«Papier toilette»
Par Mrizek Sahraoui – La Cour pénale internationale (CPI) vient de sortir de sa légendaire torpeur. Après un long sommeil de loir, elle vient de se mettre en mouvement, mue non pas par le noble objet de son existence, à savoir juger les crimes contre l’humanité commis dans le monde, mais par les desiderata partagés par les alliés occidentaux qui se sont ligués contre la Russie. Elle vient, en effet, d’émettre, ce vendredi, un mandat d’arrêt international contre le président Poutine, qu’elle accuse d’être «responsable de crimes de guerre» qui seraient commis depuis le déclenchement de l’opération militaire spéciale en Ukraine.
Les réactions venant de Russie, qui n’est pas membre de la CPI, sont nombreuses. L’ancien président russe Dmitri Medvedev a comparé le mandat de la CPI à du «papier toilette sans valeur juridique». «La Russie ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal, (…) les décisions de ce tribunal sont [donc] nulles et non avenues», a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin cité par les médias russes.
Que la CPI enquête sur des crimes de guerre, les génocides, sur les violations massives des droits de l’Homme dans le monde, c’est tout à son honneur et c’est sa vocation, dès lors que cela fait partie des principes même de son acte fondateur. Mais, inévitablement, s’impose la demande légitime d’établir le bilan de cette Cour qui fait parler d’elle de façon sporadique, mais jamais avec un réel impact sur justement les crimes commis dans le monde. Le bilan est, le moins que l’on puisse dire, maigre, très maigre depuis la création de cette juridiction internationale fondée pour, en réalité, juger les faibles à la demande des puissants.
Depuis sa création le 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale n’a condamné que cinq personnes pour crimes de guerre. Et ces cinq condamnés sont bizarrement tous des Africains : Germain Katanga, condamné à 12 ans de prison, est congolais.
Thomas Lubanga, condamné à 14 ans de réclusion en 2009 dans l’affaire des enfants soldats, est un chef d’une milice activant dans la région des Grands-Lacs. Le Malien Ahmad Al Mahdi a été condamné à 9 ans d’emprisonnement pour destruction de monuments sacrés à Tombouctou. Bosco Ntaganda, un chef de guerre congolais, a été condamné, en 2021, à 30 ans de prison. Et, enfin, Dominic Ongwen, un chef de guerre ougandais, a écopé, en février 2021, de 25 ans d’emprisonnement. La CPI a jugé aussi les responsables des crimes commis dans l’ex-Yougoslavie.
Et c’est tout. Pourtant, des crimes, des génocides, des violations massives des droits de l’Homme sont régulièrement commises dans le monde sans que l’auguste Cour ait bougé le petit doigt. Citons pêle-mêle quelques exemples de pays victimes d’agressions, où des crimes avaient été commis dont les coupables sont aujourd’hui clairement identifiés mais sont restés impunis, et où la Cour pénale internationale aurait dû agir en vertu de ses statuts et au regard du droit international : l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, le Sahara Occidental, la Palestine ou encore la Syrie.
La CPI juge les faibles, mais, faut-il le préciser, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et puissance nucléaire, ne l’est pas.
M. S.
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