France : des ratonnades médiatiques aux pogroms antimusulmans ?
Une contribution de Mourad Benachenhou – «L’opinion raciste n’est pas un délit, son expression, si ! La loi définit différents types de délits racistes assortis de peines spécifiques : l’injure est l’attaque dans ce qu’elle a de plus direct et outrageant ; la diffamation mobilise des informations fausses, à caractère stigmatisant, dans le but de porter atteinte à l’honneur d’un individu ou d’un groupe d’individus ; la provocation à la haine raciale cherche à instiller chez celui qui reçoit le propos un désir de violence de nature à favoriser un passage à l’acte (discrimination, violence). Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques appelle à l’interdiction par la loi des appels à la haine qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.»(1)
A-t-on besoin d’être un sociologue de la communication pour constater que, dans l’espace national de l’ex-occupant colonial, le débat sur la liberté d’expression tourne exclusivement autour du droit à l’islamophobie et à la déshumanisation des adeptes de la religion musulmane, tout comme des hommes et femmes à peau brune, plus ou moins assimilés à l’adhésion à cette religion monothéiste, et en premier lieu les Arabes ?
Ce droit à la haine visant spécifiquement une seule religion et ses adeptes est devenu quasi constitutionnel ; il est, d’ailleurs, conforté par la «loi sur le séparatisme» qui fait, dans ce pays, de la différence ethnique, religieuse et culturelle un crime, et pointe du doigt une communauté à l’exclusion de toute autre. A se demander si un jour le credo «liberté, égalité, fraternité» ne va pas être complété par «islamophobie» qui, évidemment, annule tous les nobles principes proclamés avant lui. On y va doucement mais sûrement.
La haine exprimée à travers tous les médias, en continu, est passée de quelques gouttes en averses, puis est devenue un ouragan porteur de violences et de destruction. Tente-t-on de dramatiser ? Ou trouve-t-on dans l’actualité brûlante un fait qui prouve que, comme le constate le dicton anglais, «on est passé de l’insulte aux coups» ?
Conséquence dramatique programmée de la campagne de haine contre une minorité
Il semble bien qu’un événement qui marque un dangereux tournant dans la vague d’islamophobie qui frappe l’ancienne puissance coloniale n’a pas suscité la prise de conscience d’une grave dérive vers la violence extrême envers la communauté musulmane dans un Etat qui se targue d’être «la patrie des droits de l’Homme».
Il est indispensable de revenir sur les détails de ce que certains voudraient faire passer pour un simple fait divers, résultat d’un comportement individuel asocial et ressortissant de l’approche psychiatrique plutôt que de l’analyse politique.
Un certain William M. a attaqué, le vendredi 23 septembre dernier, un centre culturel kurde et un salon de coiffure situés dans le Xe arrondissement de la capitale de cette «patrie des droits de l’Homme». Il a pénétré dans ces locaux et a tiré à bout portant sur les personnes présentes, en tuant trois et en blessant trois autres. La presse locale rapporte qu’arrêté l’agresseur a reconnu, selon Laure Beccuau, la procureure de la République en charge de cette affaire, qu’«il s’en est pris à des victimes qu’il ne connaissait pas», précisant «en vouloir à tous les migrants et aux Kurdes».
Un hebdomadaire de droite, Le Point, précise que «le matin des faits, le tueur s’est d’abord rendu armé à Saint-Denis (banlieue nord de Paris à forte concentration maghrébine et africaine) pour «tuer des étrangers, mais a finalement renoncé faute de monde et d’aisance pour recharger son arme en raison de sa tenue vestimentaire, selon la procureure de Paris Laure Beccuau. De retour au domicile parisien de ses parents, où il vivait, il est ensuite allé à pieds rue d’Enghien, vers le centre culturel kurde Ahmed-Kaya, dont il connaît la localisation». Ce complément d’information prouve que ce criminel visait non spécifiquement la communauté kurde, mais les musulmans de manière générale.
Le même hebdomadaire précise que c’est un homme de 69 ans, conducteur de train retraité de nationalité française, et qu’il a été mis en examen, entre autres, pour «assassinat et tentative d’assassinat en raison de la race, l’ethnie, la nation ou la religion». Cette même presse ajoute que ce tueur n’en était pas à sa première attaque armée contre des étrangers.
Un criminel islamophobe violent et récidiviste
Ce qui ressort du rappel de cet acte de violence contre des personnes innocentes, désarmées, c’est que la motivation du crime commis ressort tout simplement et très clairement de la haine portée par cet homme, sans aucun doute de culture judéo-chrétienne, non pas contre n’importe quels étrangers ou citoyens français, mais spécifiquement contre des musulmans qui se trouvaient, dans ce cas précis, être des Kurdes, parce qu’ils constituaient une cible facile, à portée de son lieu d’habitation, donc attaquables et «massacrables» sans danger pour l’auteur du crime. A la haine s’est ajoutée la lâcheté odieuse d’un assassin sans un brin d’humanité, qui a choisi comme jour de son acte le vendredi, jour de la prière collective hebdomadaire musulmane, et à quarante-huit heures de la fête de Noël, où la chrétienté entière célèbre la naissance du Christ et son message de paix, de non-violence et de fraternité solidaire entre tous les Hommes.
On ne peut faire de reproche ni à la hiérarchie politico-administrative, ni aux services de sécurité locaux, ni à l’appareil judiciaire, qui ont agi en totale conformité avec la législation pénale et ont fait preuve dans le traitement de ce crime de la transparence qui caractérise l’Etat de droit. On doit, cependant, souligner qu’une tentative d’amalgame a été faite par des autorités officielles entre cette attaque de caractère visiblement raciste et islamophobe et un attentat perpétré quelques années auparavant, et dans la même ville, contre des militants kurdes par des inconnus soupçonnés d’avoir agi pour le compte d’une puissance étrangère, sans que des preuves dirimantes aient été apportées pour conforter ce soupçon.
Les «ratonnades médiatiques» dérivent vers les pogroms antimusulmans
Ce qui choque dans cette affaire criminelle, ce n’est donc nullement l’attitude des autorités publiques, mais la réaction des médias lourds, comme légers, et plus précisément les grandes chaînes de télévision, si promptes à sonner l’hallali et à appeler à la «ratonnade médiatique» chaque fois qu’un crime est commis par une ou des personnes au nom à consonance musulmane, quel que soit leur statut juridique, qu’elles jouissent de la citoyenneté française pleine et entière, qu’elles soient résidentes légales ou que leur présence sur le territoire français soit illégale.
S’il y avait eu chez le criminel – dont étrangement l’anonymat est bien préservé car, jusqu’à présent, on ne connaît que la première lettre de sa filiation, ce qui est surprenant, vu qu’il est entre les mains de la justice – le moindre indice d’une origine ethnique ou d’une association religieuse non conforme au judéo-christianisme dont se réclame la majorité de la population française, on aurait assisté à des séances d’hystérie collective dans le moindre des médias lourds et légers, au questionnement des valeurs portées par l’islam et au rappel des «crimes» commis soit au nom de cette noble religion, soit par des personnes s’en réclamant directement ou indirectement.
Tous les bavards, aussi ignares que haineux, qui animent les heures de grande audience en soirée, auraient servi les mêmes litanies, inchangées depuis le moyen-âge. Ils auraient appelé au lynchage des criminels, sans autre forme de procès et en violation flagrante des principes qui fondent la justice moderne, dont le rejet de la responsabilité collective et l’individualisation de la peine et des droits dont jouissent la ou les personnes accusées de crimes.
La citoyenneté efface les distinctions d’origine ethnique et de religion
On aurait pensé que dans l’Etat de droit, la citoyenneté prime l’appartenance raciale, religieuse ou même culturelle, et que le statut juridique de l’individu est défini exclusivement en fonction des droits et obligations pesant sur tous les membres de la communauté nationale, qui n’ont pas à démontrer à tout moment qu’ils sont loyaux aux principes républicains qui constituent le fondement de la vie en commun dans une République.
On se souvient de la vague de violence verbale qui s’est abattue, par médias interposés, sur la communauté musulmane, il y a quelque deux mois et demi de cela, lorsqu’un crime a été perpétré par une femme d’origine «non-française» et de plus «résidente illégale» contre un enfant, comme si un meurtre commis par un «non-Français» – toutes choses étant similaires par ailleurs – sur un enfant était plus horrible qu’un infanticide perpétré par un «vrai Français». On a entendu, avec horreur, un appel direct à la punition collective contre la communauté musulmane, tous statuts confondus, comme si chacun de ses membres avait eu une part dans ce crime horrible.
Où est la laïcité si la gravité du crime change avec la religion du criminel ?
On aurait pensé que les «sommités intellectuelles» qui donnent le la aux grands débats de société dans la septième puissance mondiale auraient établi un lien entre cet attentat et l’atmosphère délétère suscitée par la popularisation de la thématique antimusulmane.
Cette attaque contre le centre culturel kurde n’a rien de spontané, d’improvisé ou d’opportuniste. Elle a été commise pourtant par un homme aux convictions bien arrêtées et qui n’en était pas à sa première agression contre des «non-Français de souche». Elle a eu lieu dans une atmosphère d’islamophobie hystérique qui traverse la classe politique française dans sa quasi-totalité et qui est entretenue par des animateurs de médias lourds et des intellectuels de renom, ne cachant pas leurs convictions, si contraires soient-elles à l’esprit républicain et même à la laïcité, elle-même devenue un cri de guerre contre une communauté religieuse bien définie.
L’acte de ce tueur n’a rien d’inattendu ou d’exceptionnel, même dans sa cruauté. Comme l’a déjà fait remarquer Simone de Beauvoir, il y a bien longtemps de cela et dans d’autres circonstances historiques et politiques, «il y a des mots qui tuent autant que les armes». La récidive prouve, s’il le fallait, que ce meurtrier se croyait chargé par la société qui le porte d’une mission de «purification raciale et religieuse» qui justifiait ses actes de violences contre la communauté musulmane.
Des mots qui tuent
Et ces mots qui tuent, on n’a pas besoin d’aller trop loin et même de sortir de chez soi pour les entendre. Il suffit d’ouvrir son journal du matin ou d’écouter, confortablement installé dans son fauteuil, les commentateurs à sensation répéter les mêmes litanies antimusulmanes qui, faut-il le rappeler, datent d’une époque où l’intolérance religieuse était le principe fondamental de la vie politique et où l’Inquisition animée par le clergé était chargée de protéger la pureté religieuse de la population.
On n’a nul besoin de donner le nom des antennes qui se sont spécialisées dans le message de haine antimusulmane, ni de révéler le nom de leurs animateurs dont bon nombre, paradoxalement, viennent d’une communauté qui se dit souffrir d’antagonismes insupportables, mais qui colporte avec fanatisme l’idéologie servant de justification à la dernière colonie de peuplement au Moyen-Orient, présentée comme «la seule démocratie de la région», alors que tout les programmes de ses partis et leurs campagnes électorales, de même que la politique de ses gouvernements, quel que soit le parti aux commandes, tourne autour de la confiscation de la terre palestinienne et de l’élimination, sous une forme ou une autre, du peuple palestinien, condamné à perpétuité à subir les affres de la condition de prisonniers de la plus vaste colonie pénitentiaire unique dans l’histoire du monde, faisant du goulag sibérien un centre de loisirs géré par des gardes débonnaires et humains.
Lutte contre l’antisémitisme comme justification de l’islamophobie
La lutte contre l’antisémitisme se confond paradoxalement avec la haine contre l’islam et l’islamophobie la plus élémentaire. Le radicalisme et le fanatisme islamophobe sont devenus, au fil du temps, les courants de pensées porteurs de la vie politique dans la «patrie des droits de l’Homme» qu’est la France. Dans cette atmosphère de haine raciale et religieuse, il n’est nullement étonnant qu’apparaisse et sévisse William M. et, sans aucun doute, d’autres William M. n’attendent que l’occasion pour se manifester.
Ceux qui les incitent à l’action criminelle contre la communauté musulmane, toutes origines ethniques et tous statuts juridiques confondus, tiennent le haut du pavé intellectuel et politique et redoublent de rage.
Les exemples ne manquent pas d’écrivains de renom, comme d’animateurs ou d’hommes politiques appelant clairement ou par allusion à la violence totale contre la population musulmane, toutes couches incluses, sans exception, qu’elle appartienne à l’élite intellectuelle du pays ou qu’elle exerce les humbles métiers sans lesquels les roues de la société arrêteraient de fonctionner.
On ne veut citer le nom d’aucun de ces ténors de l’islamophobie qui, malgré les lois républicaines, appellent à la discrimination raciale et religieuse et entretiennent la haine de l’islam et de ses adeptes.
Des articles de loi discriminatoires criminalisant la haine raciale et religieuse ?
Des règles de droit interdisant l’incitation à la haine religieuse existent depuis des dizaines d’années. Le professeur Thomas Hochmann rappelle qu’il y a des dispositions légales claires contre l’appel à la haine raciale et religieuse. Il est indispensable de le citer amplement : «Le droit français n’était pas jusque-là dépourvu d’instrument contre les propos racistes. Le décret-loi du 21 avril 1939 dit Marchandeau, du nom du maire de Reims, qui était alors ministre de la Justice, visait les injures et diffamations commises envers les personnes qui appartiennent par leur origine à une race ou à une religion déterminée […] lorsqu’elles auront eu pour but d’exciter à la haine entre les citoyens ou habitants.» Les velléités de réforme étaient motivées par les grandes difficultés d’application que rencontrait cette disposition. En particulier, la preuve de l’intention d’exciter à la haine s’avérait compliquée et les poursuites échouaient parfois au motif que les propos ne visaient pas l’ensemble des personnes relevant d’une race ou d’une religion. La loi de 1972 supprima l’exigence de l’intention spécifique à l’égard de l’injure et de la diffamation racistes et elle créa un nouveau délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Or, cinquante ans plus tard, l’application de la loi de 1972 rencontre quelques difficultés qui rappellent fortement celles qui se manifestaient à l’époque du décret Marchandeau.» (Du lustre après dix lustres : la loi de 1972 contre le racisme a cinquante ans, in Revue des droits de l’Homme, n° 21.)
Mais, comme l’explique ce professeur dans la même contribution, ces lois sont loin d’être appliquées de manière conforme à leur esprit. «Force est de constater, écrit-il, que les discours de haine bénéficient aujourd’hui d’une très ample diffusion, que ces idées frisent même l’hégémonie culturelle. Dans ce contexte, certaines décisions de justice paraissent restreindre l’application de la loi aux seuls propos les plus grossiers, les plus ouvertement racistes. Si l’on veut redonner du lustre à la loi de 1972, il convient de sanctionner tous les propos qui lui contreviennent, en tarissant les courants jurisprudentiels qui cèdent au moindre artifice de langage.»
Est-ce parce que, en réalité, ces lois sont destinées quasi-exclusivement à ne réprimer qu’un seul type de haine raciale et que seraient exclus de leur protection les musulmans ? Si ces articles de loi sont respectés, la déclaration citée dans la conclusion de cette contribution devrait donner lieu à une autosaisine du parquet contre Houellebecq, qui a fait de l’islamophobie le thème de ses créations intellectuelles et qui ne cache nullement sa haine des Arabes et des musulmans. En appelant à la violence contre eux, il tombe sous le coup de la loi contre le discours raciste. La plainte contre lui déposée par la Mosquée de Paris et le CFCM n’est nullement nécessaire pour qu’il tombe sous le coup de la loi. L’affaire William M. rend d’autant plus urgente et indispensable la mise en œuvre de ces dispositions légales.
M. B.
1- https://www.reseau-canope.fr/eduquer-contre-le-racisme-et-lantisemitisme/le-racisme-la-liberte-dexpression-et-la-loi.html (ministère français de l’Education).
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