salafistes de l’enseignement, ces «prophesseurs» islamistes, véritables prophètes de l’abêtissement, missionnés pour endoctriner les élèves algériens. Ces barbus se prennent pour des sages. Or, comme le dit un proverbe arménien : «Si derrière toute barbe il y avait de la sagesse, les chèvres seraient toutes prophètes.» Ces deux entités, le régime monolithique et les islamistes, ont fait de l’ignorance une vertu, et de la crétinisation des écoliers algériens leur programme pédagogique.
Tout le monde s’accorde pour admettre la dégradation avancée du système éducatif algérien. Cependant, nombreux sont ceux qui incriminent explicitement l’enseignement en arabe, rendu responsable de l’échec scolaire. La langue arabe serait coupable, selon les thuriféraires de la francophonie, d’avoir favorisé le sous-développement économique de l’Algérie. D’aucuns affirment qu’avec le maintien du français comme langue principale d’enseignement, l’Algérie serait devenue un pays économiquement développé, hautement technologique. Voilà une allégation totalement fantaisiste, comme on va le démontrer ci-dessous.
La langue arabe n’est nullement responsable de l’échec du système éducatif algérien. C’est l’intrusion tentaculaire et totalitaire de la religion islamique dans l’école algérienne qui a perverti la mission pédagogique de l’Education nationale (comme on le démontrera dans notre prochaine contribution).
Dans les mêmes conditions d’envahissement de la religion islamique belliqueuse et inquisitoriale telle qu’elle s’est implantée depuis les années 1970, même si l’enseignement avait continué à être dispensé majoritairement ou exclusivement en français, le résultat aurait été identique. On aurait connu et l’islamisme et l’échec scolaire, aggravés par le sous-développement économique permanent.
Pour preuve : la Turquie, longtemps parangon de la modernité, utilise l’alphabet latin pour l’écriture de sa langue, et jamais la langue arabe. Or, depuis plusieurs décennies, elle est également infectée par l’islamisme, contaminée par la bigoterie, corrompue par la pensée archaïque, travaillée par la régression sociale et intellectuelle, frappée par la récession, menacée de déclin, après avoir vécu un âge d’or de la rationalité introduite par la Révolution d’Atatürk.
A contrario, la langue hébraïque nous administre la preuve de la primauté de l’économie sur les gesticulations politiques et artifices académiques linguistiques. L’hébreu fut des siècles durant la langue rituelle et liturgique de la religion juive.
La langue hébraïque était devenue une langue exclusivement religieuse utilisée pour le culte, quasiment en voie de disparition. Cependant, depuis la création de l’Etat colonial d’Israël, grâce au développement prodigieux de son économie, l’hébreu a su se moderniser au point de se hisser en langue scientifique.
C’est la formidable puissance de l’économie qui a permis d’accomplir cette révolution linguistique. Aucun décret ni loi constitutionnelle ne peuvent transformer une langue «domestique» ou «morte» en langue dynamique et scientifique. Aucune réforme ne peut révolutionner une langue sans transformation radicale de la société, sans modernisation de l’économie.
Sans conteste, la langue, en fonction de son contenu philosophique et politique et des forces économiques qui la portent, peut se révéler réactionnaire ou révolutionnaire. Il y a des Algériens intégralement arabisants, pourtant extrêmement cultivés et politiquement révolutionnaires. Comme il existe des Algériens francophones, pourtant dramatiquement incultes et politiquement réactionnaires.
La langue arabe est victime et de l’instrumentalisation opérée par les islamistes qui l’ont dégradée en un exclusif idiome religieux inquisitorial et belliqueux, et de l’incurie du pouvoir monolithique algérien qui lui a amputé ses capacités d’expression scientifique évolutive faute d’investissements productifs et de progrès économique.
Aujourd’hui, il faut redonner à l’arabe ses lettres de noblesse, pour renouer avec la noblesse des lettres arabes, «revenir à la langue arabe classique, qu’il soit entendu qu’elle n’a rien de sacré et n’a nul besoin d’être sacralisée pour être appréciée et aimée», comme l’avaient écrit six universitaires algériens, auteurs du texte «Sauver l’école», publié le 17 juillet 2021 dans le Quotidien d’Oran. «Cette langue technique, avant d’être l’expression caractéristique du Coran, fut celle des poètes-rhéteurs, des orateurs, des devins et des prêtres du paganisme arabe», avaient précisé les auteurs.
Une langue peut connaître des temps de gloire, puis subir des déboires. La preuve par la France. La France, pays des Lumières, dotée d’une langue lumineuse, aujourd’hui sombre dans la médiocrité. Son système scolaire est en faillite. Sa population verse dans l’obscurantisme politique, l’intégrisme populiste. Son Etat, dans le racisme institutionnel et le bellicisme pyromane.
Ce n’est pas la langue qui génère les bêtes immondes, mais la décadence économique du monde contemporain qui les produits. La langue française, hier langue des révolutionnaires, est devenue l’idiome des réactionnaires. Hier langue du Progrès, elle est devenue parlure de la régression.
Pour preuve. En France, érigée en modèle par les francophiles algériens partisans de l’enseignement généralisé du français dans l’école algérienne, longtemps pays de culture, outre les élèves, désormais les aspirants professeurs ont également un faible niveau en orthographe, en grammaire et en mathématiques, révèlent les résultats au concours 2022 de recrutement des professeurs des écoles.
En effet, les correcteurs de plusieurs académies décrivent des candidats à la «langue pauvre» et peu cultivés. L’académie de Besançon a fait l’Etat global du niveau de la langue dans les copies : «Des expressions familières, une grande impropriété lexicale, une langue pauvre, au lexique répétitif et sans pertinence, ainsi qu’une mauvaise orthographe.» Toutes les académies soulignent la pauvreté des références littéraires. «Très peu de candidats citent des sources qui permettraient de démontrer une culture personnelle. Certains le font en se trompant d’auteur, en citant une émission de téléréalité ou des dessins animés de Disney. Une petite minorité est en mesure de citer quelques lectures personnelles», rapporte l’académie de Lille. Le jury de l’académie de Nancy-Metz déplore «le recours exclusif à des références de la culture populaire contemporaine». A Amiens, on note singulièrement «le faible nombre d’exemples littéraires ou cinématographiques au profit d’illustrations faisant appel aux séries que l’on peut voir sur Netflix».
Des maladresses et des lacunes des aspirants professeurs qui dénotent leur faible niveau de maîtrise de la langue française et leur vacuité en culture générale. Le niveau en mathématiques n’est pas en reste. L’académie de Besançon déplore un manque flagrant de maîtrise des mathématiques des futurs professeurs des écoles.
Toutes les académies partagent le même constat et tirent la sonnette d’alarme. «On a atteint un point de non-retour», s’alarment les jurys d’académie.
Ainsi, alors même que les aspirants professeurs sont censés instruire les écoliers, ils ne semblent pas eux-mêmes maîtriser certains fondamentaux de la langue française ni ceux des mathématiques, les deux matières fondamentales requises pour l’enseignement. Ainsi, le système éducatif français est en pleine déliquescence. «Un lettré rejoint les illettrés dès lors qu’il cesse de lire définitivement», notait l’écrivain algérien Ahmed Khiat. En France, quoique maintenu jusqu’au cycle supérieur dans le système scolaire, l’élève ne cesse de demeurer illettré effectivement.
«Les qualités rédactionnelles demeurent essentielles pour ce concours visant A recruter de futurs experts qui ont en charge l’apprentissage de la langue aux plus jeunes de nos élèves», rappelle le rapport de jury de l’académie d’Aix-Marseille.
Or, quoique le niveau des futurs professeurs, recrutés actuellement A Bac +5, soit en très forte baisse comme vient de le confirmer les rapports publiés début décembre par les jurés d’académie, pour pallier la pénurie d’enseignants, le ministère de l’Éducation nationale envisage de positionner le concours de professeurs des écoles A Bac +3 au lieu de Bac +5 actuellement. Autrement dit, en France, depuis plusieurs décennies, il y a une volonté politique d’anéantir par l’abêtissement le système éducatif de masse, pour ne conserver que l’école élitiste réservée aux notables.
Comme le soulignait un professeur : «Je pense qu’il y a une volonté politique voilée de créer une élite, en laissant une bonne partie de la population peu ou mal instruite. En étant moins capables de réfléchir, les gens deviendront plus dociles pour un gouvernement quelconque ! Il n’y a qu’A voir le niveau consternant de certaines émissions télévisées».
En France le recul du niveau des élèves en français et la montée de l’illettrisme sont corrélés. De même, la faiblesse de la qualité de l’enseignement est la cause du décrochage scolaire. Au pays des droits de l’Homme, chaque année plus de 100 000 jeunes quittent prématurément le système scolaire sans diplôme ni qualification. Ce sont les hitistes français, emmurés dans l’inactivité professionnelle et le désœuvrement social.
Ni la langue arabe enseignée en Algérie, ni la langue française enseignée en France, ne sont responsables de l’échec du système éducatif. Ce sont les politiques éducatives régressives gouvernementales de ces deux pays qui ont précipité ces dernières décennies les écoliers dans l’échec scolaire. Autrement dit, dans l’ignorance. Et pour cause. Car, comme l’avait écrit Nicolas De Condorcet : «Un peuple ignorant devient nécessairement la dupe des fourbes qui, soit qu’ils le flattent, soit qu’ils l’oppriment, le rendent l’instrument de leurs projets et la victime de leurs intérêts personnels.»
K. M.
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