Ces marchands de sable qui mènent une guerre proxy contre leur propre pays
Une contribution de Sid-Ali Hassan – «La conception matérialiste de l’histoire ne peut être comparée à un fiacre dans lequel on peut monter ou duquel on peut descendre à volonté car, une fois qu’on y a pénétré, les révolutionnaires eux-mêmes ne sont plus libre de le quitter.» (Max Weber.)
Cette question en apparence incongrue mérite pourtant d’être examinée avec le plus grand sérieux. Le lecteur aura certainement remarqué que nous ne voulons pas savoir ici si le Hirak est un mouvement nationaliste mais plutôt s’il est encore une émanation nationale exprimant avec fidélité une volonté populaire de concrétiser quelques idéaux sociopolitiques ou est-il désormais un produit d’importation commercialisé strictement par le truchement de la viralité numérique ?
Ce mouvement de contestation qui drainait des dizaines de milliers de manifestants dans toutes les grandes villes algériennes est aujourd’hui un phénomène extra-muros qui s’apparente plutôt à une prière de l’absent. L’absent ici étant le peuple. L’on serait tenté de croire que la disparition de ces impressionnantes foules des rues d’Alger, d’Oran ou de Constantine est d’abord le fruit des mesures restrictives adoptées par les pouvoirs publics ; or, quand on regarde de plus près, on comprend rapidement que la désaffection des foules trouve son explication plutôt dans l’accumulation des frustrations et le désenchantement face à une opposition nihiliste, qui s’est surpassée pour inscrire ce mouvement dans une démarche anarchiste.
Disons-le clairement, l’envergure du Hirak des premières semaines n’a pas surpris le clan de Bouteflika et ses satellites uniquement, elle a également pris au dépourvu une opposition qui ne s’est jamais préparée réellement pour prendre le pouvoir. Habituée à commenter l’actualité au lieu de la faire, cette opposition, à défaut de gains politiques notables, s’est réfugiée, rapidement, après quelques mois d’effervescence effrénée dans la marginalité et la subversion à partir de certaines métropoles occidentales.
En effet, l’une des plus grandes curiosités de ce Hirak résiduel est l’absence quasi totale d’une pensée politique structurée. Pour toute opposition qui se respecte et qui se prépare à gouverner, il est primordial d’avoir un sens aigu de l’Etat et d’être une force politique de proposition. Or, ce que nous observons aujourd’hui au sein de cette nébuleuse hirakiste se limite à un brouhaha «facebookien» sans fin. Un bavardage quasi quotidien sur les réseaux sociaux, ponctué d’attaques ad hominem d’une rare violence contre toute personne qui ose remettre en question l’absurdité de cette démarche.
La question qu’on doit tous se poser dès lors est la suivante : cette misère de la pensée politique qui caractérise le narratif des différents agitateurs qui pullulent sur les réseaux sociaux est-elle fortuite, est-elle réellement le fruit du hasard et de la nécessité ou est-elle un produit fini d’une stratégie dont l’ingénierie implique des moyens colossaux et un savoir-faire dont seuls les Etats peuvent en disposer ?
Pour répondre à cette question, nul besoin de jouer aux fins limiers, il suffit de retourner aux premières semaines du Hirak où, sous des prétextes différents, l’idée de désigner une direction pour coordonner les actions de ce formidable mouvement populaire a été rejetée du revers de la main par ceux qui deviendront quelques semaines plus tard les dirigeants de facto de ce dernier.
Pourquoi refuser l’idée d’une direction collégiale d’un mouvement populaire qui voulait instaurer la démocratie et l’Etat de droit dans notre pays ? Pourtant, comme on a pu l’observer ailleurs, même dans les anciens régimes totalitaires communistes, les mouvements révolutionnaires et réformistes ont été marqués par la présence à leur tête de leaders charismatiques comme Vaclav Havel pour la Révolution de velours dans l’ex-Tchécoslovaquie ou comme le syndicaliste Lech Walesa et Solidarnosc en Pologne pour ne citer que ces deux exemples. Il n’y a que chez nous où le saugrenu concept d’«horizontalité» a été vendu aux manifestants comme un signe d’intelligence et de maturité politique alors qu’en réalité l’objectif poursuivi par cette démarche était de transformer le Hirak en un mouvement de foules et de meutes, sillonnant les rues de nos villes, sans vision et sans aucune feuille de route.
Capturer ce mouvement par un processus de phagocytose pour le transformer par la suite en une affaire exclusive d’une légion étrangère à la solde de gouvernements étrangers a été la plus grande imposture politique de l’histoire moderne de notre pays. Disons-le sans ambages, le Hirak résiduel sert aujourd’hui exclusivement les intérêts de gouvernements étrangers. C’est pourquoi, nous ne sommes pas surpris de voir aujourd’hui des pseudo-militants algériens de la «liberté» insulter avec véhémence les militants du Polisario ou des chefs présumés du Hirak accuser l’Algérie d’être le seul responsable de la normalisation des relations entre le royaume du Maroc et Israël. Des positions et des actions en parfaite harmonie avec les orientations de la politique étrangère d’un pays voisin. Quelle est la motivation d’un militant de la liberté et de l’Etat de droit à insulter un militant ou un prisonnier qui se bat pour l’indépendance de son pays. Poser la question, c’est y répondre.
C’est aussi et pour la même raison que nous voyons aujourd’hui ces rapports incestueux entre les deux organisations terroristes Rachad et MAK qui travaillent désormais la main dans la main dans le but avoué de démembrer un pays qui présente l’un des meilleurs indices de développement humain du continent. Dans les faits, ces alliés objectifs travaillent ensemble non pas par convergence, ni par lucidité mais uniquement parce qu’ils ont le même marionnettiste qui synchronise leur danse.
Accaparer la direction du Hirak par des moyens antidémocratiques, en endormant les citoyens avec le mythe de l’horizontalité pour l’inscrire méthodiquement dans une démarche subversive et anarchiste qui se consacre exclusivement à mener une guerre totale contre son propre pays, n’était que la première étape de ce détournement de la volonté populaire. Elle sera suivie par une véritable campagne de terreur pour exclure du devant de la scène tous les militants qui osaient remettre en question cette dérive mafieuse du Hirak résiduel. Pratiquer le despotisme pour instaurer la démocratie ou l’opacité pour défendre la transparence ne sont que deux aspects de la démarche antinomique d’une opposition qui a vendu son âme au diable.
Dégoiser à longueur de journée sur les réseaux sociaux, au-delà de ses dividendes financiers considérables, vise surtout à créer ce que le sociologue allemand Karl Mannheim appelle une «fausse conscience». Une déformation méthodique de la réalité pour dresser une partie de la population contre leur propre Etat.
Cette misère de la pensée politique qui caractérise le narratif des différents agitateurs, y compris les «chefs» qui pullulent sur les réseaux sociaux, trouve en fait son explication dans la nature même du casting et de leur statut dans la hiérarchie que leurs mandataires ont établi. Ils ne sont ni penseurs, ni concepteurs, ni décideurs ; ils ne sont que des exécutants, des bidasses de la politique en somme.
Gustave Le Bon, dans son livre La Psychologique des foules, écrit en 1929, définit parfaitement bien ces exécutants qui contrôlent les foules et qui se comportent eux-même comme des despotes terrorisant les autres militants : «Les meneurs ne sont pas, le plus souvent, des hommes de pensée, mais d’action. Ils sont peu clairvoyants, et ne pourraient l’être, la clairvoyance conduisant généralement au doute et à l’inaction. Ils se recrutent surtout parmi ces névrosés, ces excités, ces demi-aliénés qui côtoient les bords de la folie. Si absurde que soit l’idée qu’ils défendent ou le but qu’ils poursuivent, tout raisonnement s’émousse contre leur conviction. Le mépris et les persécutions ne font que les exciter davantage. Intérêt personnel, famille, tout est sacrifié. L’instinct de la conservation lui-même s’annule chez eux, au point que la seule récompense qu’ils sollicitent souvent est le martyr.»
Combien de fois avons-nous entendu Mohamed Larbi Zitout et les autres excités de la Toile exprimer publiquement leur désir de mourir comme des martyrs. Les attaques ad hominem contre des anciens militants du Hirak qui ont quitté le navire par clairvoyance est une autre facette de cette dérive despotique, comme le décrit si bien Le Bon.
Pratiquer le despotisme pour instaurer la démocratie ou l’opacité pour défendre la transparence ne sont que deux aspects de la démarche antinomique d’une opposition qui a vendu son âme au diable.
Pour conclure, nul besoin de souligner qu’au sein du Hirak nous pouvons trouver des citoyens bien intentionnés et des militants sincères qui ne souhaitent que du bien pour leur pays et qui n’agissent qu’en concordance avec les valeurs de justice, de liberté et d’émancipation sociale auxquelles elles souscrivent. Pour ces personnes, il serait urgent de faire de ce qui reste du Hirak œuvre utile en le réinstaurant exclusivement dans sa dimension nationale. Il est temps de participer à l’émergence d’une force politique réformiste susceptible de porter à bras-le-corps les rêves et les ambitions de toute une génération.
L’Etat algérien est assez fort pour résister et survivre à toutes les campagnes de déstabilisation, mais il avancera plus rapidement et sera encore plus fort avec l’apport d’une opposition organisée. Pour ce faire, ce mouvement populaire doit sortir de la marginalité et l’opacité compromettante. S’insérer dans le corpus politique algérien doit devenir l’objectif premier des militants sincères. Les nihilistes qui refusent de participer aux élections, qui rejettent le dialogue, qui s’attaquent aux piliers de la nation en nous promettant un «Etat civil» en remplacement de «l’Etat militaire» ne sont que des marchands de sable qui mènent une guerre par procuration contre leur propre pays. Il est important aussi de souligner que les changements politiques sont lents à se produire, ils se construisent par un étagement méthodique des réformes et des acquis. Croire que tous les maux de l’Algérie trouveront leur dénouement uniquement par la voie politique est une cécité idéologique. Les pesanteurs sociales et historiques sont incontournables quand on veut réformer un pays aussi complexe que l’Algérie.
Les grandes révolutions politiques dans l’histoire de l’humanité ont été précédées par de profondes révolutions sociales. La révolution française a été précédée par un renouveau social, culturel et intellectuel grâce aux idées de la renaissance. Aux Etats-Unis, avant la révolution américaine, la vie sociale était marquée par de nombreuses sociétés philosophiques. Les intellectuels américains partageaient les idées des Lumières. Les grandes universités américaines, comme l’université de Harvard (1616), l’université de Yale (1716) et l’université de Princeton (1746) ont été fondées avant même la création des Etats-Unis comme Etat indépendant.
Après quatre ans de fourberie et de forfaiture, la décantation et la houle du temps ont accéléré la mise à nu des néo-harkis, mais ils nous ont surtout révélé un peuple qui sait se retirer avec dignité quand ceux qui prétendent le libérer du joug de la dictature deviennent les serviteurs dociles d’un régime médiéval
La citation de Max Weber en ouverture de ce texte vient nous rappeler que le charme et la suave excitation des commencements peuvent nous pousser sur le chemin d’une aventure dont l’issue ne dépend ni de notre volonté ni de nos désirs premiers. Plus que toutes les richesses dont dispose le pays aujourd’hui, sa plus grande richesse est l’Etat national, en dépit de tous ses dysfonctionnements et ses imperfections. Aucune grande démocratie dans le monde, aucune grande nation, aucune puissance économique ni militaire n’a progressé sans la sauvegarde de l’Etat national. En revanche, tous les peuples qui ont déconstruit leur Etat pour instaurer une démocratie de façade ont sombré rapidement dans le chaos et la barbarie et ont été submergés par des vagues d’injustice, de violence et une érosion irrémédiable de la souveraineté nationale.
Restons vigilants.
S.-A. H.
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