Première Guerre mondiale : l’Algérie au secours de la France vaincue (1)
Une contribution de Khaled Boulaziz – En apport au recadrage mémoriel en cours, que AP a eu l’amabilité d’abriter, nous reprenons ici un texte capital de Gilbert Meynier, sur un chapitre peu connu de l’histoire de notre pays. Historien français de grande probité, Gilbert Meynier fut aussi un grand ami de l’Algérie où il enseigna à l’Université de Constantine (2).
Pendant toute la Première Guerre mondiale, l’Algérie a fourni au pouvoir colonial français non seulement un soutien matériel substantiel, mais surtout des milliers de soldats indigènes soumis au service militaire obligatoire et le plus souvent affectés aux sections d’assaut. Les tirailleurs, encensés pour leur bravoure, n’ont pourtant jamais eu droit à la citoyenneté pleine et entière.
Ils furent ainsi 300 000, duquel 175 000 furent mobilisés pour le front, dont 35 000 perdirent leur vie sur les différents champs de batailles européens.
De toutes les colonies françaises, l’Algérie représenta pour la France, avec l’Afrique-Occidentale française (AOF), la plus grande pourvoyeuse en ressources matérielles et en hommes. Dans ce que l’on dénommait alors l’Afrique française du Nord, c’est à l’Algérie que fut demandé l’effort le plus important.
L’Algérie y répondit de fait, à la mesure de ce qui était attendu par le pouvoir colonial, en fournissant le plus clair des capitaux, des produits, ainsi que des hommes pour le front et pour le travail d’usine.
C’était d’Algérie que provenait l’aide matérielle sans doute la plus substantielle au regard de celle fournie par l’ensemble de l’empire colonial français, exception faite de l’AOF.
Pendant quatre ans, l’intendance militaire dépêcha ses commissions d’achat qui eurent de facto le monopole d’achat des produits, ou qui procédèrent à des réquisitions : céréales, vin, tabac, moutons furent notamment acquis à des conditions avantageuses, beaucoup plus que les produits miniers et autres pondéreux dont la crise des transports maritimes entre l’Algérie et la France entrava l’exportation.
On a pu calculer à guère moins de 770 millions de francs, sur les seuls produits agricoles, les économies qui furent ainsi réalisées de 1915 à 1919 par rapport à des achats qui auraient été faits aux cours normaux. Bref, l’Algérie contribua à nourrir la France à bon compte (3).
Le prix payé en sang par les Algériens fut, proportionnellement, à peu près le même que celui payé par les autres soldats, même s’ils moururent peut-être davantage lors des assauts qu’en secteur, où le commandement avait pris coutume de ne pas trop les y laisser se morfondre : ils étaient réputés être des troupes d’assaut.
Ce fut Georges Clemenceau qui, contre l’avis de la hiérarchie militaire coloniale et des élus français de la colonie, prescrit l’égalité entre les pensions de guerre des coloniaux et celles des Français.
Ultérieurement, la Ve République sous Charles de Gaulle se montrera plus ingratement boutiquière : les pensions des soldats algériens de la guerre de 1914-18 furent arrêtées à leur taux de 1962 tandis que celles des Français connaissaient des réévaluations régulières.
Même intégrés dans l’armée française, les Algériens ne perdirent ni leur sens critique ni leur algérianité quand le regret de la patrie absente ne la fortifiait pas au contraire. Ils reconnurent la force française et furent volontiers tentés par la transposition en Algérie de ce qu’ils avaient vu et ressenti outre-Méditerranée.
Les Algériens en retinrent des leçons à investissement différé, mais bien réel : ce fut dans le milieu des travailleurs algériens en France que l’Emir Khaled El-Hassani Ben El-Hachemi, dit Emir Khaled, connut le triomphe lors de son passage à Paris en juillet 1924. Et ce fut à Paris, deux ans plus tard, que l’Etoile nord-africaine émergea de l’Union intercoloniale.
Le pouvoir colonial avait senti passer le vent du boulet ; il se raidit, referma vite le chapitre imprudemment entrouvert des réformes indigènes, et s’arrangea pour se débarrasser de l’Emir Khaled l’année suivante (Gilbert Meynier) (4).
K. B.
1- Cet article est dédié à tous mes compatriotes ayant porté secours à la France vaincue, durant la Première Guerre mondiale ; parmi eux mon arrière-grand-oncle Mohamed ben Mohamed Gourgache, né en 1888 à Teniet El-Had et mort le 25 octobre 1916 à l’âge de 28 ans, au cours de la bataille de la Somme, France.
2- https://fr.wikipedia.org/wiki/Gilbert_Meynier
3- L’Algérie nourrit aussi à crédit les armées de Napoléon.
4- Texte publié dans Mémoires d’outre-mer : les colonies et la Première Guerre mondiale.
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