L’espace public source de préoccupation pour la classe dominante française
Une contribution de Khider Mesloub – En France, le mouvement de protestation contre la réforme des retraites, désormais ponctué, à la suite de son imposition dictatoriale par le recours au despotique 49.3, d’occupations quotidiennes de plusieurs places urbaines, notamment la place de la Concorde à Paris, confirme combien l’espace public constitue une source de préoccupation majeure pour la classe dominante. Pour le gouvernement Macron.
Globalement, quelle que soit la forme de gouvernance, démocratique ou dictatoriale, l’espace public revêt une dimension politique hautement névralgique. Mais de manière plus accentuée en France.
Et les dernières déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, viennent rappeler combien le principal souci sécuritaire de l’Etat impérialiste français, c’est l’évitement de l’occupation de l’espace public par des protestataires. C’est l’obstruction d’érection de campements à vocation politique dans les centres-villes.
Comme l’a rapporté France Info : «L’ordre public a également été abordé par le ministre de la police dans son message, dans lequel il accorde une tolérance zéro zadisation.» Autrement dit, tolérance zéro à l’occupation pérenne de l’espace public. Pour rappel, le terme zadisme est issu de l’acronyme ZAD (zone à défendre). Mais ZAD relevait au départ du jargon d’urbanisme. Il signifie «zone d’aménagement différé». Par extension, il a donné naissance au néologisme zadisme pour désigner une forme de campement à vocation politique, de militantisme consistant à occuper des zones que l’on désire préserver, dans le cas des sites naturels, ou «fructifier» politiquement, dans le cas d’une place publique urbaine.
Au XIXe siècle, en Europe, les grandes villes capitalistes ont été régulièrement en proie à des émeutes et insurrections, dont le point culminant fut la Commune de Paris en 1871. Par ailleurs, avec le développement du capitalisme les luttes sociales deviennent de plus en plus urbaines, contrairement aux époques antérieures où elles étaient à base essentiellement rurales (phénomène encore dominant tout le long du XXe siècle dans les pays colonisés ou semi-colonisés). La ville devient ainsi le centre de la lutte. Et la lutte se concentre en ville.
Aussi, dès cette époque troublée, la bourgeoisie, via l’Etat, l’organe chargé de son intérêt général, s’intéresse à l’urbanisme dans une optique essentiellement sécuritaire. Depuis lors, pour contrôler et réprimer aisément les «classes dangereuses», les architectes de la politique antisubversive conçoivent l’urbanisation comme un espace de pacification politique et de désamorçage des conflits sociaux. En effet, avec la naissance du capitalisme, le développement exponentiel des villes a induit une politique architecturale et urbanistique soucieuse prioritairement du maintien de l’ordre établi. Pour ce faire, tout le territoire urbain est configuré dans le dessein de restreindre les relations humaines, d’empêcher les rencontres, l’expression de la spontanéité (artistique, ludique, à plus forte raison politique).
Cette politique urbanistique utilitariste n’est jamais qu’une inscription dans l’espace des rapports sociaux capitalistes, caractérisés par l’exigence de la valorisation du capital et de la reproduction sociale fondée sur une ségrégation spatiale et une inégalité sociale. Aussi peut-on dire que la fracture sociale se conjugue avec la fracture spatiale. Et pour colmater artificiellement ces fractures, notamment en France, l’Etat des riches, hanté par l’unité nationale, s’emploie constamment (mais vainement) à cimenter la population par l’érection de superstructures idéologiques fédératrices, incarnées notamment par les célébrations des héros patriotiques et autres événements historiques, symbolisées par la politique incantatoire de «vivre-ensemble» au-delà de «nos» clivages sociaux, «nos» divergences d’intérêts.
Globalement, dans les pays capitalistes développés, notamment en France, dans la conception étatique de l’organisation urbanistique, l’espace public doit demeurer une zone de non-droit pour ses habitants. En dehors de la fréquentation du lieu d’exploitation appelé entreprise et des temples de la consommation incarnés par les centres commerciaux, les divers boutiques et magasins de commerce, où la concentration massive des foules est encouragée et promue en politique de la ville pour des raisons consuméristes, les habitants sont sommés de confiner leur existence dans leur habitation carcérale bâtie dans ces édifices immobiliers (bidonvilles sociaux bâtis loin de la ville) verticaux, ravagés par la pollution sonore et atmosphérique, la vacuité existentielle et la solitude pathologique.
Ainsi, dans le souci d’harmoniser le capitalisme par l’instauration de la paix sociale et la neutralisation des révoltes insurrectionnelles, l’aménagement urbanistique et architectural est en permanence conçu dans l’optique de contrôle de l’espace public, d’injonction de manière de vivre et de circulation, par ailleurs mise sous surveillance via les caméras et, désormais, via certaines applications numériques.
Au reste, les urbanistes et les architectes ont pour fonction de concevoir un espace public totalement policé, chloroformé, cautérisé. Une architecture urbaine où la bonne «conscience citoyenne» (républicaine et laïque dans le cas de la France) efface toutes les aspérités sociales. Un espace où l’opposition de classe est, au moins amortie, sinon annihilée (idéologiquement s’entend). Une agglomération où les citoyens sans distinction sociale partagent dans un esprit de civilité mercantile les mêmes espaces de travail et de consommation. Un espace «harmonieux», citoyen (républicain, laïc). Construit pour l’apaisement social (un cadre social par ailleurs trop violemment miné par les tensions pathologiques générées par les conditions de vie précarisées et paupérisées). Construit pour la neutralisation des conflits sociaux. La pacification des rapports sociaux et la sécurisation des biens. La protection des gens honnêtes (entendu gens de biens) et de la propriété (privée : prioritairement celle des nantis, il va de soi). Un espace où les distinctions sociales sont diluées, les clivages jugulés, les crispations communautaristes désamorcées.
Néanmoins, un espace urbain où la stratification sociale imprime son empreinte géographique. Donc, dans lequel chaque quartier abrite une classe sociale spécifique. Dans lequel seuls les univers de travail et les surfaces de consommation sont partagés en commun par cette frange de la population à la solvabilité ostentatoirement exhibée pour se distinguer. Dans lequel les agglomérations publiques sont astreintes à la réglementation, soumises à l’interdiction de toute manifestation sans autorisation préalable. Un espace public que seules les forces de l’ordre sont autorisées à occuper sans limitation, à coloniser de manière visible et violente, au besoin pour dissuader toute réunion, attroupement, occupation.
Ironie de l’histoire, le monde capitaliste occidental s’est bâti sur l’uniformisation des modes de vie artificiellement policés et ne survit que grâce à l’uniforme, autrement dit sa police. Dans le monde occidental contemporain sénile, déchiré par de permanents conflits sociaux, caractérisé par la délégitimation des institutions et l’érosion du consensus social, la police est devenue l’ultime et unique rempart de la bourgeoisie, en particulier en France. Quand une classe dominante fonde son pouvoir sur la seule force de la répression, c’est symptomatique de sa faiblesse, annonciatrice de sa disparition imminente.
Sans aucun doute, un relent de fin de régime s’exhale de la France bourgeoise en pleine putréfaction institutionnelle et gouvernance instinctuelle. Le règne de la force prévaut dans ce pays gouverné par des mercenaires du capital atlantiste, déterminés à tailler en pièces les régimes sociaux, à ruiner l’économie nationale, à clochardiser la majorité de la population laborieuse. Y compris par la violence. La terreur policière.
D’aucuns, notamment Arié Alimi, avocat, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, et Xavier Mathieu, ex-délégué syndical CGT de Continental devenu acteur, n’hésitent pas à parler de terrorisme d’Etat pour qualifier la maintenance dans les manifestations en France.
«Il y a une espèce de radicalisation de la maintenance politique dans les manifestations depuis des années, depuis les Gilets jaunes. L’Etat, depuis quelques années, se comporte comme un terroriste dans les manifestations, en fait. La façon de faire taire les manifestations, de faire en sorte qu’il y ait le moins de monde possible, c’est de taper sur les gens pour qu’ils aient peur de ne plus revenir. Ils radicalisent, ils tapent très fort, ils terrorisent en fait, ils terrorisent les manifestants, parce que là ce qui s’est passé samedi (18 mars 2023) justement, ce que je vous explique sur la radicalisation, ça marche trop bien. Il faut faire peur aux gens, la meilleure façon pour qu’il y ait le moins de monde, c’est de faire peur aux gens. Et moi, je vais vous dire, sincèrement, je le dis, il y a des gens qui ont peur, il y a le black-bloc, il y a des gens qui disent : ouais, le black-bloc, c’est violent, mais les trois-quarts des gens à qui je parle et je dis : pourquoi tu ne viens plus aux manifestations ? Ils m’ont dit : c’est trop violent, mais les trois quarts ne me disent pas : c’est violent les black-blocs, ils parlent de violence policière : les gaz, les lacrymogènes, les grenades de désencerclement, les flashballs… Ils ont peur de la police, parce que le black-bloc ne s’attaque pas à eux, ils ont peur des réactions de la police», a déclaré Xavier Mathieu dans sa récente vidéo publiée par Médiapart.
Sur ce registre des violences policières, défrayant fréquemment la chronique, la France a été condamnée par plusieurs instances, notamment l’ONU. Qui plus est, les violences policières en France ont fait l’objet de plusieurs travaux de recherche. Notamment par le chercheur Sebastian Roché. Ce chercheur a souligné le mois dernier qu’en France (officielle) «un certain degré de brutalité est accepté au prétexte du maintien de l’ordre». Il a ajouté : «On dénombre quand même des dizaines de mutilés et blessés graves ces dernières années. Avec également cette peur d’aller manifester en famille qui s’exprime.» Selon ce chercheur, l’Etat français dépêche des escadrons de CRS pour épouvanter et terrifier les manifestants afin de les dissuader de revenir manifester. «Ces unités sont clairement constituées pour faire peur, pour sidérer les gens. C’est leur but. Pendant les Gilets jaunes, les DAR (Détachements d’action rapide), les blindés à roues de la gendarmerie nationale, les hélicoptères, les drones, sont destinés à montrer la supériorité matérielle de la police», a-t-il précisé. «Au-delà de l’usage de la technique, c’est un fait dont la portée n’a pas été bien vue par les commentateurs. La technique de la nasse, très employée lors du mouvement des Gilets jaunes, tout comme les arrestations préventives ont aussi fait leur retour. Tout cela relève de décisions politiques. La question de l’institutionnalisation de ce maintien de l’ordre, de cette routinisation qui porte atteinte aux droits politiques, se pose aujourd’hui», a souligné Sébastien Roché.
Pour autant, la violence et la répression ne constituent pas l’unique instrument de domination et de gouvernance. En effet, l’idéologie «citoyenne» (républicaine et laïque), abondamment distillée par les relais de conditionnement officiels, pourvoit aisément au maintien de l’ordre par l’intériorisation des règles dominantes, l’imprégnation psychologique de la servitude volontaire. Dans le capitalisme occidental totalitaire, les individus, selon le concept de la fausse conscience réifiée popularisé par le philosophe George Lukacs, intériorisent les normes sociales et semblent asservies, dépossédés de leur existence par une forme d’aliénation participative et une participation sociale aliénante.
De manière générale, dans cet espace public où règnent l’anonymat, la séparation et la distance, les relations sociales sont soumises à des règles de socialisation symboliquement codifiées. Ces relations sont régies par des «conduites citoyennes» fondées sur la «civilité» (qui rime avec servilité) et le respect de l’ordre dominant. Les citoyens doivent, certes, vivre ensemble, mais en ordre géographique et social dispersé, et, surtout, dans le respect de l’ordre établi.
A cet égard, pour ce faire, l’urbanisme œuvre à la séparation et à l’éclatement des structures sociales traditionnelles de socialisation populaires pour anéantir toutes les relations humaines non fondées sur des rapports marchands, animées d’un esprit de solidarité et de collectivité. De là s’explique, notamment en France, la politique de stigmatisation et de fustigation des populations immigrées maghrébines et subsahariennes par les autorités françaises. Car elles sont porteuses de traditions collectives et généreuses incompatibles avec les normes bourgeoises individualistes et égoïstes du monde occidental. Les lois sur le séparatisme s’intègrent dans cette politique urbanistique d’éclatement de ces communautés régies par l’esprit de solidarité, la culture d’entraide et de partage, et de résistance à l’emprise de modèles sociétaux occidentalistes jugés décadents.
De fait, depuis plusieurs décennies, notamment en France, pour pacifier l’espace public, l’Etat, par le truchement de ses institutions éducatives incarnées par l’école et la famille (devenues des structures contrôlées entièrement par des instances étatiques noyautées par les mouvements LGBT), impose les bonnes conduites citoyennes dispensées par l’éducation, la pédagogie et l’instruction civique, compendiums de l’idéologie de la pensée dominante bourgeoise décadente. Mais aussi le contrôle social et la répression policière à l’endroit des récalcitrants, des indociles.
L’espace public, dans toutes ses dimensions, de la simple rue au parc, en passant par la place, est soumis aux mesures restrictives de la circulation. Toute occupation «en bande organisée» (sous-entendu collectivement) de ces lieux publics, et ce, quel que soit le mobile (d’ordre artistique, sportif, festif, ludique ou politique), est sévèrement condamnée par la loi édictée par l’Etat, autrement dit par la classe dominante soucieuse du maintien de son ordre établi.
A plus forte raison, toute effervescence sociale opérée dans les espaces publics est perçue comme une perturbation, une atteinte à l’ordre public et appelle, par conséquent, diligemment, une réponse répressive de la part des forces de police, bras armé de la classe dominante.
L’espace public ne doit jamais devenir un lieu d’expression de liberté, exercée par des collectifs en lutte. Car, toute occupation de l’espace public favorise l’émergence de la vraie démocratie populaire et, corrélativement, l’éclosion d’un contrepouvoir susceptible d’ébranler le pouvoir dominant. De là s’explique la propension hâtive des pouvoirs à déloger violemment toute occupation de l’espace public, toute manifestation organisée dans une agglomération, comme on le relève actuellement en France. L’Etat s’emploie en permanence à empêcher la constitution pérenne de rassemblements, d’attroupements, de regroupements propices à la fermentation politique subversive et à la création de collectifs autonomes librement organisés, susceptibles d’initier et d’instaurer un forum de discussion libre, une agora démocratique populaire permanente qui peut se transformer en contre-pouvoir capable de supplanter et d’abolir les institutions dominantes officielles bourgeoises déjà malmenées et délégitimées, c’est-à-dire les rendre caduques, donc illégitimes. Autrement dit, capables d’engendrer une situation de dualité de pouvoir surgie sur un conflit irréductible des classes.
La voie publique ne doit pas être occupée par le peuple, car cela risque de libérer sa voix. Cette voix collective émancipatrice. Qu’il ne faut pas confondre avec la voix électorale concédée par le capital, qui converge toujours vers la même voie : celle des palais gouvernementaux contrôlés par la classe régnante qui demeure toujours maîtresse du pouvoir quels que soient les résultats des scrutins.
Historiquement, cette voix populaire est longtemps demeurée encadrée par ses prétendus représentants assermentés. Lors de ses manifestations de mécontentement social, aucune fausse note ne venait perturber le concert de protestation organisé par les chefs d’orchestre des partis et syndicats «ouvriers», ces virtuoses de la collaboration de la classe.
En effet, longtemps, sous la houlette des partis politiques populistes affidés du pouvoir, notamment en France où le Parti communiste (PCF) et le Parti socialiste (SFIO, PS) avaient pignon sur rue, mais ne ruaient pas dans les brancards tant ils avaient mis depuis belle lurette la Révolution au rancart, les contestations étaient structurellement organisées. Elles respectaient les bonnes conduites citoyennes de l’espace public et de l’ordre établi.
Or, la particularité des nouveaux mouvements sociaux, comme l’avait illustré le mouvement des Gilets jaunes en France, se caractérise par le rejet de toutes les formes organisationnelles classiques de lutte assurées par les instances apolitiques (ONG), politiques ou syndicales stipendiées. Mais, surtout, se singularisent par la répudiation des règles de bienséance urbaines. Dépourvus de toute affiliation doctrinale et de quelque structuration pérenne, dénués de tout projet de transformation social cohérent, ces mouvements anarchiques échappent en apparence à tout contrôle et emprise du pouvoir étatique. Ils occupent désormais l’espace public de manière spontanée et anarchique, comme on l’observe ces derniers jours en France, notamment à la Place de la Concorde et dans plusieurs villes de province.
Pour autant, pollués par l’apolitisme (à différencier du consciencieux antipolitisme), les contestataires contemporains, biberonnés au lait de l’idéologie citoyenne aphasique, versent dans un activisme musculeux processionnel ponctué de dégradations gratuites et futiles, et aussi sombrent dans les palabres aseptisées entre gens de bonnes compagnies. Portés par la petite-bourgeoisie intellectuelle paupérisée en congruence idéologique avec la classe de gouvernance (qu’elle rêve de remplacer ou d’épauler), les mouvements sociaux contemporains s’insèrent parfaitement dans le paysage politique dominé par l’idéologie consensuelle citoyenne pour laquelle la concertation révérencieuse prime sur la contestation radicale, la révolte irrationnelle sans fin sur la Révolution consciente ayant une fin (le renversement du mode de production capitaliste).
Cet activisme prétendument apolitique, sans perspective révolutionnaire et résolument réformiste (voire nihiliste), en vogue dans de nombreux pays, notamment en France, se modèle sur l’individualisme consumériste contemporain massivement répandu dans le monde occidental sénile et décadent. Il est le produit d’une société anomique où domine le chacun pour soi. Il n’est pas étonnant qu’il valorise plutôt les réseaux sociaux dans lesquels triomphent le règne du narcissisme atomisé, la culture irréfléchie de l’instantanéité et de l’utopie prédatrice. Ces adeptes de l’idéologie citoyenne populiste de gauche comme de droite véhiculent l’idée d’une société pacifiée au sein de laquelle la lutte des classes aura disparu et la vraie démocratie enfin régénérée. Comme s’il pouvait exister une démocratie dans une société capitaliste, par essence fondée sur l’exploitation, l’oppression, l’extorsion de la plus-value et la violence policière. Comme tout un chacun peut le constater en France et dans tous les pays occidentaux prétendument «démocratique»
Ainsi, cette petite-bourgeoisie intellectuelle, dominante au sein de toutes les structures politiques, syndicales et associatives, impose non seulement son idéologie, mais elle s’évertue de faire passer ses intérêts spécifiques de classe précarisée pour l’intérêt général. Par son discours catégoriel, elle brouille et efface les antagonismes de classe. En butte à une crise économique et sociale profonde, cette petite-bourgeoisie précarisée et paupérisée, en phase de prolétarisation avancée, occupe l’espace public pour exprimer ses revendications sectorielles qu’elle présente comme l’intérêt général, ce qui arrange bien le pouvoir dominant qui œuvre à la popularisation des questions sociétales, meilleur antidote contre la Question sociale.
En outre, sa contestation ne propose aucune alternative, encore moins une société alternative. Elle alterne supplications obséquieuses adressées aux gouvernants et déprédations et dégradations gratuites. Cette forme de lutte stérile est en congruence avec l’idéologie nihiliste répandue en Occident décadent et belliciste.
Cette viciation de la lutte, dénaturation combative, s’explique sociologiquement par la désindustrialisation des pays occidentaux, l’étiolement de la classe ouvrière, vecteurs de la perte de la conscience de classe, de la culture ouvrière émancipatrice.
A observer les actuels mouvements de révolte menés en France (et dans tous les pays), on relève des mutations au plan de la lutte des classes. En effet, l’entreprise n’est plus l’unique lieu d’expression de la conflictualité sociale. Pour la nouvelle génération de salariés nucléarisés, du fait de la précarisation et de l’atomisation professionnelle, du chômage massif endémique, il devient difficile de s’organiser au niveau de l’entreprise. De surcroît, le capitalisme englobe désormais toutes les sphères de l’existence. De là s’explique l’émiettement de la lutte. La fragmentation sectorielle du combat politique (féminisme, écologisme, antiracisme, etc.), facteur de dépérissement du projet émancipateur universel.
K. M.
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