Enquête – Les réseaux tentaculaires du régime voyou de Rabat aux Etats-Unis
Une contribution de Mohsen Abdelmoumen – Nous avons tous été témoins du tremblement de terre qui a secoué le Parlement européen avec ce qui a commencé par le Qatargate, lequel s’avère, plus l’enquête avance, n’être qu’une parenthèse dans un programme de corruption bien plus vaste et qui pointe directement l’influence pernicieuse du Makhzen marocain dans toutes les délibérations et votes des institutions européennes. Désormais, il y aura un avant et un après l’affaire dite du Marocgate qui nous réserve encore bien des surprises. La preuve, aujourd’hui, est que toutes les missions des eurodéputés au Maroc ont été annulées. Mais le Makhzen n’a pas infiltré que les institutions européennes, il est aussi très actif dans d’autres parties du monde, et notamment aux Etats-Unis, où il officie à travers divers organismes de lobbying très influents auprès des membres du Congrès et du Sénat. Il faut dire que l’argent du trafic de drogue est une manne inépuisable qui permet de distribuer des enveloppes bien garnies et d’offrir des séjours agréables dans des riads et des hôtels luxueux à Marrakech, Casablanca, Tanger ou… Dakhla, en territoire sahraoui. Rappelons-nous les lettres du sénateur Marco Rubio et de la députée Lisa McClain qui demandaient au secrétaire d’Etat Antony Blinken d’appliquer des sanctions à l’encontre de l’Algérie. L’état des lieux succinct qui suit pourra éclairer la lanterne de ceux qui émettent des doutes quant à la capacité du Makhzen de s’infiltrer au sein des institutions étrangères, y compris états-uniennes.
Des sociétés de lobbying au service exclusif du Makhzen
Le lobbying marocain est actif aux Etats-Unis depuis les années 1990 et l’un des organes les plus influents de ce réseau a été le Moroccan American Center (MAC), aujourd’hui disparu, qui était dirigé par un certain Edward Gabriel, l’ancien l’ambassadeur des Etats-Unis au Maroc de 1997 à 2001. Ce Gabriel avait eu tout le loisir de goûter aux plaisirs du royaume enchanté de Bousbir pendant ses quatre années à l’ambassade américaine à Rabat. Ça lui a tellement plu qu’il a fondé en 2002, soit directement en quittant ses fonctions de diplomate, la société The Gabriel Company, une société de relations publiques et de lobbying servant à enjoliver l’image du régime féodal marocain et à obtenir des soutiens pour la politique d’occupation marocaine du Sahara Occidental. Le chiffre d’affaires de cette société s’élève à plusieurs millions de dollars par an. The Gabriel Company a été créée exclusivement pour servir les intérêts du Maroc, et les photos illustrant son champ de compétences représentent surtout l’ancien ambassadeur avec Hassan II et Mohammed VI, ce dernier l’ayant d’ailleurs récompensé pour bons et loyaux services avec le fameux Ordre du Ouissam alaouite, gratification réservée aux meilleurs larbins, et dont l’ex-eurodéputé Panzeri, aujourd’hui en prison, a bénéficié également. On remarque d’ailleurs que ces deux individus, tant Panzeri que Gabriel, ont suivi le même trajet, puisqu’en quittant leurs postes officiels respectifs, ils ont fondé des sociétés de lobbying dévolues au Maroc.
Dans sa présentation à la tête de sa société, Gabriel, qui n’a rien d’un ange, n’a pas peur de prétendre qu’il «a dirigé une autre nouvelle politique américaine pour régler le différend majeur entre l’Algérie et le Maroc sur le Sahara Occidental». Nous signalons au sieur Gabriel que le Sahara Occidental est un territoire colonisé qui doit pouvoir bénéficier du processus d’autodétermination tel que défini par l’ONU. L’affaire du Sahara Occidental concerne le Polisario et le Maroc, et l’Algérie n’a rien à voir là-dedans. L’Algérie a juste offert une assistance au peuple sahraoui, en l’accueillant en lieu sûr alors que le général Dlimi le massacrait en le bombardant et en le gazant au gaz moutarde sur l’ordre de Hassan II.
Roger Noriega soudoie les républicains pour le Maroc
En décembre 2021, Joe Biden a nommé Edward Gabriel membre du conseil d’administration de l’Institut américain pour la paix (United States Institute of Peace), qui vient d’ailleurs de publier un rapport sur l’Algérie https://www.usip.org/publications/2023/01/newly-assertive-algeria-seizes-opportunity. Cet organisme a été fondé par le Congrès en 1984 pour, soi-disant, «prévenir et résoudre les conflits violents internationaux, promouvoir la stabilité après le conflit et les transformations démocratiques et consolider la paix». On sait tous ce que signifient ces termes que l’empire utilise pour mieux cacher ses manœuvres de déstabilisation des pays. Gabriel siège également aux conseils d’administration des écoles américaines de Tanger et de Marrakech.
A l’époque de son activité, le Moroccan American Center comportait trois ONG appendices : le Moroccan American Center for Policy (MACP), le Moroccan American Trade and Investment Center (MATIC) et le Moroccan American Cultural Center (MACC), dont les domaines d’intérêt étaient le développement économique, la culture et les arts, et les droits de l’Homme et libertés civiles. Ces centres étaient reliés à des agences de lobbying telles que Vision Americas, une société de lobbying fondée en 2009 et dirigée par l’ancien diplomate républicain et secrétaire d’Etat adjoint sous George W. Bush, Roger Noriega, un enragé contre la gauche latino-américaine qui crache du feu dès qu’on lui parle du Venezuela ou de Cuba, et qui est allié à toute la racaille d’extrême-droite des pays d’Amérique latine comme les Vénézuéliens Leopold Lopez et Maria Corina Machado qui ont tenté de destituer Hugo Chavez et ont continué leurs basses manœuvres contre Nicolas Maduro. Noriega a coécrit la loi Helms-Burton de 1996 visant à renforcer et prolonger l’embargo sur Cuba et a aussi été mêlé au coup d’Etat contre Hugo Chavez en 2002, époque où il exerçait les fonctions d’ambassadeur auprès de l’Organisation des Etats américains. Il a aussi été impliqué dans le coup d’Etat qui a renversé le président Zelaya au Honduras en 2009. Ce sombre individu est de tous les coups fourrés qui ont été commis contre la gauche en Amérique latine. Pour compléter le tableau, il voue une haine tenace à l’égard de l’Iran et du Hezbollah.
Alors qu’aujourd’hui son cheval de bataille est la lutte contre la drogue et les différents cartels, Noriega oublie qu’il a été impliqué dans le financement des Contras lorsqu’il travaillait à l’USAID dans les années 1980, puisqu’il supervisait l’aide «non létale» fournie aux groupes paramilitaires chargés de lutter contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. Le rôle actuel de ce sinistre personnage consiste à effectuer des prises de contacts avec des députés et sénateurs républicains intéressés par les questions sécuritaires telles que le narcoterrorisme, etc. ce qui, bien sûr, lui convient parfaitement puisqu’il a été mêlé au scandale du financement des Contras avec le trafic de cocaïne. Il a d’ailleurs ouvert une antenne de sa société à Bogota en Colombie. Ça ne s’invente pas. Il n’aurait pas pu mieux choisir connaissant le pouvoir des cartels colombiens. Nous ne doutons pas que c’est sa riche expérience dans le secteur du trafic de drogue qui lui a permis de mettre à profit ses connaissances pour le bien du royaume féodal du Maroc dont les grandes spécialités sont justement le narcotrafic et le narcoterrorisme. Si ce Noriega s’est reconverti dans le lobbying axé vers les pays latino-américains, nous avons en notre possession des documents prouvant qu’il a bien été engagé par le Maroc pour promouvoir les intérêts de celui-ci auprès des élus républicains, et notamment une lettre datée du 26 avril 2007 signée par les membres républicains du Congrès et adressée à George W. Bush lui demandant d’approuver le plan d’autonomie du Maroc et de reconnaître le Sahara Occidental comme territoire marocain. Cette lettre avait été envoyée pour signature par Roger Noriega via email aux membres républicains du Congrès.
Les tentacules du lobbying pro-Makhzen au Congrès américain
Il y avait ensuite Gray Loeffler, un cabinet de lobbying cofondé par feu l’ancien membre du Congrès démocrate et whip (ndlr : parlementaire ou représentant chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti) du parti démocrate, William H. Gray III, aujourd’hui décédé et qui a siégé au conseil d’administration de JP Morgan Chase, Pfizer, Prudential Financial et Dell. Très impliqué dans les droits civiques américains, il était très influent auprès des élus afro-américains. L’autre fondateur est le membre conservateur du Congrès républicain du Texas, Thomas Loeffler du groupe Loeffler, qui a été collecteur de fonds pour John McCain à la présidentielle de 2008. Quand on dit que républicains et démocrates sont les deux faces de la même médaille, nous en avons l’exemple parfait avec cette alliance entre deux députés de chaque tendance. Le cabinet Gray Loeffler avait été engagé en 2010 par General Motors pour des services généraux de lobbying, c’est dire s’ils ont le bras long. C’est un certain Ralph Nurnberger, ancien professeur en relations internationales à l’université de Georgetown et ancien lobbyiste de l’AIPAC, qui était chargé du dossier Maroc.
Autre agence de lobbying, Beckerman Public Relations, qui se consacrait à la publicité et à la communication et qui s’est développée pour devenir Antenna Group sous la direction de Keith Zakheim, qui a voulu élargir le champ de ses affaires dans les domaines du climat, de l’énergie, des infrastructures, de l’immobilier, des transports et de la santé. Keith Zakheim est le fils de Dov S. Zakheim qui a occupé diverses fonctions au sein du ministère de la Défense dans l’administration Reagan et qui, plus tard, a été conseiller en politique étrangère de George W. Bush dans le groupe Les Vulcains, dirigé par la néoconservatrice Condoleezza Rice, dans lequel on retrouve les Straussiens Richard Perle, Paul Wolfowitz et toute la bande de néocons qui mettent la planète à feu et à sang avec leurs interventions plus ou moins «soft», leurs révolutions de couleur, guerres, etc. comme ce qui a amené ce que l’on voit en Ukraine aujourd’hui.
Comme on le voit, le Makhzen a depuis longtemps investi dans les agences de lobbying aux Etats-Unis pour obtenir le blanc-seing américain sur la colonisation marocaine du Sahara Occidental, source infinie de richesses, et pour vendre son plan d’autonomie du Sahara qui n’est, ni plus ni moins, qu’une façon de rendre «digeste» une colonisation pure et simple. Toutes les compétences avaient donc été réunies depuis des années pour donner une image enchanteresse du royaume féodal du Maroc, «empire» (puisqu’il prétend l’être) de la prostitution, de la pédophilie, du trafic de drogue et du terrorisme.
Il y avait aussi le Moffett Group, à la tête duquel se trouvait l’ancien député démocrate Toby Moffett qui a toujours affirmé sa ferveur pour la cause de l’environnement, ce qui ne l’a pas empêché de faire du lobbying au niveau international pour Monsanto de 1998 à 2000, c’est dire s’il ne s’embarrasse pas de scrupules. Aujourd’hui, même si le Groupe Moffett n’existe plus, Toby Moffett, lui, continue son petit bonhomme de chemin de lobbyiste en étant coprésident du cabinet Mercury Public Affairs et poursuit sa croisade en faveur du Maroc. La fille de ce Moffett a été liée personnellement et professionnellement à Antony Blinken lorsqu’il était conseiller de la Sécurité nationale sous Barack Obama. Ça non plus, ça ne s’invente pas.
Les millions de dollars et la diplomatie Mamounia
Depuis 2018, le Makhzen payait JPC Strategies, une société fondée et dirigée par James Christoferson, ancien chef de cabinet adjoint du sénateur texan Ted Cruz, pour préserver ses intérêts auprès des institutions américaines, et cela nous renvoie directement aux attaques de Ted Cruz contre l’Armée algérienne et à la lettre de Marco Rubio envoyée à Blinken pour réclamer des sanctions à l’encontre de l’Algérie, Cruz et Rubio étant les deux doigts de la même main par leur appartenance au parti républicain et par leur origine commune, Cuba. JPC Strategies avait sous-traité à trois autres sociétés d’affaires publiques, répartissant 75 000 dollars américains par mois entre Glover Park Group SGR Government Relations et Iron Bridge Strategies. N’obtenant pas les résultats voulus, le Makhzen a mis un terme au contrat de JPC Strategies et a embauché de nouvelles sociétés de lobbying.
D’après les chiffres officiels, l’OCP (anciennement Office chérifien des phosphates appartenant au roi du Maroc) a dépensé en lobbying 12.71 millions de dollars en 2020, 12.53 millions en 2021, 3.524.010 millions en 2022. Le gouvernement du Maroc, quant à lui, a dépensé en lobbying 3.08 millions de dollars en 2016, 239 800 en 2017, 2.39 millions en 2018, 1.83 millions en 2019, 903 000 en 2020, 570 000 en 2021, 629 328 en 2022. Les sociétés de lobbying qui en ont bénéficié pour effectuer un travail d’influence sur les institutions américaines en 2022 sont énumérées ci-après :
Parmi les nouvelles agences, il y a Covington & Burling, le cabinet d’avocats num. 1, aux Etats-Unis, qui a établi des succursales dans toutes les grandes villes du monde : Los Angeles, New York, Bruxelles, Beijing, Frankfort, Dubaï, Johannesburg, Londres, Séoul, etc. Cette agence compte 1 300 avocats dans 13 bureaux répartis à travers la planète. Le Groupe OCP leur a attribué 2.672.224 dollars en 2022. Ce sont eux qui ont empoché la meilleure part du gâteau.
Cogent Strategies est une société de lobbying établie à Washington, fondée en 2017 par une certaine Kimberley Fritts qui en est le PDG. Ancienne directrice de campagne de Jeb Bush, Fritts est considérée comme l’une des meilleures lobbyistes 2022 par The Hill, site d’information américain spécialisé dans l’information politique et institutionnelle américaine. Elle a été embauchée par le roi du Maroc, propriétaire du groupe OCP, via sa filiale OCPNA (OCP North America Inc.), pour représenter ses intérêts auprès du Congrès et du Sénat américains. En effet, le Groupe OCP, premier exportateur de phosphate brut, d’acide phosphorique et d’engrais phosphatés dans le monde, qui, rappelons-le, exploite le phosphate du territoire sahraoui, a subi de plein fouet les mesures anti-dumping aux Etats-Unis à la suite des plaintes de son concurrent américain, Mosaïc. L’OCP a donc décidé de faire appel à la républicaine Kimberley Fritts, très influente auprès des institutions américaines suite à son ancien poste de PDG du Groupe Podesta, acteur majeur du lobbying états-unien aujourd’hui disparu. Elle a reçu 397 819 dollars de l’OCP en 2022. Nous avons en notre possession de nombreux documents officiels, dont un document émanant de l’agence américaine du Groupe OCP et diffusé par Cogent Strategies, pour appeler les fermiers américains à peser de tout leur poids sur leurs représentants afin d’exiger la réduction des taxes de douane pour le phosphate «marocain».
Ensuite vient Cornerstone Government Affairs dont le PDG est Geoff Gonella, très impliqué dans les instituions catholiques américaines, qui a reçu 75 000 dollars de l’OCP en 2022.
La filiale OCP North America Inc. a reçu 358 967 dollars en 2022 de la maison mère, l’OCP.
Le cabinet de lobbying Yorktown Solutions, dirigé depuis 2015 par un certain Daniel P. Vajdich, a reçu, quant à lui, 339 328 dollars du gouvernement marocain en 2022. Il est intéressant de noter que ce Vajdich a été conseiller principal à la sécurité nationale pour les campagnes présidentielles du sénateur Ted Cruz. Les faits sont têtus, on retrouve encore le sénateur Ted Cruz dans le jeu d’influences en faveur du Maroc.
L’agence Thirdcircle Inc. a reçu 240 000 dollars du gouvernement du Maroc en 2022.
Vient ensuite la société DiNino Associates, fondée en 2003 et dirigée par Paul Di Nino, qui a reçu 20 000 dollars en 2022, une aumône par rapport aux autres sommes allouées. Ce DiNino a été consultant chez Cornerstone Government Affairs jusqu’en 2016.
Et enfin, Fleishman-Hillard Inc., une agence qui est aussi répertoriée comme lobbyiste pour l’OCP et qui n’a rien eu en 2022. Cette agence de lobbying est spécialisée dans l’art de rendre sympathiques les problèmes liés aux pesticides, substances cancérogènes, services financiers et énergies fossiles. C’est ainsi qu’elle a été en charge de l’opération de communication pour Monsanto «Let nothing go», afin de diffuser dans la presse et sur les réseaux sociaux des contenus positifs sur le glyphosate.
Pour terminer, nous détenons de nombreuses copies de documents officiels illustrant les propos que nous tenons dans cette enquête. Tous ces noms et ces chiffres énumérés plus haut peuvent être vérifiés. Ce qui n’est pas dévoilé, par contre, ce sont les nombreux «cadeaux» sous diverses formes, comme des enveloppes, des dessous de table, des voyages, des séjours dans des hôtels luxueux, bref la «diplomatie Mamounia» qui a alimenté la presse ces dernière semaines avec le Marocgate. Il n’y a aucune raison que ce qui a fonctionné pendant des années au sein des institutions européennes ne se déroule pas de la même façon ailleurs, le trafic d’influence, la subornation et la corruption étant intrinsèques au mode de fonctionnement du Makhzen.
M. A.
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