Interview avec la candidate aux législatives françaises Fatou Sagna Sow
La Franco-Sénégalaise Fatou Sagna Sow est candidate aux législatives des Français de l’étranger, Maghreb et Afrique de l’Ouest. A la suite à l’annulation des élections législatives des Français de l’étranger dans la 9e circonscription(*), il faudra revoter les 2 et 16 avril prochain au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Elle espère qu’ils seront plus de 15% des inscrits comme en 2022 à voter. A ce titre, le vote électronique aura une grande importance du 24 au 29 mars, véritable facilité offerte aux Français de l’étranger.
Eric Bazin : Pourriez-vous nous décrire votre parcours personnel et professionnel ?
Fatou Sagna Sow : Je suis juriste en droit des affaires. Après un passage dans plusieurs cabinets d’avocats parisiens, j’ai travaillé dans des directions juridiques de grands groupes bancaires français, BNP et Société Générale. Avant de quitter la France en 2016, pour venir m’installer au Sénégal, je travaillais dans le cabinet du directeur juridique du groupe Société Générale. A Dakar, j’ai participé activement à de nombreux projets de développement économiques, notamment avec l’ONG Enda Tiers-Monde, créée en 1972, ici, à Dakar, par des femmes et des hommes respectueux de l’environnement et de justice sociale pour le plus grand nombre. Plus récemment, j’ai eu le grand honneur d’être nommée de 2019 à 2020 conseillère technique de la présidente du Conseil économique, social et environnemental du Sénégal, ancienne Première Ministre du Sénégal, actuelle candidate à l’élection présidentielle de février 2024, Mme Aminata Touré.
Et votre parcours politique en France ? Quel rapport entretenez-vous avec la 9e circonscription des Français de l’étranger ?
J’ai une véritable passion pour la politique. Je suis une Franco-Sénégalaise née dans le 10e arrondissement de Paris. J’ai toujours cherché à cultiver un lien très fort avec mon pays d’origine. En 2000, j’ai rejoint une formation politique sénégalaise et panafricaine de gauche, And Jëf PADS. J’ai également milité auprès de la diaspora sénégalaise d’Ile-de-France. Cela m’a véritablement permis de me familiariser avec les nombreuses réalités de la circonscription et d’y construire un réseau solide de décideurs, notamment de la société civile panafricaine. Durant sept ans, j’ai été l’une des responsables Ile-de-France de ce parti. Après quoi j’ai été très proche des écologistes français, notamment durant la très inspirante candidature à la présidentielle de Stéphane Pocrain. Mais c’est finalement au parti socialiste que j’ai adhéré en 2008. Je fais par la suite un mandat de conseillère municipale dans une ville de gauche, Mantes-la Ville. Très belle expérience, durant laquelle j’ai appris les enjeux de la gestion d’un territoire au plus près des préoccupations des administrés. J’ai par la suite été coordinatrice pays pour La République en Marche pour les élections présidentielles, en 2017 et 2022. Je suis désormais indépendante et j’aspire à porter les véritables préoccupations des Français de la circonscription. Juriste expérimentée, forte de mon expérience politique et de ma présence effective dans la circonscription, je saurai valablement représenter mes concitoyens. Enfin, je suis aussi une maman de jumeaux scolarisés dans un établissement français, j’ai été parent délégué durant 5 ans. Et, conseil d’école après conseil d’école, j’ai été confrontée de plein fouet aux réelles problématiques des parents d’élèves.
Racontez-nous votre idylle «macronienne»…
Une expérience fabuleuse en 2017, un souffle nouveau dans la politique française. J’ai été séduite par cette formation politique, porteuse d’une promesse de changement, d’égalité des chances et qui portait dans son ADN ce pragmatisme et cette agilité dans l’action que j’avais pu apprécier durant mon mandat en mairie. Dans les conseils municipaux finalement, les tendances politiques sont rapidement mises de côté pour prendre les mesures de bon sens qui s’imposent. Malheureusement, comme beaucoup d’autres, j’ai quitté cette formation dont je ne partage plus les orientations et surtout les méthodes d’organisation interne. Mais je reste très proche de certains amis et surtout très fière de cette belle expérience où, je crois, nous avons collectivement apporté une certaine respiration à la démocratie française. Mais je pense que l’on peut, et que l’on doit, aller plus loin en matière de cohésion sociale ou encore de lutte contre les inégalités. Je souhaite en finir avec une certaine caste politique, qui, décidément, a la peau dure !
Aujourd’hui, quelles sont vos relations avec le parti du président Emmanuel Macron, Renaissance ?
La rupture est claire et consommée. De nombreuses personnes dans mon équipe et dans mon entourage sont des anciens de Renaissance. Nous nous retrouvons dans des valeurs de gauche, et surtout dans notre volonté de continuer à faire vivre la démocratie française. Nous continuerons à être à l’écoute des Français de la circonscription, de porter leurs préoccupations et leur offrir des espaces de discussion et de concertation. Elue députée, je n’aurai pas besoin d’un parti politique, je donnerai la parole à mes administrés, qui sont les meilleurs experts territoriaux et thématiques de la circonscription.
Quelles sont les raisons qui vous poussent à briguer cette victoire pour la 9e circonscription des Français de l’étranger ? Comment vous imaginez-vous votre mandat de députée ?
Je souhaite me mettre au service de ceux qu’on n’entend pas de Paris. Un mandat à l’écoute de mes administrés. En tant que députée non inscrite, ma seule responsabilité sera de leur rendre compte et de toujours servir leurs intérêts. Pas de réunion de parti, pas d’arbitrage entre les intérêts de mes administrés et les ambitions d’un «leader» de parti. Une seule ligne : servir les Français ! C’est cela l’essence du mandat d’un député.
Sans apporter quelque appréciation sur vos adversaires d’avril prochain, pourriez-vous revenir sur les raisons qui ont amené le Conseil constitutionnel à invalider l’élection du candidat de la Nupes, élu le 19 juin 2022, Karim Ben Cheikh ?
Par une décision du 20 janvier dernier, le Conseil constitutionnel, dans sa mission de contrôle de la régularité du scrutin, a invalidé l’élection de juin dernier. Cela au motif de la survenance de dysfonctionnements dans l’organisation du scrutin. En effet, plusieurs milliers d’électeurs de la circonscription n’avaient pas pu prendre part au vote électronique du premier tour. Le droit a simplement été dit, les Français sont logiquement appelés à se prononcer à nouveau. Espérons que toutes les dispositions seront prises pour que chacun puisse exercer ce droit fondamental durant l’élection à venir.
Dans le nouveau partenariat auquel vous aspirez, entre les Afrique et la France, quelles sont les trois mesures phares pour lesquelles vous vous battrez dans l’Hémicycle ?
Tout d’abord, un droit octroyé à tout Français de parrainer une personne pour un visa d’entrée sur le territoire. En tant que Français, nous sommes tous responsables et parfaitement capables, quel que soit notre lieu de résidence, de toujours faire les bons choix dans l’intérêt de notre pays et dans le respect strict de la loi. Il faut humaniser notre politique des visas. C’est une urgence absolue. Une femme qui met son premier enfant au monde a besoin de sa mère à ses côtés, un Français de l’étranger amoureux a droit de présenter sa fiancée à ses parents trop âgés pour faire le déplacement de Brest à Ziguinchor ! Ensuite, je me battrai pour que les modalités d’octroi des bourses scolaires se fassent de façon moins inquisitoire. Je ne peux comprendre que l’on réclame jusqu’aux relevés bancaires des parents pour soutenir un étudiant dans son parcours éducatif.
Il faut remettre de la confiance, permettre aux parents de faire des déclarations sur l’honneur, quitte à multiplier les opérations de contrôle inopinées. Moins de paperasse administrative, plus de confiance et de responsabilisation. Enfin, je porterai la voix des nombreux entrepreneurs français, toutes ces TPE et PME qui n’ont pas les mêmes avantages que les grands groupes français. Ces entrepreneurs qui ont une approche inclusive et responsable sont les meilleurs ambassadeurs du savoir-faire français. Je me battrai pour les mettre en lumière et pour améliorer les mesures d’accompagnement dans chacune de leurs sphères d’intervention.
Comment dirige-t-on une circonscription de 16 pays depuis… Dakar ?
A l’image de ma campagne, j’aurai des relais locaux dans toute la circonscription. Un député déconnecté des réalités de son territoire ne peut valablement remplir sa mission. Les Français de la circonscription sont des experts territoriaux et thématiques de ces territoires. De par leur expérience de vie. Mon travail sera de multiplier les espaces de discussion et de concertation, pour m’appuyer sur cette intelligence collective afin de trouver les axes d’amélioration du quotidien de tous.
Selon vous, quels sont les problématiques les plus urgentes à traiter pour vos électeurs, de l’Afrique de l’Ouest, comme du Maghreb ?
Une meilleure politique des visas au service d’une vie familiale sereine à laquelle nous devons tous pouvoir prétendre, quels que soient nos choix de lieu de résidence. On ne peut parler de coopération renouvelée en mettant l’aspect humain de côté. Les frais de scolarité de nos enfants sont une autre priorité. La gratuité de l’école n’étant pas financièrement envisageable, à nous de trouver les solutions pour que, nous, ambassadeurs de la France à l’étranger, puissions assurer une scolarité à nos enfants dans les meilleures conditions.
De quels soutiens bénéficiez-vous aujourd’hui ?
Une équipe fabuleuse, et des Français de l’étranger qui se retrouvent dans l’authenticité de ma démarche. Chaque jour, nous sommes de plus en plus nombreux. Je suis fière de porter autant d’espoirs, et à la fois, cela m’engage tellement. Je saurai me montrer digne de leur confiance ! Le peuple est seul juge. Ce scrutin sera, je l’espère, une belle démonstration de démocratie. Je rappelle que dans cette circonscription les taux d’abstention sont supérieurs à 85%. C’est la démonstration, s’il en était besoin, qu’aucune offre politique n’a, jusqu’à présent, été en mesure de mobiliser cet électorat exigeant à juste titre !
Sans trahir vos secrets, pourriez-vous nous présenter l’organisation de votre campagne ?
Mon premier déplacement m’amènera en Côte d’Ivoire, où je retrouverai mon suppléant, César Nahounou, puis je me rendrai évidemment au Maroc et en Algérie, sans oublier d’autres déplacements qui restent à caler. Petite originalité de mon dispositif : la création d’une permanence virtuelle où chaque électeur pourra m’interpeller directement. C’est cela ma conception de la démocratie ! De plus, nous avons des personnes ressources dans tous les pays, avec un maillage plus étendu au Sénégal, mais nous couvrons un maximum de territoires. Je coordonne tous ces responsables au quotidien, qui vivent, avec leurs familles, dans cette circonscription depuis plusieurs années.
Quel regard portez-vous sur la nouvelle relation avec les pays du continent africain ?
Depuis juin 2022, j’ai lancé une initiative panafricaine qui s’appelle New Deal. J’ai des relais dans plusieurs pays du continent africain, au-delà même du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. L’objectif est de créer du lien entre les jeunesses de tout le continent, autour de projets économiques communs, plus inclusifs, pour le bien du plus grand nombre. Le dialogue renouvelé entre nos territoires, «notre New Deal», est le meilleur moyen de montrer cette belle France, que j’aime. Cette France, empreinte de diversité et d’égalité des chances.
E. B.
(*) La 9e circonscription des Français de l’étranger couvre les pays suivants : Algérie, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Sénégal, Sierra Leone, Tunisie.
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