L’arme nucléaire : le docteur Folamour est-il de retour ?
Une contribution d’Ali Akika – La politique des deux poids, deux mesures est appliquée quand la victime ne peut pas rendre la monnaie de la pièce à l’agresseur. Mais si celui-ci est inconscient ou stupide et s’amuse à l’employer dans le domaine de la dissuasion nucléaire, il risque de payer lourdement son inconscience. Le présent article a pour but, sur la base de la doctrine américaine de la dissuasion et de déclarations publiques d’officiels américains, d’esquisser un regard de «la philosophie» américaine consistant à jouer à un poker bien à eux d’où ils sortiraient toujours gagnants. Cette «philosophie» a un énorme trou dans la raquette car elle table ou investit sur une supposée supériorité de l’intelligence stratégique des dirigeants chez qui on trouve pêle-mêle l’arrogance de la puissance, l’outil de la menace et de la peur qui neutraliseraient l’adversaire. Ultime trouvaille, mener une guerre par procuration pour l’affaiblir jusqu’à le désarmer.
Cette «philosophie» nourrit ainsi la stratégie de dissuasion américaine que l’on retrouve dans leur doctrine depuis 1945 quand les Etats-Unis ont utilisé la première fois la bombe atomique. Mais face à un adversaire possédant la même arme de destruction, le désarmer et lui faire signer sa capitulation fait partie dorénavant du fantasme. Car gagner une guerre sans la faire concerne les armes conventionnelles, une des recommandations de Sun Tzu qui n’est plus d’actualité car l’adversaire détient le même pouvoir de destruction. On voit mal un pays sur le point de se faire effacer de la terre hésiter une seconde à expédier son ennemi dans le trou noir de l’Univers qui est l’endroit où ne pénètre pas la lumière et où n’entend pas le tic-tac du temps, c’est-à-dire le néant.
Par les temps qui courent, ledit fantasme a peu de chance d’être opératoire. La guerre en Ukraine prouve que le délicat et complexe problème de l’utilisation de l’arme nucléaire est loin de se résoudre par le biais du jeu du poker. Heureusement pour le monde que l’utilisation du nucléaire n’est pas entre les mains des vieux et indécrottables prétentieux pour qui le monde se divise entre les bons et les méchants. Bien entendu, pour ces petits rêveurs, les comportements, les envies, la vision des choses sont du côté de leurs maîtres (1), censés appliquer le droit avec justesse et utiliser la rationalité avec intelligence. Bref, rien de nouveau à l’Ouest (Occident) sinon les fatigants blablas d’«analystes» qui souffrent de l’enflure du nombril…
Voyons comment s’est instauré un dialogue entre les Etats-Unis et la Russie à l’ombre de l’arme nucléaire. On se rappelle la phrase de Lloyd Austin, ministre américain de la Défense, où il affirma que l’objectif des Etats-Unis est d’affaiblir la Russie. Une phrase lourde de sens qui, pour les habituels «experts», passa presque inaperçue comme si c’était dans l’ordre naturel des choses. Il en est de même du rêveur éveillé d’un Lech Walesa (2) sur TF1 où il déclara qu’il faut démembrer la Russie en une multitude de mini-Etats. Ce genre de déclarations n’est pas passé inaperçu, en revanche, en Russie. Le président Poutine a attendu le moment propice pour répondre au message du ministre américain, «la Russie a tous les moyens pour se défendre». Ce dialogue par-dessus l’immensité de leurs pays respectifs, dans l’atmosphère d’une guerre de très haute intensité, l’Américain et le Russe échangèrent d’une façon sibylline sur les buts et les moyens de «leur» guerre. L’Américain avait limité le périmètre et les moyens de sa guerre. Pour lui, l’Ukraine serait le cimetière de l’armée russe pour qu’elle n’embête plus ses voisins. Le Russe, «nous avons les moyens de nous défendre». Le message du président russe était limpide en direction des Etats-Unis, en clair nos armes ne sont pas des jouets au pied d’un sapin de Noël…
Mais avant de décortiquer ce langage, il faut passer par l’histoire de la stratégie de la dissuasion nucléaire. Celle-ci consiste à faire comprendre à l’adversaire que l’utilisation de cette arme ferait disparaître son pays de la planète. Cette menace qui n’est pas parole en l’air ne peut être ignorée quand on connaît l’effroi et la désolation provoqués à Hiroshima et Nagasaki. Hé oui, ce sont ces deux bombes atomiques déversées sur le Japon qui sont à l’origine de la stratégie de la dissuasion. Mais pour que celle-ci naisse et fasse l’objet d’une théorisation stratégique, il a fallu qu’un deuxième pays, l’URSS possédât la même arme en 1949. Les Américains jusqu’ici protégés par cette arme devaient dorénavant tenir compte de ce nouveau concurrent dans le champ du nucléaire.
Avec l’arrivée de ce nouvel acteur, les Américains ont élaboré, étape après étape, différentes stratégies de dissuasion. Les deux têtes pensantes de ces stratégies furent Delles, secrétaire d’Etat américain, qui opta pour la riposte massive (1953) et McNamara, ministre de la Défense, qui opta pour la riposte graduée (1962). En bons élèves du pragmatisme, et ayant les yeux rivés sur le tableau des profits, les industriels américains trouvèrent là un nouveau filon pour prétendre garantir à leur pays l’invulnérabilité du territoire américain et celui d’«éterniser» leur statut de première puissance économique du monde. Ces deux objectifs se complètent et «s’entraident» mutuellement pour réaliser le vrai «rêve» américain, non pas celui de l’émigrant débarquant au pays de «la liberté» mais celui du complexe militaro-industriel si bien nommé par le général Eisenhower, président des Etats-Unis (1953-61). Ledit complexe industriel assure ainsi la protection du pays tout en réalisant des affaires juteuses, pourquoi demander davantage quand on est à la fois «bon citoyen» et riche américain…
Tant que les armes classiques permettaient de mener des guerres selon les lois et les conventions internationales de la guerre, tout le monde était censé être à égalité. L’apparition de l’arme nucléaire par son caractère de destruction totale introduit la variable du déséquilibre des forces en faveur de celui qui possède l’arme atomique. On l’a vu en 1945 quand les Etats-Unis imposèrent la capitulation du Japon. Les Américains avaient toutes les raisons d’être satisfaits. Ils gagnaient du temps en mettant fin à la guerre, économisaient leurs hommes et soulageaient leur colossal budget de guerre. A l’époque, l’éthique et la morale n’avaient pas l’air de perturber les généraux américains. Mais dès que les Etats-Unis perdirent le monopole dans la possession de cette arme, l’univers mental et politique des Américains se mit à cogiter pour inventer une stratégie de la dissuasion car l’acquisition de l’arme nucléaire par l’URSS, c’était, à leurs yeux, le diable en personne qui devenait le gardien des portes de l’enfer.
Ainsi naquit l’idée de faire une «petite place» à la bombe atomique dans l’art de la guerre. La nouvelle arme et le coriace adversaire des Américains augmentaient la surface des incertitudes, ouvrant le chemin à des dérapages potentiels. Le film Docteur Folamour, un chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, outre l’intelligence et la beauté du film, est devenu un classique du cinéma. Il a su traiter un sujet aussi complexe en réservant un rôle à la folie qui fait tant peur aux stratèges car elle marie l’incertitude et l’irrationalité, difficilement maîtrisables.
L’arme nucléaire a en principe pour rôle de calmer des ardeurs démesurées de tout ennemi qui tomberait dans l’ivresse de la puissance qui cède parfois à la frivolité. Le statut de terreur et la qualité de dissuasion de la bombe nucléaire ne mettent pas fin aux problèmes de gestion de cette arme. En effet, la dissuasion est tributaire de moyens matériels, technologiques et de l’intelligence stratégique pour éviter aux deux adversaires de commettre une erreur fatale. C’est pourquoi depuis l’apparition de la bombe nucléaire, la stratégie de la dissuasion a évolué en fonction des progrès technologiques, de la qualité des relations entre les deux adversaires, de la facilité et rapidité d’entrer en contact entre chefs d’Etat (existence d’un téléphone rouge après l’affaire des missiles à Cuba en 1962). C’est pourquoi les Américains sont passés par plusieurs étapes. Celle de déverser leurs bombes contre le Japon sans crainte de représailles en 1945. Ensuite, celle des représailles massives et, enfin, celle de frappes répétitives. Le père des représailles massives est le secrétaire d’Etat Dulles et celles des frappes répétitives reviennent à McNamara, célèbre ministre de la Défense, de Nixon durant la guerre du Vietnam.
De nos jours, les stratèges américains ont mis au point la frappe nucléaire préventive mais qui n’a pas acquis un statut légal car le Congrès américain n’a pas encore voté la loi qui légitime son emploi. Parallèlement à ces différentes stratégies de la dissuasion nucléaire, les Etats-Unis s’étaient lancés en 1983 dans une entreprise/aventure pharaonique, appelée Initiative de défense stratégique (IDS) sous l’égide du président Reagan. En bon Américain, Reagan voulait construire un bouclier de missiles médiatisé sous le nom de guerre des étoiles. Ce bouclier était censé protéger les Etats-Unis de toute attaque nucléaire. Aventure technologique et gouffre financier, on a beau s’appeler l’Oncle Sam, il y a des limites à s’offrir des rêves que les dieux de l’Olympe ne peuvent réaliser. La guerre des étoiles cessa en 1993 sous Clinton, qui comprit sans doute que toute technologie finit par être dépassée par une autre découverte… Ce qui arriva en Russie où les savants et ingénieurs russes ont mis au point un missile qui vole à 10/12 fois la vitesse du son, donc non-interceptable par les antimissiles du bouclier de Reagan.
La dissuasion nucléaire préventive américaine attend d’être légalisée par le Congrès. Mais en attendant cette légalisation, la fameuse phrase «affaiblir la Russie» de Lloyd Austin, ministre de la Défense, se contente de menacer la Russie avec des armes conventionnelles sur un champ de guerre à l’étranger, l’Ukraine. Le ministre des Affaires étrangères de l’Union étrangère Borrel avait vendu la mèche en disant «affaiblir la Russie signifie détruire les armées russes opérant en Ukraine». Il est des hommes qui se pensent être au-dessus des autres et qu’on leur obéit comme s’ils étaient des dieux. Austin, comme Borrel, pense que le président russe va regarder ses armées se faire détruire sans réagir. Quelle idiotie et grave erreur ! car le président Poutine a clairement indiqué dans une émission télé, dès que les missiles ennemis sortent de leur champ de tir, ceux de la Russie se déclenchent automatiquement. Le président russe n’avait pas besoin de préciser que les missiles russes arriveront à destination les premiers car ils volent plus vite que ceux de la première puissance qui se veut être le top de la technologie. En définitive, les deux stratégies de dissuasion américaine et le fameux bouclier de «la guerre des étoiles» ne garantissent pas totalement la protection et la survie du territoire américain. Comme les Américains ne se conçoivent que comme vainqueurs pour garantir leur survie, ils inventent l’attaque préventive pour détruire l’ennemi qui n’aurait plus évidemment le temps de répliquer. On peut se demander si le Congrès américain va légaliser la dissuasion préventive qui ouvrirait la voie à un Docteur Folamour. D’autant qu’une attaque préventive est d’ores et déjà neutralisée par les missiles supersoniques russes que le président Poutine a pris soin d’insister sur l’impossibilité de les intercepter.
Les leçons que les grandes puissances seront bien obligées de tirer à partir des limites des différentes dissuasions, c’est de revenir à l’art de la guerre qui enseigne que le sage est celui qui gagne la guerre en faisant comprendre à l’agresseur potentiel qu’il n’a pas intérêt à la déclencher. On serait alors aux antipodes de la politique des deux poids, deux mesures qui fait tant de mal aux peuples et aux petits Etats qui ne peuvent pas se défendre.
Pour conclure, un mot sur les doctrines des trois grandes puissances qui ont acquis l’arme nucléaire (3) après les Etats-Unis, sont la Russie (1949), la France (1960) et la Chine (1964). Grosso modo, ces trois puissances ont pour doctrine de l’utilisation de l’arme nucléaire, la riposte par des représailles massives. Ça implique ou suppose en principe la non-utilisation en premier du nucléaire. Une réplique à l’arme atomique quand le territoire et les intérêts fondamentaux du pays sont menacés. A l’heure actuelle, seule la Chine s’est engagée officiellement à ne jamais utiliser une frappe nucléaire en premier contre un autre pays, les autres pays cultivent une sorte d’ambiguïté. C’est pourquoi la frappe nucléaire préventive envisagée dans la doctrine américaine, mais heureusement non encore votée par le Congrès, inquiète quelque peu. C’est une épée de Damoclès au-dessus de la tête du reste du monde. Rappelons pour infos que les mouvements pacifistes militent pour éliminer les armes nucléaires dans la vie des nations et des Etats dans leurs relations internationales. Avec la guerre en Ukraine, on entend les inconscients et les va-t-en-guerre prêts à tout pour régler leurs comptes à la Russie que l’on veut démembrer. Ces petites sectes oublient une chose simple : la Russie n’est pas la petite île des Caraïbes au joli nom de Grenade de quelques milliers d’habitants envahie par quelques milliers de G’IS armés jusqu’aux dents (en 1983). Il faut espérer que la leçon du film Docteur Folamour de Stanley Kubrick rappelle aux inconscients que la folie n’est pas bonne conseillère et qu’il faut lui préférer l’intelligence qui a permis à l’Homme de sortir de la jungle pour découvrir les autres merveilles du monde.
A. A.
1- Il est bon de se poser la question et de rappeler l’interdiction faite à certains pays de posséder l’arme nucléaire et de fermer les yeux sur d’autres pays qui la possèdent. Y aurait-il des pays dirigés par la rationalité et une éthique irréprochable et d’autres livrés aux ténèbres et à l’ignorance ? Les discussions dans les instances internationales pour arriver à un désarmement général est un signe que la meilleure voie pour éviter une catastrophe est de détruire les arsenaux existants et de réserver l’atome pour permettre à la science de résoudre les problèmes qui surgissent et que l’Humanité se doit de résoudre. Une plus belle aventure que celle du paysage après l’hiver atomique.
2- Lech Walesa a été le président du syndicat Solidarité. Après l’implosion de l’URSS, il devient président de la Pologne 1992-95. Il fut adoubé par le pape Jean Paul 2 et soutenu par l’Occident. On n’est pas étonné de voir la Pologne devenir un pilier de l’OTAN à quelques encablures de la Russie.
3- L’Angleterre est liée aux Etats-Unis par des relations spéciales. Normal, les Américains ne sont que les descendants des British. Avec le temps, les enfants dépassèrent le père. On a vu Tony Blair, Premier ministre anglais, suivre aveuglement les Américains en Irak. La presse britannique l’a honoré du quolibet mérité de «caniche» de l’Oncle Sam.
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