La France de Macron : un régime sécuritaire bâti sur la répression (I)
Une contribution de Khider Mesloub – En France, «les officiants de l’appareil répressif ont toujours eu le sens de l’ordre avant celui de la légalité, le sens de l’Etat avant le souci du citoyen.» (Philippe Boucher.) Depuis quelques années, à la faveur de l’enracinement de la France dans la crise économique et sociale systémique, corrélativement émaillée par le soulèvement des Gilets jaunes (momentanément interrompu durant la pandémie de Covid-19) et, depuis quelques mois, par le mouvement de révolte contre la réforme des retraites, l’unique réponse apportée par le gouvernement Macron aux manifestants revendiquant leur droit de vivre dignement ou de préserver leurs droits sociaux est la répression.
Macron : la gouvernance par la terreur
Sans conteste, dans une France en proie à de permanentes révoltes sociales, l’Etat ne cesse de muscler son bras armé, affirmer sa puissance coercitive, affermir son autoritarisme, manifester sa force répressive, dresser des remparts de plexiglas pour défendre l’ordre établi, celui de la gouvernance des riches déterminés à préserver leurs privilèges, sauvegarder leur domination. Aux multiples revendications socioéconomiques ou politiques des manifestants, le gouvernement Macron répond, avec toujours plus de férocité et de brutalité, par la répression. Quand la répression policière ne suffit pas à tempérer les ardeurs revendicatives des protestataires en lutte, l’Etat déploie l’armée pour procéder à la pacification du pays, parfois par l’usage des LBD (les lanceurs de balle de défense).
De fait, en France, en particulier depuis l’intronisation de l’employé de banque Rothschild à l’Elysée, aux yeux duquel le peuple français en lutte ne constitue qu’une «foule et une meute illégitime», les répressions policières prennent des formes brutales, aveuglantes à force d’éborgnement des manifestants. Qui plus est, les forces de l’ordre usent de moyens coercitifs et répressifs hautement sophistiqués. La police s’appuie sur un armement toujours plus impressionnant et technologique pour défendre l’ordre établi élyséen. Outre l’exhibition effrayante de bataillons redoutablement équipés d’un arsenal répressif à la technologie militaire meurtrière effroyablement développée (les fameux Robocop), le gouvernement Macron n’hésite pas à déployer des milliers de policiers lors d’une simple manifestation pacifique (notamment à chaque manifestation contre la réforme des retraites, encadrée par une escouade de CRS ; parfois, le nombre des forces répressives dépasse amplement celui des manifestants pour étouffer dans l’œuf toute velléité d’occupation pérenne de l’espace public (1)).
C’est ce qu’on pourrait appeler la démocratie militarisée, la liberté caporalisée, en résumé la société garrottée par les cordons policiers. Une démocratie escortée de blindés et d’escadrons. Manière épouvantable d’intimider et de terroriser les manifestants.
La militarisation des fonctions policières, autrement dit l’application des techniques d’entraînement et d’intervention répressive militarisées, induit inéluctablement une logique de violence. De terreur.
La France de Macron : de la répression militarisée à la militarisation de l’Etat
Sans conteste, en France, il existe une corrélation entre l’introduction de la force paramilitaire comme technique de maintien de l’ordre, notamment par l’adoption d’équipements militaires (casques, boucliers, genouillères, armes létales, etc.) et l’augmentation du degré de violence employée dans les opérations de maintien de l’ordre. Les forces de police militarisées, matérialisées par le déploiement inégalé de techniques et d’équipements militaires induisent une véritable logique de guerre. Qui dit guerre, dit détermination de battre (abattre) l’ennemi, y compris intérieur.
Ces dernières années, particulièrement depuis l’élection de Macron, jamais depuis la Commune de Paris de 1871 (la Semaine sanglante : ce massacre fit 30 000 morts, fusillées sans jugement du 22 au 29 mai 1871, 46 000 prisonniers, des milliers de proscrits et de déportés) et la Guerre de libération de l’Algérie (où la barbarie des forces de l’ordre françaises se déchaîna quotidiennement contre le peuple algérien durant sept ans, même en pleine capitale de la «démocratie» où sévissaient les ratonnades contre les résidents algériens, dont la plus célèbre fut perpétrée lors de la manifestation pacifique d’octobre 1961 à Paris, réprimée dans le sang par le régime républicain et laïc gaulliste, faisant près de 300 morts) on avait assisté à un tel déchaînement de violence étatique contre la population civile. Le point d’orgue de cette dynamique répressive fut atteint lors du mouvement des Gilets jaunes.
Avec les manifestations des Gilets jaunes, les violences policières furent effroyablement sanglantes, à tel enseigne que l’ONU s’alarma et dut intervenir pour sermonner la France. Dans son rapport, Michelle Bachelet, haut commissaire aux droits de l’Homme, rappela à l’ordre, tel un vulgaire pays dictatorial, les autorités françaises et réclama l’ouverture d’une enquête approfondie sur les violences policières recensées lors des manifestations des Gilets jaunes.
Force est de relever qu’à chacune des manifestations organisées par les Gilets jaunes le samedi, on dénombrait des dizaines de blessés graves causés par la répression policière (au total, on déplora plus de 4 000 blessés). Des centaines de manifestants furent éborgnés ou estropiés par les tirs des flash-ball et de grenades de désencerclement. Plus d’une dizaine de personnes furent tuées.
Contre les manifestants, la police utilisait régulièrement des armes de guerre. A chaque manifestation des Gilets jaunes, les forces répressives vidaient leurs réserves de gaz lacrymogène et de grenades, preuve de l’acharnement de ces forces de l’ordre à charger et à mater violemment les manifestants. En outre, les charges sans sommation, les tirs de balles en caoutchouc et de grenades se multipliaient notablement.
Guerre permanente et globale à l’intérieur et à l’extérieur des frontières
Une chose est sûre, en France, cette barbarie policière n’est nullement contingente mais structurelle, systémique. Elle reflète la banalisation des répressions policières, sources d’accroissement des tensions entre les «citoyens» excédés et l’Etat discrédité, disqualifié.
A cet égard, il est utile de relever que, pour l’Etat français impérialiste, la gestion du maintien de l’ordre à l’intérieur de son espace public, avec comme mission l’opération de contention des foules et de neutralisation d’éléments turbulents des classes populaires, s’inscrit dans le même esprit que ses interventions militaires à l’extérieur des frontières. C’est la même logique dominatrice et répressive qui est à l’œuvre. En effet, l’Etat français a objectivé le concept de guerre permanente et globale à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. Pour les dirigeants français pétris de cynisme, à la personnalité psychopathique, lancer des LBD ou des grenades de désencerclement contre les manifestants et lâcher des bombes contre les populations en Syrie, en Afghanistan ou en Libye, avec tous les dommages collatéraux inhérents à ce genre d’interventions militaires, relèvent de la même technique de gouvernance despotique, de la même logique de guerre. En particulier, en période de crise économique et sociale, propice aux turbulences sociales, où l’amenuisement de l’Etat providentiel s’accompagne d’un durcissement autoritaire du pouvoir. Comme on le relève de nouveau, actuellement, à la faveur du mouvement de révolte contre la réforme des retraites.
Désormais, en France, les frontières entre gestion policière et militaire du maintien de l’ordre ont éclaté, comme les manifestants sont systématiquement éclatés.
La distinction entre militaires et policiers s’estompe, comme s’estompe la notion d’ennemis, désormais étendue au peuple autochtone insoumis. Ces deux corps constitués armés remplissent les mêmes missions guerrières de combat indifféremment contre l’ennemi extérieur et/ou intérieur. Assurément, en France, la distinction entre police et armée tend à s’amenuiser, particulièrement vrai dans ce contexte contemporain où les frontières entre l’ennemi intérieur et extérieur se volatilisent. Par ailleurs, pour l’Etat impérialiste français, les interventions militaires à l’extérieur, notamment en Afrique, constituent un terrain inégalé d’expérimentation. Car ces interventions jouissent de conditions d’entraînement et d’aguerrissement sans égal dans l’Hexagone.
A ce titre, l’opération Sentinelle offrait une préfiguration grandeur nature de la mission de l’armée dans le maintien de l’ordre en France. Au reste, depuis le Conseil de défense du 29 avril 2015 tenu sous la présidence de François Hollande, l’armée a étendu ses fonctions d’opérations directes de maintien de l’ordre à l’Hexagone. Durant la pandémie de Covid-19 politiquement instrumentalisée par le gouvernement Macron, les 7 000 soldats de l’opération Sentinelle étaient régulièrement mis à contribution, notamment lors des confinements totalitaires, pour se substituer aux policiers et gendarmes appelés à contrôler les restrictions de circulation et à verbaliser les citoyens imprudents, dépourvus de l’attestation dérogatoire de déplacement, qui rappelle la période de Vichy sous domination des nazis.
La culture répressive légendaire de l’Etat français
En cas de tensions sociales graves, l’armée, armature de l’Etat, chargée de la défense contre les ennemis extérieurs, peut assurer également le maintien de l’ordre contre les menaces provenant de l’intérieur du pays. Comme l’histoire de France l’a régulièrement démontré, le recours à l’armée est systématique dès lors que les tensions sociales s’exacerbent. Force est de constater que ces dernières années, en France, les budgets militaires et sécuritaires ont progressé plus significativement que les budgets à finalité sociale (Macron s’est engagé à augmenter le budget des armées à 413 milliards d’euros sur 7 ans).
L’investissement est observable dans l’augmentation des effectifs policiers et l’accroissement des équipements sécuritaires, fréquemment et massivement mobilisés ces dernières années, en particulier sous la présidence répressive de Macron. Comme on l’avait relevé lors du mouvement des Gilets jaunes, victime d’une impitoyable répression policière.
En effet, au cours de ces opérations de répression contre les Gilets jaunes, outre l’usage inattendu de blindés militaires pour réprimer les manifestants, le gouvernement Macron appela en renfort l’armée pour suppléer les forces policières dans le maintien de l’ordre. Nul doute, le 8 décembre 2018, à Paris, la répression fut exceptionnellement violente. Selon le journal Le Monde daté du 7 décembre 2019, lors de cette manifestation, le commandement des CRS s’adressa à ses troupes en ces termes : «Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci ! Vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants.» Cette sinistre philippique fait écho à celle de l’écrivain Edmond de Goncourt proférée lors de l’écrasement des Communards : «Les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle.» Cette philippique sentencieusement assassine fait également écho à celle du président Charles de Gaulle (et non au lampiste Maurice Papon) prononcée probablement lors de la réunion ministérielle tenue à la veille de la manifestation du 17 Octobre 1961, le jour où les policiers, assurés de l’impunité, massacrèrent des centaines d’Algériens, blessèrent des milliers d’autres. Soit dit au passage, selon les deux historiens anglais, Jim House et Neil Mac Master, les massacres commis le 17 octobre 1961, sous la présidence de Gaulle, constituent «dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale la répression la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subi une manifestation de rue désarmée».
Cela expliquerait pourquoi les successifs gouvernants français (de gauche comme de droite) s’appliquèrent, jusqu’à une date récente, par une omerta institutionnelle doublée d’une censure historiographique à occulter des mémoires cette sombre page de l’histoire de la France, ce monumental crime d’Etat. Quoi qu’il en soit, la répression meurtrière du 17 octobre 1962, comme celle du 8 février 1962 du métro Charonne, s’inscrivit dans le prolongement de la politique répressive sanguinaire décrétée sous le gouvernement socialiste des Guy Mollet et Mitterrand, qui avaient octroyé les pleins pouvoirs aux autorités militaires stationnées en Algérie, notamment au général Massu, responsables des actes de torture systématiques et des milliers d’exécutions. Et dans le prolongement du massacre de masse perpétré le 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. Et dans le prolongement de l’écrasement sanguinaire de la révolte d’El-Mokrani de 1871, et dans le prolongement des enfumades des années 1840… La liste des répressions, tortures et massacres de masse de l’Etat français est impossible à chiffrer tant elle est incommensurable.
Il est utile de souligner que les méthodes sanguinaires employées par l’Etat français révèlent le véritable visage de la classe dominante française, l’imposture de la démocratie bourgeoise, l’hypocrisie de l’idéologie des droits de l’Homme au nom desquels la bourgeoisie française massacre démocratiquement des peuples, ses citoyens récalcitrants.
Par ailleurs, pour revenir à notre époque toujours autant marquée par la répression et le despotisme activement prospères sous le gouvernement Macron, deux activités étatiques qui ne connaissent pas la crise, on pourrait ajouter cette observation : les confinements pénitentiaires meurtriers et la militarisation de la société sur fond de restrictions des libertés individuelles et collectives, décrétés lors de la pandémie de Covid-19 par Macron contre les populations délibérément infantilisées et criminalisées, avaient pour dessein de vacciner ces populations de leurs ataviques prédispositions subversives virales, pour des décennies, notamment par la terreur inoculée dans le corps social ordinairement rebelle. Mais cette tentative d’éradication du virus de la révolte était vaine. Les mouvements de révolte ne viennent-ils pas de reprendre avec une intensité accrue, une puissance de propagation qui dépasse de loin celle de l’épidémie du coronavirus ? Chaque Français est désormais affecté par le virus de la rébellion qu’aucun vaccin coercitif, ni répressif ne peut endiguer.
K. M.
(Suivra)
1- Lire notre article «L’espace public source de préoccupation pour la classe dominante française», publié dans Algeriepatriotique le 20 mars 2023.
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