Islamisme et populisme : ces deux pestes verte et brune du capitalisme
Une contribution de Khider Mesloub – Notre époque est cernée de toutes parts par les forces réactionnaires. Qu’elle s’exprime sous la forme religieuse, nationale, raciale ou ethnico-linguistique, la réaction a le vent en poupe. Parmi les mouvements rétrogrades les plus revendicatifs, vindicatifs et actifs apparus ces dernières décennies sur la scène internationale, l’islamisme occupe le haut du podium dans le classement des forces obscurantistes. L’idéologie archaïque islamiste s’est mise à s’agiter frénétiquement comme une bête blessée, dès l’instant où les sociétés semi-féodales et semi-coloniales des pays musulmans étaient bousculées dans leurs fondements. Au moment où leur base sociale s’étiolait, à la faveur de l’introduction de nouvelles structures économiques, sociales, politiques et idéologiques. Autrement dit, par suite de la mutation de leur formation sociale, de l’implantation du capitalisme, de la modernisation balbutiante de ces régions.
L’islamisme est l’expression d’une société musulmane travaillée par des mutations sociales profondes. C’est le dernier sursaut d’une bête agonisante tout juste capable de se défendre à coups de griffes religieuses pour tenter d’échapper à son absorption par le modèle capitaliste «occidental» dominant réputé pour sa force dissolvante des traditions archaïques. En vérité, comme je ne cesse de le répéter depuis plus de trente ans, le surgissement de l’islamisme préfigure le début de la fin des sociétés musulmanes. C’est un combat d’arrière-garde porté par les derniers dinosaures de l’islam, reliquats d’une société musulmane en voie de dissolution.
L’islamisme est l’ultime râle d’agonie d’une société archaïque qui accouche au forceps de nouvelles structures socioéconomiques et politiques modernes trop disproportionnées pour le «col de l’utérus sociétal», étroitement enserré dans la tradition. Comme toute naissance difficile et traumatique, cela provoque des dommages collatéraux, cela impacte les fonctions psychologiques pouvant aboutir à la perturbation du fonctionnement cognitif, obérant le développement normal de la société. Mais, une fois le traumatisme de l’accouchement socioéconomique amorti, le processus de résilience sociétal se met en œuvre pour assurer une évolution normative et rationnelle de la société.
Cependant, le surgissement de l’islamisme dans les pays musulmans a été également favorisé, alimenté, attisé et instrumentalisé par les puissances impérialistes, la multiplication des conflits transplantés dans ces pays par ces puissances capitalistes en lutte pour le contrôle de ces régions stratégiques et pétrolifères. Ces tensions impérialistes se sont particulièrement exacerbées et accentuées après la disparition de l’URSS. En effet, au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique, la nécessité de la redistribution de la carte du monde s’est posée avec acuité et invitée avec brutalité sur l’échiquier international.
Pourtant, de manière insistante, tout le monde soutient, y compris les prétendus experts, que le mouvement islamiste est la résultante de la radicalisation de la religion islamique.
Cette théorie est une pure construction de l’esprit fondamentalement spéculative. C’est une explication purement idéaliste du phénomène islamiste. Une chose est sûre : ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, c’est l’être social qui détermine la conscience. En d’autres termes, l’esprit ne guide pas le monde. Ce sont les conditions socio-économiques qui impriment leurs modèles à l’évolution d’une société. Pour preuve, ce phénomène des mouvements islamistes apparaît à une phase de domination mondiale capitaliste corrodée par la déliquescence, déchirée par des tensions impérialistes exacerbées. Il n’a pas surgi à l’époque de sa glorieuse croissance, ou à une tout autre période antérieure de l’histoire. Notre époque décadente favorise toutes les déviances sociales et réactions politiques, toutes les formes de violences à connotations criminelle, sexuelle, politique ou religieuse.
En fait, dans ses manifestations archaïques, l’islamisme n’exprime phénoménologiquement que la forme et non le fond de l’opposition que ce courant représente. Dans son expression politique, la réaction intégriste islamiste est la forme ultime qu’a prise la résistance nationaliste chauvine dans ces pays économiquement et industriellement arriérés, en proie à une crise systémique profonde. En Algérie, cette expression de la crise de la société est portée par l’islamisme et le berbérisme (culturaliste et sécessionniste), produits d’une Algérie en plein bouleversement socioéconomique et politique, en transition historique entre l’ancien monde qui peine à mourir et le nouveau mode de production qui regimbe à naître pleinement. De fait, l’islamisme, expression religieuse d’un combat en réalité politique, traduit la résistance de ce monde suranné, produit du mode de production archaïque féodal, à la pression du modèle économique libéral vecteur de valeurs menaçant l’ordonnancement traditionnel des structures sociales des sociétés musulmanes.
Pareillement, dans les pays occidentaux avancés du point de vue des forces productives et des moyens de production, confrontés à la récession économique et à la crise de gouvernance, on assiste à l’émergence du nationalisme chauvin patriotique, exprimé sous la forme du populisme et du bellicisme dont on aperçoit la première onde de choc en Ukraine, épicentre de la pandémie guerrière en voie de propagation dans l’ensemble du continent européen, du camp occidental.
En effet, à la déliquescence économique vient s’agréger désormais la décomposition politique. Depuis quelques années, la crise économique se traduit par une instabilité politique. Le paysage politique occidental est totalement bouleversé. L’alternance bipartite traditionnelle, en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a volé en éclats. La scène politique est désormais polluée par les formations populistes et religieuses, notamment en Israël. Tous deux se voulant au-dessus des classes, mais de manière différente.
Somme toute, la résurgence du populisme a bousculé le jeu politique traditionnel, avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois classique sur le terrain électoral. En vérité, le populisme, sous quelque forme que ce soit, a toujours occupé la scène théâtrale politique. Mais, aussi longtemps que les vieux partis bourgeois établis pouvaient prétendre apporter de l’espoir, il fut confiné aux marges du jeu et enjeux politiques. Parfois, agité comme un épouvantail par les médias pour rabattre l’électorat au profit des partis traditionnels «démocratiques». Cependant, la configuration politique s’est métamorphosée. Aujourd’hui, pour la bourgeoisie, le «populisme» est maintenant synonyme de la montée des forces alternatives, menaçant ainsi le système qu’elle contrôle. Ces forces populistes ne jouent plus le simple rôle d’agitateurs pestiférés de la politique. Mais elles sont devenues des formations agissantes auréolées de respectabilité politique.
Ainsi, la crise institutionnelle et politique est mondiale. Qu’il s’agisse de l’ébranlement total des Etats caractérisé par la désaffection électorale et la délégitimation des institutions, de l’accession au pouvoir de partis fascistes en Israël ou bien de la résurgence de l’extrême-droite et des formations islamistes, tous ces phénomènes politiques traduisent la décomposition du système capitaliste.
En effet, dans une conjoncture économique mondiale marquée par la récession, le conservatisme néolibéral (responsable du krach de 2007-2008) et le keynésianisme social-démocrate (incapable de financer son Etat-Providence) sont en crise. Ces deux courants idéologiques ont failli dans leurs promesses politiques d’éradiquer la misère du monde. Les modèles économiques libéraux et socio-démocrates ont démontré leur échec. Ils sont en pleine déconfiture. Corollairement, les partis classiques gouvernementaux ont perdu leur crédibilité. Et les cirques électoraux n’attirent plus la foule moutonnière pour assister aux spectacles des clowns politiques, ni aux numéros des prestidigitateurs démagogiques.
Pour autant, ces deux idéologies superficiellement rivales et virales (intégrisme islamiste versus intégrisme populiste) mènent en réalité un même combat d’arrière-garde dans un contexte de crise économique structurelle du capitalisme. L’intégrisme d’extrême-droite se développe dans tous les pays du monde, aux Etats-Unis, en Europe. Et, en particulier, en Israël où il s’illustre actuellement, outre par l’accession au pouvoir de partis fascistes, par le racisme décomplexé, les ratonnades, les pogroms, les expulsions des populations, l’assassinat des manifestants, les bombardements des populations civiles palestiniennes désarmées.
C’est dans ce contexte de décadence du système capitaliste mondial, vecteur d’extrémismes religieux et populistes, qu’il faut inscrire, d’une part, la maladie chronique du monde arabe affecté par la propagation pestilentielle de l’islamisme, d’autre part, la pathologie infectieuse du monde occidental contaminé par la peste brune.
De manière générale, le repliement hystérique identitaire et le déploiement religieux terroriste, dans leurs versions islamique et judaïque (partiellement chrétienne circonscrite à l’Amérique) caractérisent désormais notre époque, affligée de dérélictions protéiformes.
De fait, le projet d’émancipation social ayant brûlé ses vaisseaux, le monde, emporté par de multiples naufrages économiques et chavirements institutionnels, en proie aux tempêtes guerrières, aux noyades sociales, au tsunami du chômage, aux pandémies virales létales, au suicide collectif de la morale complètement à la dérive, le monde donc navigue à vue, sans capitaine vertueux salvateur au gouvernail, sans boussole politique libératrice, sans promesse d’accostage à bon port à la faveur d’un sursaut révolutionnaire.
Partout, dans un monde capitaliste en crise, dans de nombreux pays, les deux formes d’expression réactionnaires populistes (identitaires) et religieuses (islamiste et judaïque) prennent en tenaille les populations soumises à leurs délétères influences idéologiques, leur pestilentielle emprise politique.
K. M.
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