Contre la dérive du CRIF : lettre ouverte à Yonathan Arfi
Dominique Vidal et Rony Brauman viennent de prendre l’initiative d’une lettre ouverte au président du CRIF pour dénoncer ce qu’ils appellent «la dérive» d’une institution dont ils dénoncent la tentation d’endosser le rôle d’une ambassade bis de l’Etat d’apartheid israélien en France. C’est aux citoyens et intellectuels juifs qu’ils ont décidé de s’adresser pour leur proposer la signature de cette lettre ouverte et, en quelques heures, plus de 70 personnes ont répondu à leur appel. L’AFPS [Association France Palestine solidarité, ndlr] considère cette initiative comme importante et très positive. La nécessité de faire entendre une autre opinion juive en France est, en effet, devenue une urgence que nous mesurons chaque jour dans notre travail de solidarité avec le peuple palestinien. Avec cette lettre ouverte, la possibilité est offerte aux Français juifs de se désolidariser d’une politique israélienne particulièrement brutale, raciste et colonialiste et de rappeler au CRIF qu’il n’a ni vocation ni légitimité pour défendre une telle politique en leur nom.
AFPS
Jamais un président du CRIF n’avait affiché avec autant d’arrogance sa prétention à donner des leçons à tout un chacun : à la République, au gouvernement, aux partis politiques, aux intellectuels et aux chercheurs. C’est pourquoi, comme citoyens, intellectuels et juifs, nous avons écrit à Yonathan Arfi afin de le mettre en garde contre le risque que comporte sa démarche, par son fond et son ton.
Monsieur le Président,
Le combat contre l’antisémitisme nous anime depuis des décennies, comme citoyens, comme intellectuels et comme juifs.
Nous divergeons toutefois de longue date avec la conception qu’en défend la direction du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), dont vous êtes devenu récemment le président.
Si nous avons décidé de vous écrire, c’est que votre discours au 37e dîner du CRIF nous semble franchir une étape nouvelle et dangereuse dans le positionnement de votre organisation.
Jamais un président du CRIF n’avait affiché avec autant d’arrogance sa prétention à donner des leçons à tout un chacun : à la République, au gouvernement, aux partis politiques, aux intellectuels et aux chercheurs – la manière dont vous attaquez nommément Pascal Boniface est inacceptable.
Nous n’acceptons pas non plus votre présentation, malgré quelque précaution, de la critique de la politique d’Israël et de la défense du droit international.
En outre, nous ne pouvons comprendre votre obstination à présenter comme «antisémites» les idées antisionistes, dont vous savez fort bien qu’elles ont toujours été présentes – et même longtemps majoritaires – parmi les juifs, en France comme ailleurs.
Nous tenons à vous mettre en garde contre le risque que comporte votre démarche, par son fond et son ton. Vous alimentez, ce faisant, deux clichés antisémites que nous ne cessons de combattre :
celui selon lequel les juifs formeraient un lobby cherchant à imposer sa volonté à notre pays ;
celui selon lequel ils manifesteraient en réalité une double allégeance, à la France et à l’Etat d’Israël.
En profilant le CRIF comme une ambassade bis de l’Etat d’Israël, défendant inconditionnellement la politique de celui-ci, vous ne trahissez pas seulement sa fonction : vous confortez l’amalgame mortifère entre un gouvernement israélien qualifié de «fasciste» par un ancien Premier ministre et les juifs de France, que vous contribuez à transformer en cibles.
Il est temps de revenir à l’inspiration de notre ami Théo Klein : contre la concurrence des mémoires et des victimes, pour une lutte commune pour la paix au Proche-Orient, contre l’antisémitisme et le racisme.
Avec l’assurance de notre détermination à faire entendre une autre voix juive,
Bien à vous,
Tauba Alman, militante associative
Hervé Bismuth, maître de conférences à l’Université de Bourgogne
Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières
Henri Blotnik, documentaliste
Norland Cohen, médecin-anesthésiste
Sylvain Cypel, journaliste
Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l’université Paris Cité
Jacques Dimet, éditeur
Bernard Frédérick, rédacteur en chef de La Presse Nouvelle Magazine
Jean-Guy Greilsamer, militant juif antisioniste
Pierre Khalfa, économiste Fondation Copernic
Sacha Kleinberg, militant associatif
Daniel Kupferstein, réalisateur
Robert Kissous, économiste, responsable associatif
Jean-François Marx
Dominique Natanson, porte-parole de l’Union juive française pour la paix
Annie Ohayon, productrice
André Rosevègue, militant anticolonialiste et antiraciste, Gironde
Dominique Salomon, Association catalane des juifs et Palestiniens
Elisabeth Salomon, retraitée de la Fonction publique
Carol Shyman, programmatrice de films
Mchèle Sibony, militante anticolonialiste
Pierre Stambul, Union juive française pour la paix
Dominique Vidal, journaliste et historien
Evelyne Zarka-Ferrand, professeure des écoles retraitée, ancienne adjointe chargée de la mémoire à la mairie du IVe arrondissement de Paris
Comment (10)