Doux bisounours
Par Mrizek Sahraoui – Le président américain a effectué, la semaine dernière, une visite surprise en Ukraine avant de se rendre dans la foulée en Pologne. A Kiev comme à Varsovie, Joe Biden a fait des annonces, des annonces d’aides militaires et financières substantielles (500 millions de dollars avant que ce chiffre soit porté à deux milliards de dollars) qui font craindre l’escalade. Mais il est aussi question de la mise en œuvre d’une batterie de sanctions contre la Russie, la dixième série depuis le déclenchement de l’opération militaire spéciale en Ukraine.
Les médias occidentaux ont assuré un large écho médiatique à cette visite qui est intervenue à l’occasion de l’an un du conflit. Avec le même récit que celui porté depuis le début par les Américains, les responsables européens et tous les russophobes : il y aurait d’un côté la grande méchante Russie et, de l’autre, la gentille Ukraine au chevet de laquelle veillent les sympathiques et tout aussi doux bisounours occidentaux. Comme si les deux guerres d’Irak ne sont qu’une légende ; la guerre en Afghanistan n’eut pas lieu ; la dislocation de la Libye et les massacres en Palestine ne sont que le fruit de l’imagination.
En revanche, ce que ni les médias, encore moins les tenants du schème de la pensée traditionnelle occidentale n’ont pas relayé, ni même commenté à la marge, c’est que, en annonçant d’autres mesures d’aides militaires et financières, Joe Biden dit clairement que la guerre ne fait que commencer. Le conflit est appelé à durer, en tout cas tant que l’objectif de cette guerre n’aura pas été encore atteint. Un objectif de plus en plus évident au fil des mois : affaiblir durablement la Russie et porter le territoire de l’OTAN aux seuils des portes de la Russie, quoi qu’il en coûtera à l’Ukraine. L’Occident sera, de toutes les façons, là pour prendre en charge les réparations.
Avec les nouvelles livraisons d’armes, de chars, de munitions, de systèmes antiaériens, de drones, annoncées par les différents pays de l’Union européenne et l’aide financière apportée par les Américains, c’est la preuve que l’option diplomatique en vue d’une sortie rapide de la guerre n’est pas, pour l’heure en tout cas, dans les papiers de la coalition occidentale. Dans l’agenda de cette ligue antirusse, la paix entre la Russie et l’Ukraine n’est pas à l’ordre du jour, s’accordent à dire des observateurs.
Des observateurs aux yeux desquels n’a pas échappé ce fait nouveau : se joue, indique-t-on, au travers de cette guerre par procuration, une nouvelle redistribution des rôles dans une Europe totalement soumise aux désidératas des Américains. L’on parle désormais de la mise en place d’un processus de mentorat visant à faire glisser le leadership européen vers l’Est, au profit de la Pologne, des Républiques baltes et, à terme, de l’Ukraine, au grand dam de l’Allemagne et de la France, les deux plus grands perdants de ce conflit. Avec l’aide américaine, la Pologne ambitionne de devenir la première puissance militaire de l’Union européenne à la place de la France.
C’est dans l’ordre du possible puisqu’au moment où Joe Biden profite de la guerre en Ukraine, en vendant du gaz de schiste et du pétrole aux Européens, redessine les frontières de l’Europe, tandis que le président polonais arme son pays à tour de bras non pas chez les fabricants européens mais chez les Américains, Emmanuel Macron, lui, déambule entre les étals du marché de Rungis, goûtant au passage du bon fromage. Une sortie sur le terrain ayant pour but d’exister médiatiquement après plusieurs semaines d’absence, sans doute en raison du conflit social sur les retraites.
Conflit qui couve toujours.
M. S.
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