Il visitait l’Algérie pour la première fois : interview exclusive de Mandla Mandela
L’esprit révolutionnaire chevillé au corps, le petit-fils de Nelson Mandela, Zwelivelile Mandla, aîné de la fratrie, s’est adressé à l’Afrique et à l’Algérie qui n’a pas oublié le symbole africain de la lutte contre l’apartheid qui a fourbi ses armes dans les maquis de l’Armée de libération nationale et dont elle a donné le nom au stade où s’est ouvert le CHAN-2022. Son discours était court mais tout feu tout flamme, si bien que les voix des dizaines de milliers de supporteurs algériens ont résonné dans l’enceinte de l’édifice tout juste inauguré, en écho à ses appels à la libération du Sahara Occidental, dernière colonie en Afrique, et de la Palestine qui subit les crimes impunis du régime raciste de Tel-Aviv.
Algeriepatriotique a eu le privilège, en mars 2018, de l’interviewer à l’occasion de sa toute première visite en Algérie. Il se rendait à Tindouf où il devait visiter les camps des réfugiés sahraouis auxquels il avait exprimé sa solidarité agissante. Nous reproduisons l’entretien pour nos lecteurs, tant il est d’une brûlante actualité.
Algeriepatriotique : Quel est l’objet de votre visite en Algérie ?
Zwelivelile Mandla Mandela : Nous commémorons et perpétuons le legs de Nelson Mandela. Un de ces legs remonte au début des années 1960. Mon grand-père avait quitté l’Afrique du Sud clandestinement pour mobiliser des soutiens en Afrique au profit de notre lutte de libération, mais aussi pour recevoir une formation militaire, ici, en Algérie. Mais cette commémoration intervient à un moment crucial de notre histoire. Nous participons à la conférence sur la lutte du peuple sahraoui pour l’autodétermination. Comme vous le savez, l’Afrique du Sud et le Sahara Occidental, et plus particulièrement leurs mouvements de libération, l’ANC et le Polisario, ont toujours partagé une même lutte et ont souffert de régimes oppressifs. Cette lutte commune nous a toujours liés, non pas uniquement comme amis, mais comme frères et sœurs en armes dans le but d’obtenir notre liberté.
Est-ce votre première visite en Algérie ?
C’est ma première visite dans la région du Maghreb et également en Algérie que mon grand-père considérait comme sa seconde patrie. L’Algérie est dès lors la seconde patrie des Mandela. Je suis sans doute à des centaines de kilomètres de l’Afrique du Sud, mais l’accueil que j’ai reçu ici, en Algérie, m’a fait sentir que j’étais chez moi.
Vous vous êtes rendu à Tindouf. Comment avez-vous trouvé la situation là-bas ?
A notre arrivée à Alger, nous avons rencontré notre ambassadeur ainsi que l’ambassadeur de la République sahraouie, compagnon d’armes de mon grand-père, lequel m’a raconté de nombreuses anecdotes qu’il a vécues durant la période où il a côtoyé mon grand-père en tant qu’interprète. Nous nous sommes ensuite envolés pour Tindouf où nous avons visité les camps des réfugiés. Pour nous, ce fut une véritable prise de conscience, dans la mesure où nous ne percevions pas, à partir d’Afrique du Sud, la situation difficile qu’endurent les Sahraouis, plus particulièrement dans les territoires occupés du Sahara Occidental. Ce fut donc un réveil brutal à la vue de tout un peuple vivant dans le désert, sans infrastructures, et n’occupant que 25% de ce qu’ils ont pu recouvrer de leurs territoires, les 75% restants étant toujours occupés par le régime oppressif d’apartheid marocain.
Nous avons visité les camps et sommes allés à la rencontre des jeunes et des femmes qui nous ont raconté de vive voix les défis auxquels ils sont confrontés et le combat qu’ils mènent. Nous avons également discuté avec les militants des droits de l’Homme qui nous ont fait part d’un grand nombre de prisonniers politiques et de civils disparus ; le sort de plus de 4 400 prisonniers est inconnu à ce jour. Ce fut un choc pour nous d’apprendre cela.
Nous avons également visité le musée de la Libération où nous avons pu voir les chars récupérés par le Polisario et qui avaient été envoyés au Maroc par le régime de l’apartheid [sud-africain], ce qui a confirmé ce que nous avons toujours dit à ce propos, à savoir que le régime de l’apartheid a toujours soutenu le Maroc et Israël. Et le fait de découvrir ces armes provenant de notre propre pays et ayant servi à combattre nos frères et sœurs [sahraouis] nous a véritablement choqués. Nous avons également été scandalisés par le long mur que le Maroc a construit à l’intérieur du Sahara Occidental et qui nous rappelle le mur que le régime d’apartheid israélien a érigé en Palestine. Mais tout ceci n’éteint pas l’espoir qui est en nous car nous avons tous en mémoire la chute du Mur de Berlin. Nous avons donc dit au peuple sahraoui que le mur que le Maroc a construit sur le territoire sera à son tour démoli. Mais ce qui est encore plus choquant, c’est que le long de ce mur, il y a des champs de mines. Ceci nous renseigne sur la nature du régime marocain.
J’ai conseillé aux jeunes militants sahraouis de faire comme nous en Afrique du Sud qui nous sommes exilés pour être les ambassadeurs de la cause. Nos leaders qui étaient partis à l’étranger étaient devenus les porte-voix de la majorité silencieuse, ils ont voyagé à travers le monde entier pour faire connaître notre situation. Les Sahraouis doivent pouvoir révéler à la communauté internationale les atrocités qu’ils subissent. Il faut qu’ils dénoncent d’une seule et même voix un ennemi commun. Il faut maintenir une pression permanente pour permettre la libération de la dernière colonie en Afrique. L’Afrique ne sera jamais totalement libre tant que le Sahara Occidental est toujours occupé par le Maroc. Nous appelons à l’indépendance et le droit à l’autodétermination du Sahara Occidental.
Votre grand-père a séjourné en Algérie durant la Guerre de libération nationale. Vous parlait-il de cet épisode de sa vie ?
Mon grand-père a toujours parlé de son passage en Algérie. D’ailleurs, je pense que l’Algérie a été, pour lui personnellement, une étape décisive dans sa vie et dans son engagement dans la lutte pour la libération. Il était venu en Algérie pour y recevoir un entraînement en tant que commandant en chef d’Umkhonto we Sizwe (Lance de la nation, bras armé de l’ANC, ndlr). Pour lui, il n’était plus question de rester passif face à un régime d’apartheid oppressif et brutal qui réduisait notre peuple au silence et qui l’assassinait. Aussi devions-nous changer notre attitude face à ce régime tyrannique.
A travers sa formation militaire, il avait élaboré une motion au sein du comité exécutif de l’ANC dans laquelle il prônait le passage à la lutte armée. Mon grand-père fut confronté au scepticisme des leaders du parti qui ne croyaient pas possible une campagne contre l’un des pires régimes du continent africain. Il lui avait fallu donc expliquer qu’il fallait recourir aux actes de sabotage pour déstabiliser le gouvernement et cibler les centrales électriques pour montrer à la minorité blanche ce que la majorité noire endurait dans sa vie de tous les jours.
Mais le plus important dans le séjour de mon grand-père en Algérie fut le lien qu’il avait tissé avec d’autres mouvements de libération nationale si bien qu’il disait souvent que l’Algérie était le foyer des révolutionnaires. «Si Rome est la capitale des chrétiens et La Mecque celle des musulmans, l’Algérie est la maison de tous les révolutionnaires», aimait-il à répéter. C’est en Algérie que nos leaders ont été inspirés par la décision courageuse de l’Algérie qui, à travers Abdelaziz Bouteflika (alors ministre des Affaires étrangères, ndlr) a fait expulser le régime de l’apartheid des Nations unies. C’est à partir de l’Algérie que mon grand-père s’est inspiré pour mener la même lutte [que le peuple algérien] et c’est en Algérie qu’il a pu nouer des relations avec d’autres chefs révolutionnaires africains et latino-américains, dont Che Guevara.
L’Algérie est un pays qui s’est sacrifié pour libérer tout le continent. Et, nous qui avons bénéficié de cet engagement, nous sommes reconnaissants envers l’Algérie de nous avoir aidés à arracher notre liberté et nous vous serons toujours redevables pour votre contribution.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine
(Mars 2018)
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