Quand le droit d’informer est criminalisé et la culpabilité inversée en France
Par Khider Mesloub – Cachez ces informations que je ne voudrais point dévoiler. La France impérialiste, fervente adepte de la pornographie guerrière meurtrière et de l’obscénité polémologique désormais diffusée en direct sur les plateaux de télé (notamment la chaîne LCI, devenue le QG télévisuel de l’OTAN), se pare fréquemment des vertus de la pudicité informationnelle quand il s’agit de dévoiler les gênantes informations relatives à son funeste commerce des armements. De manière générale, dès lors qu’on tente de mettre à nu les intrigues gouvernementales françaises, l’indécente justice de classe accourt à la défense de l’Etat pour voiler la dérangeante vérité.
Pourtant, longtemps, pour vendre ses engins de mort, l’Etat capitaliste français, plus précisément le complexe militaro-industriel français, exhibait de manière obscène sa technologie meurtrière devant les caméras et les journalistes du monde entier. Au reste, ces journalistes lui servaient, notamment lors de l’organisation des salons de l’armement, de VRP chargés de vanter dans leurs périodiques les performances du matériel militaire de fabrication française, notamment le Rafale, le Jaguar et autres fleurons funèbres.
Sans conteste, dans la France laïque et républicaine, ce marché de la mort est très fructueux. Les ventes d’armes constituent des ressources importantes pour la France impérialiste sénile. Les ventes d’armes de la France «démocratique» explosent. Ils explosent surtout beaucoup de vies humaines. Notamment au Yémen.
Ces dernières décennies, au pays des droits de l’Homme, les commandes d’armes à l’exportation ne cessent de progresser. En 2021, la France avait enregistré son 3e plus haut niveau historique de prises de commandes. Le montant global des commandes s’élevait à presque 12 milliards d’euros. Les ventes d’armes en 2022 s’annoncent fructueuses, avec plus de 20 milliards d’euros. Tout comme ces armes françaises s’annoncent terriblement tueuses.
Parmi ses meilleurs clients figurent les pays du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite, monarchie moyenâgeuse. Or, ce pays musulman, connu pour sa piété, livre avec dévotion, dans le cadre d’une coalition de pays sunnites réputés pour leur respect des principes islamiques, depuis 2015, une guerre sainte exterminatrice contre le Yémen, pays musulman et extrêmement pauvre. Et cette guerre génocidaire est perpétrée au moyen de l’équipement militaire de pointe vendu par les principales puissances impérialistes occidentales, les Etats-Unis, l’Angleterre et, surtout, la France.
Pour autant, quoique l’information sur l’utilisation des armes françaises par l’Arabie Saoudite au Yémen filtre régulièrement depuis le début du déclenchement de la guerre, la France refuse systématiquement de le reconnaître. Elle persévère encore aujourd’hui dans cette dénégation.
On se souvient que l’organisation journalistique Disclose avait publié un document classifié, rédigé en octobre 2018 par la Direction de la sécurité de l’armée à l’intention du président Macron et des principaux ministres. Le document publié par Disclose apportait des informations précises sur l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie Saoudite au Yémen, notamment des chars, des missiles et des systèmes de guidage laser. Ce document fournissait la preuve du mensonge de nombreux dirigeants français quant à l’usage des armes françaises dans les crimes de guerre au Yémen.
Sans surprise, quelques jours après la publication du rapport par le Disclose, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait convoqué les trois journalistes impliqués dans la diffusion du document pour un interrogatoire. La DGSI avait signifié aux «accusés» qu’une enquête était ouverte en vertu des lois sur le «terrorisme et les attaques contre la sécurité nationale». Rien que ça ! A l’époque, une vingtaine d’organisations non gouvernementales et de syndicats de journalistes ainsi que la Fédération européenne des journalistes (FEJ) avaient dénoncé cette atteinte inacceptable à la liberté de la presse.
Comme l’avait écrit Disclose : «Ceci prive les journalistes de Disclose des protections garanties par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La police a cherché à les contraindre à identifier leur source.» «La formulation des questions avait pour seul objectif de violer les protections fondamentales du droit de la presse au secret des sources, élément essentiel de la liberté de la presse.» «Avant d’exercer leur droit au silence, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi ont donc déclaré aux enquêteurs qu’ils agissaient dans leur mission d’information du public.»
Pourtant, dans sa déclaration, Disclose notait : «Les documents confidentiels révélés par Disclose et ses partenaires présentent un intérêt public majeur. Celui de porter à la connaissance des citoyens et de leurs représentants ce que le gouvernement a voulu dissimuler. Ils sensibilisent les citoyens et leurs représentants à ce que le gouvernement a cherché à dissimuler. A savoir des informations indispensables à la conduite d’un débat équilibré sur les contrats d’armement qui lient la France aux pays accusés de crimes de guerre.»
A l’évidence, ces méthodes d’intimidation de l’Etat français s’inscrivent dans le cadre de l’entreprise de «répression journalistique» conduite par les principales puissances impérialistes en vue de criminaliser l’action d’alerte de la population et de la liberté d’information. En effet, ces pressions judiciaires de l’Etat français s’intègrent dans le prolongement des persécutions du journaliste Julian Assange et de la lanceuse d’alerte Chelsea Manning.
Assurément, dans la perspective de l’imminente guerre impérialiste exterminatrice, le pouvoir français affine ses armes judiciaires répressives contre l’ensemble de sa population insoumise et une frange des médias dissidents opposés au militarisme et aux entreprises belliqueuses tricolores. De toute évidence, par ses récentes lois sécuritaires votées à la faveur du mouvement des Gilets jaunes et de la pandémie de Covid-19 politiquement instrumentalisée, tout comme par ses méthodes d’intimidation contre les journalistes, le gouvernement français prouve sa volonté d’ériger un Etat policier pour museler et réprimer toute opposition politique, censurer toute information dérangeante.
Quoi qu’il en soit, le rapport de Disclose démontre que l’Etat français a violé le droit international en matière de vente d’armes. En effet, la France a vendu des armes à l’Arabie Saoudite en sachant qu’elles seraient utilisées dans des crimes de guerre.
Or, curieusement, par une inversion accusatoire, les journalistes, auteurs de la divulgation de l’information portée à la connaissance de l’opinion publique, furent accusés de porter atteinte à la sécurité nationale, et donc passibles de poursuites judiciaires. Pourtant, c’est l’Etat français qui est coupable de complicité de crime contre l’humanité, qui porte atteinte au droit international et à l’éthique universelle humaine. Pour ses forfaits scélérats commis par cupidité, c’est l’Etat français (les ministres des successifs gouvernements) qui devrait être déféré devant le TPI.
Avant de conclure, il est utile de rappeler que Disclose est sous le coup d’une nouvelle procédure judiciaire intentée par le gouvernement Macron pour ses révélations sur la complicité du renseignement militaire français dans les exécutions arbitraires de civils en Egypte. Par une inversion accusatoire, le ministère des Armées a déposé plainte contre Disclose. Fort heureusement, pour rétablir la vérité, depuis ces révélations, deux ONG américaines (et non françaises) ont saisi l’ONU et la justice française pour complicité de crimes contre l’humanité dans le cadre de l’opération militaire française secrète Sirli, menée en Egypte en 2016.
En France, le droit d’information est à géométrie variable. La liberté de la presse est non pas, comme le proclament béatement les thuriféraires du capital, un miracle, mais un mirage. Dès lors qu’un journaliste ou auteur s’attaque aux intérêts des puissants ou certains lobbies, la justice de classe le guillotine intellectuellement. Le réduit au silence informationnel. Au mutisme politique. A la mort sociale.
M. K.
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