Houellebecq, Driencourt, islamophobie : le délégué général du CFCM s’exprime
Algeriepatriotique : L’affaire Houellebecq, appelons-là ainsi, est-elle enterrée avec le retrait de la plainte par la Grande Mosquée de Paris ?
Abdallah Zekri : Oh que non ! Le Conseil français du culte musulman, dont je suis le délégué général, maintient sa plainte pour mille et une raisons. Je crois qu’il est grand temps de secouer le cocotier et faire taire ces parangons du racisme et de l’islamophobie qui trouvent dans les médias dominants une tribune pour étaler leur haine du musulman, prenant le contrepied du bon sens et du vivre-ensemble. Je ne cesserai jamais de pointer cette catégorie d’intellectuels jamais inspirés par quelque élévation d’âme, se croyant, parce qu’ils jouissent d’une certaine renommée, investis d’une mission, celle de lézarder la cohabitation entre tous les Français, en jetant l’opprobre sur les musulmans, accusés de tous les maux, bien que tout le monde sache qu’ils sont les premières victimes de ce que Houellebecq et ses acolytes font mine de combattre mais qu’ils encouragent, en vérité, à plus de radicalisme et de violence, c’est-à-dire les extrémistes religieux qui, soit dit en passant, n’existent pas qu’en islam. Leur attitude est absolument opposée à la saine relation qui doit exister entre toutes les franges de la société française.
Quel commentaire faites-vous de l’attaque qui a coûté la vie à trois Kurdes en plein cœur de Paris ?
L’auteur de cet acte terroriste, car c’en est un, étant un non-musulman et les victimes, elles, musulmanes, cela a bien évidemment changé la donne. Les mots deviennent soudain mesurés, pesés dans la bouche de certains journalistes, politiciens et autres vedettes des plateaux télé si prompts à crier au «terrorisme musulman» dès qu’un acte criminel du même genre est commis et avant même que les services de police n’identifient le ou les auteurs. Cet acte répréhensible est, lui aussi, la conséquence directe du discours de haine distillé à longueur de journée sur ces chaînes d’information en continu dont je dénoncerai toujours les graves dérives racistes et xénophobes. J’ai en mémoire cette réflexion d’un journaliste qui fustigeait ses confrères en leur racontant que sa grand-mère qui vit en bonne intelligence parmi une forte communauté immigrée devient étrangement raciste dès qu’elle regarde CNews, BFMTV ou LCI. C’est dire à quel point les Français sont malheureusement conditionnés et réceptifs à ce matraquage qui prend les allures d’une hypnose.
Il y a eu aussi une attaque à la Gare du Nord qui aurait été commise par un ressortissant libyen visé par une obligation de quitter le territoire français…
Justement, cette autre attaque, comme je l’ai précisé auparavant, a eu droit à une couverture médiatique complètement différente de celle de la rue d’Enghien. Dans ce cas d’espèce actuel, ces intervenants, dont je viens de parler, se sont tous focalisés sur la nationalité de l’assaillant dans une évidente tendance à dissiper l’acte précédent commis, nous explique-t-on, par une personne souffrant de troubles psychiatriques. Je voyais une certaine – j’allais dire – joie chez ces commentateurs partiaux qui ont trouvé dans l’origine de l’auteur de la seconde attaque l’occasion de rééquilibrer les choses et de revenir à une situation pour eux «normale», c’est-à-dire celle où le «musulman» tue l’autre et non l’inverse. Je déplore ces manipulations qui s’exercent au grand détriment de l’honnêteté intellectuelle et de la paix civile.
L’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, a prédit l’effondrement de l’Algérie dans une tribune parue dans Le Figaro. Qu’en avez-vous pensé ?
Ma première réaction fut celle de l’étonnement. Je ne comprends pas comment un diplomate chevronné puisse tenir de tels propos sans craindre de paraître ridicule puisque ceux-ci sont aux antipodes de ceux qu’il répétait machinalement lorsqu’il était en fonction à Alger, distribuant les bons points et les épithètes louangeuses à chacune de ses apparitions publiques. Je me rends souvent en Algérie et je suis loin de croire aux balivernes de ce diplomate. Au contraire, je découvre des chantiers partout, signe que le pays avance malgré toutes les turpitudes et en dépit de la crise mondiale induite par la pandémie du Covid-19. L’Algérie semble bien partie pour rattraper le retard. En tout cas, je constate qu’en Algérie, la précarité énergétique n’existe pas et le stress hydrique provoqué par une faible pluviométrie est en train d’être contré par la construction de stations de dessalement financées sans devoir recourir à l’endettement, les caisses du pays étant suffisamment pleines. Les projets industriels vont bon train également. Tout n’est évidemment pas parfait, mais tout est-il parfait en France ou ailleurs ? Donc, pour résumer, je pense que cet ambassadeur aurait dû éviter l’imprudence de commettre une telle ignominie et devrait s’éloigner de la tentation de perturber les relations entre l’Algérie et la France, les deux pays ayant besoin l’un de l’autre.
Macron et Tebboune sont convenus, lors d’un entretien téléphonique, d’un déplacement de ce dernier en France. Comment appréciez-vous les relations entre les deux pays en ce moment ?
Je souhaite que la visite d’Etat que le président Tebboune s’apprête à effectuer en France, en mai prochain, sera l’occasion d’envisager l’avenir des relations entre les deux pays de façon sereine et que les dirigeants algériens et français sauront transcender les dossiers qui pèsent sur ces relations pour atteindre un degré élevé de coopération dans le contexte mondial compliqué actuel. Les deux Présidents, j’en suis convaincu, sont intéressés à prévenir toute détérioration des rapports entre Alger et Paris car, à n’en pas douter, une telle triste éventualité affaiblira les chances de voir l’ensemble du Bassin méditerranéen jouir d’une stabilité et d’une prospérité pérennes, l’Algérie étant un pays pivot dans le Maghreb, le monde arabe et en Afrique et la France jouant un rôle important au sein de l’Union européenne.
Il y a comme de l’électricité dans l’air dans les rapports entre les responsables du culte musulman en France. Est-ce juste une impression ou y a-t-il effectivement des frictions ou, à tout le moins, des divergences ?
Nous tâchons, chacun de son côté, de défendre les intérêts de la communauté musulmane dont nous sommes les représentants cultuels en France. Je vous avouerai que notre action est quelque peu éparpillée, dispersée, et que cet éparpillement n’encourage pas un travail de fond solide et efficace dans ce contexte marqué par une montée sans précédent de l’islamophobie. Je pense, sans vouloir dicter une marche à suivre ou m’immiscer dans le travail des autres, qu’une des missions prioritaires du nouvel ambassadeur d’Algérie en France est de mettre en œuvre la politique du président Tebboune qui tend au rassemblement de toutes les forces vives où qu’elles se trouvent. Je pense que nous sommes concernés par cette nécessité de rapprochement afin d’éviter que notre travail soit infructueux. Nous sommes tous appelés, de par nos responsabilités, à œuvrer au bien-être de notre communauté en France et, pour cela, personne ne peut se targuer de pouvoir remplir cette mission en faisant cavalier seul, en se proclamant représentant unique des musulmans de France ou en s’estimant au-dessus de tous les autres. L’intérêt de ceux dont nous ne sommes que les porte-voix doit être au-dessus de nos petites personnes. Je relève quand même une certaine satisfaction de membres de notre communauté avec lesquels j’échange par le travail fourni par nos consulats, notamment depuis le dernier mouvement décidé à Alger.
Propos recueillis par Karim B.
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