Pourquoi l’Italie et la puissante Europe craignent le petit émirat du Qatar
De Rome, Mourad Rouighi – Nombre d’observateurs politiques et économiques italiens, à Milan et à Rome, ne cachent plus leur inquiétude depuis que le Qatar a balayé d’un revers de la main les accusations de Bruxelles portant sur des allégations de corruption au Parlement européen (le scandale dit du «Qatargate») et la décision qui s’en est suivie de suspendre l’accès des autorités qataries au siège de cette institution.
En effet, un communiqué de Doha a sévèrement taclé certaines voix qui l’ont pointé du doigt, tout en indiquant que «la décision d’imposer une telle restriction discriminatoire, qui limite le dialogue et la coopération avec le Qatar avant la fin du processus judiciaire, affecte négativement la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que les discussions sur la pauvreté et la sécurité énergétiques mondiales, d’autant que ce scandale les fonds en question ont été transférés par le ministère du Travail, de manière officielle, dans le but d’éclairer les instances européennes sur les conditions des travailleurs engagés dans la construction des infrastructures de la Coupe du monde 2022.
Le Qatar est un important fournisseur de gaz liquéfié (GNL) pour la Belgique et pour l’Italie, et son gouvernement a clairement fait savoir que la tournure de l’enquête n’augure rien de bon et que certains raccourcis visant à amnistier d’autres parties et inculper ce pays qui a agi en toute transparence, risque d’impacter les accords d’approvisionnement en gaz naturel qui ont fait l’objet de plusieurs allers et retours des dirigeants belges, allemands et italiens pour aboutir aux récents accords paraphés avec l’émirat.
Le quotidien Il Sole 24 Ore, organe officiel du Patronat italien, conscient des risques encourus par certaines capitales, a rappelé, hier, que le Qatar est, avec les Etats-Unis, l’un des plus grands exportateurs de GNL au monde et reste essentiel pour la réussite du dispositif européen de détachement énergétique de la Russie.
Et selon les dernières données de la Commission, le Qatar représente actuellement moins de 5% des importations totales de gaz dans l’Union. Mais la dimension énergétique de Doha est appelée à croître dans les années à venir, parallèlement à la croissance de sa capacité de liquéfaction grâce au maxi-projet North Field : un projet lancé en deux phases (North Field East et North Field South) et qui devrait être achevé en 2026 et en 2027.
Et de souligner que l’italien ENI est également intéressé par ce projet puisque le Chien à six pattes est en groupement avec le français Total pour l’exploitation de cet immense gisement off-shore.
Reste qu’au-delà de la présence d’ENI dans le projet North Field, le Qatar reste un acteur énergétique important pour l’Italie car il détient, via QatarEnergy, 22% d’Adriatic LNG, la société qui gère le terminal de regazéification de Porto Viro (Rovigo), dans le nord de la péninsule.
A noter, enfin, en guise de récapitulatif, qu’au premier semestre 2022 l’Italie a été approvisionnée en gaz principalement par l’Algérie (avec une part d’environ 30%), par la Russie (26%) – qui préserve ses parts de marché, forte des contrats étalés sur plusieurs années – et par la Norvège et les Pays-Bas (10%). La contribution du Qatar relevant du chapitre GNL vaut au total 17% et comprend également les Etats-Unis.
M. R.
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