Alger la blanche enténébrée par l’atmosphère urbanistique salafiste
Une contribution de Khider Mesloub – Bien avant l’accession d’Abdelmadjid Tebboune à la magistrature suprême, notre suprême magistrale capitale avait déjà subi des outrages à l’honneur de ses emblématiques ouvrages. Depuis longtemps, Alger s’était métamorphosée. Elle avait été convertie aux mœurs méphistophéliques de l’Orient. Alger la Blanche, glorifiée par les chanteurs et célébrée par les noceurs, s’était badigeonnée sa sublime face immaculée de noirceurs.
Depuis longtemps, on avait flétri son splendide centre urbain. Altéré sa flamboyante architecture. Dégradé son infrastructure. Ensauvagé ses créatures, autrement dit sa population. Enténébré sa prestigieuse culture. Travesti ses normes vestimentaires locales. Acculé à l’exil nombre de ses nobles résidents. Dévoyé sa population. Perverti son âme populaire débonnaire. Démoli son légendaire sens de l’humour. Alangui sa fibre patriotique et révolutionnaire. Détourné son caractère méditerranéen vers les sables mouvants du caractériel désert arabique. Dérouté son esprit universel vers le particularisme confessionnel orientalement borné.
Aujourd’hui, même son éternel ciel bleu azur ne reconnaît plus sa terre natale algéroise, sa séculaire ville historique. Elle est devenue un affront urbanistique et culturel à ses yeux toujours ensoleillés d’amour pour ses habitants. D’après certaines sources sûres, le ciel aurait demandé un visa d’installation à plusieurs pays européens où se sont exilés à contrecœur de nombreux Algérois pour pouvoir réchauffer leur destin refroidi par les frimas du climat (relationnel) glacial du pays d’accueil. Mais aussi pour trouver refuge auprès d’eux de manière à se blottir dans leur giron réputé pour sa fraternelle et affectueuse protection.
De même les frétillants et pétillants oiseaux de jadis ne pépient plus, ne chantent plus, car affligés de chagrin, accablés de tristesse par le sinistre spectacle offert sous leurs ailes au corps désormais décharné par manque de becquetance à se mettre sous le bec, accaparée par la population miséreuse, devenue avare à force de privations alimentaires infligées par les successifs pouvoirs établis. Beaucoup d’entre eux ont émigré vers d’autres cieux, plus cléments et plus généreux.
Depuis lors, Alger, sous un ciel déchiré quotidiennement par des croassements lugubres catapultés fanatiquement d’Orient, s’est recouverte de voraces corbeaux noirs, se ruant, dans un tumulte assourdissant de frénésies dévotieuses vicieuses, sur sa culture bestialement dépecée, son architecture sauvagement défigurée, son esprit cosmopolite et tolérant scandaleusement mutilé.
En effet, des nuées de silhouettes sombres, s’apparentant à de mystérieuses chouettes noires, au milieu d’autres flâneurs intrus, de jeunes à la vie déjà usée, sous les yeux hagards d’autochtones médusés, sillonnent les sombres artères jonchées de détritus, tapissées d’immondices empestant l’indigence, escortées de crasses d’ignorance.
Tels des corbeaux, dès l’aube, ces silhouettes à la figure grimée de barbe noire ou attifée de turban wahhabite battent le pavé de la capitale d’un pas hésitant, irritant, débilitant, mais avec un esprit fanatiquement militant.
Emmitouflées dans leur tenue de prière exhalant des relents de misère intellectuelle, elles s’aventurent dévotement dans l’espace urbain public algérois dégradé pour prendre d’assaut les chaussées défoncées, les trottoirs engoncés, dans une atmosphère polluée de détresses avec fatalisme assumées, saturée d’agressivité difficilement réprimée, emplie d’humeurs psychologiquement déprimées.
Dans leurs pérégrinations monotones et insipides, elles traînent leur oisive vie avec une anxieuse nonchalance stupide. A croire que leur inénarrable hijab ou leur barbe hirsute leur sert de cuirasse pour camoufler les stigmates de leurs vacuités existentielles, les flétrissures de leur vie sociale stérile, les méfaits de leurs occupations improductives et infertiles.
Sur les principales rues commerciales algéroises sillonnées par de ténébreux zombies exsudant la mal-vie dominent trois types d’établissements de commerce : les boutiques de vêtements bas de gamme pour dames dénudées de flouss mais heureusement couvertes des pieds à la tête de leur accoutrement de rigueur en vigueur dans toute l’Algérie, à la pointe de la modernité islamique et des mondanités haillonneuses ; les boutiques cosmétiques fréquentées par de nonchalants chalands au corps étique, couronné de figure mystique mais dénuée d’éthique ; et les établissements de restauration servant de douteux repas, à l’hygiène et à la diététique à telle enseigne faisandés qu’ils peuvent vous faire passer de vie à trépas.
Ces trois types de commerce symbolisent l’Algérien moderne éborgné par l’islamisme. L’autre œil valide lui sert à lorgner l’Occident mécréant, son véritable paradis, convoité avec de suppliques prières adressées obséquieusement aux consulats pour décrocher le béni visa salutaire, plus socialement lucratif que les «hassanate» renvoyées aux calendes grecques. Cela expliquerait l’aveuglement de son attitude vis-à-vis de son pays, livré à un peuple frappé de cécité qu’on appelle ignorance intellectuelle ou infirmité économique.
Aujourd’hui, sa vie se borne à se vêtir d’habits importés, à se divertir son épiderme à coup de produits cosmétiques importés et, enfin, à se bâfrer d’aliments importés. Chercher l’erreur existentielle et sociale. La production ne semble pas avoir été programmée dans le catalogue des revendications de l’Algérie indépendante. Depuis plus d’un demi-siècle, l’Algérie fabrique en série des enfants (on est passé de 11 millions d’habitants en 1962 à plus de 45 millions aujourd’hui), pourtant elle ne construit aucune industrie afin d’intégrer cette excédentaire population dans la production pour la transformer en force productive. Et pour cause ! Il est vrai que, croyance religieuse et fatalisme aidant, par la grâce de Dieu, le désert pourvoit aux besoins des Algériens au moyen de cet or noir. A quoi bon construire des usines, cultiver la terre ! En attendant, la bourgeoisie étatique et affairiste algérienne a accaparé cet or noir, source de sa richesse obscure. Offrant au peuple juste la bile noire, cette source qui alimente sa mélancolique existence désertique.
Voilà les trois principales devantures commerciales ornant les artères algéroises. Ecrasés sous le poids de frêles immeubles vermoulus d’incuries jusqu’au sommet de leur Etat délabré, chancelants comme le système socio-économique vermoulu vacille sur ses fondements à force de démolition de la politique de justice sociale et de calfeutrement de l’avenir du peuple massivement paupérisé, arborant des façades lézardées de coupables négligences réhabilitatrices urbaines étatiques, ces bazars captivent les regards hagards des bizarres badauds impécunieux mais au tempérament impétueux, jamais parcimonieux d’esclandres courtois publics et de pugilats poignants de coups émotionnels et commotionnels, comme aiment à les asséner chaleureusement les Algérois au sang chaud, tant attachés à leur honneur que tout empiètement constitue un véritable casus belli.
Dans cet Alger anciennement la Blanche, où jadis on ne pouvait y pénétrer sans costard et cravate, aujourd’hui tout le monde déambule en qamis et savates.
Dans cette capitale enténébrée par la sombre idéologie religieuse mortifère salafiste, même les salles de cinéma ont disparu du paysage urbanistique, dépourvu également d’offices touristiques, expulsés à l’étranger par l’incurie étatique.
Les salles de cinéma ont été remplacées par les salles de prière. Le grand écran du cinéma a été troqué contre l’immense tapis de la mosquée. Dans ces gigantesques salles de mosquée à l’entrée gratuite, à l’inverse de tous les autres rarissimes lieux de divertissements et de loisirs tous payants, facturés à des tarifs prohibitifs et, donc, dissuasifs, pour ne pas dire répulsifs, on ne diffuse qu’un unique programme. Le scénario est invariablement et immuablement identique aux cinq séances quotidiennes. Pas de péripéties. Pas de rebondissements possibles. Ainsi en a décidé le réalisateur céleste et son metteur en scène sur terre. La masse moutonnière assiste passivement à la diffusion de sa vie en spectatrice prosternée devant un destin élaboré, selon elle, dans la salle de montage céleste. La vie muselée de cette masse moutonnière, remise entre les mains de Dieu, socialement immolée par un système économiquement sacrificateur, défile au ralenti, sans péripéties heureuses ni rebondissements salvateurs ni épilogue social émancipateur. Elle défile dans le dénuement sans perspective de dénouement. Au milieu d’une société algérienne consumée par la désolation sanitaire et intellectuelle, privée d’horizon social. Une Algérie qui prend eau de partout, excepté dans les habitations populeuses désertées par cette source de vie, par la faute de la gestion calamiteuse des services hydrauliques ; envahies par le désert alimentaire faute de ressources pécuniaires taries par l’austérité économique infligée à une population algérienne menacée de malnutrition à force de pénuries et de flambées inflationnistes.
En guise d’ambitions, la jeunesse algéroise ne rêve que de conquêtes gauloises pour décrocher l’amour de long séjour résidentiel, d’accostages français pour s’immerger dans les eaux troubles de la vie précaire hexagonale, d’aventures européennes avec le risque certain de noyer définitivement son espoir en pleine embarcation échouée en mer méditerranéenne.
Trompée par le pouvoir gérontocratique FLNnesque qui, depuis l’indépendance, navigue à vue faute de boussole politique et économique engloutie au fond d’un océan de gabegie structurellement instituée par une nomenklatura kleptomane, en attendant la majorité de la jeunesse trempe son ennui dans les eaux glacées du désarroi, du désespoir, du suicide social et l’anomie existentielle.
Paradoxalement, dans ce pays méditerranéen pourtant baigné d’eau, ces forces vives de la nation ne peuvent même pas s’adonner à la natation. En effet, pour tromper son ennui suintant d’afflictions, la jeunesse algéroise ne trouve aucune piscine pour tremper son corps déshydraté par la sécheresse de sa monotone vie, mais détrempé de sueurs de ruminations anxieuses.
Même la plage n’est plus à la page. Le splendide littoral de la mer a subi des ravages, des outrages, sur ses rivages. Une chose est sûre : nos plages ne connaissent pas le chômage, devenues sources de profits et d’agiotages pour les spéculateurs spécialistes du traficotage, ces requins qui ont pris l’Algérie en otage. Les anciennes paisibles plages du littoral algérois à la mer pure et cristalline ont été transformées en décharges publiques où viennent s’échouer et s’agglutiner des hordes de vacanciers sauvages et d’estivantes affublées de scaphandres salafistes, probablement pour éviter le naufrage de leur corps doctrinal encombrant leur petite cervelle congestionnée d’archaïsmes stérilisants.
Dans cette capitale outrancièrement bétonnée, anarchiquement dilatée, même les routes sont devenues aujourd’hui des cimetières à ciel ouvert où circulent sauvagement des cercueils ambulants conduits par des fous du volant, probablement des fous de Dieu, pour qui la vie sur terre n’a aucune saveur, la vie d’un être humain n’a aucune valeur : cela expliquerait leur propension à devenir tueur.
Dans cette capitale, jadis pépinière de bibliophiles, peuplée de librairies (comme l’a résumé un ami journaliste «la belle époque où même le vendeur de tissu était un intellectuel ! Aujourd’hui, même le détenteur d’un doctorat de l’université est inculte !), les derniers grands lecteurs de naguère ont brûlé leurs dernières cellules grises lumineuses à l’époque de la décennie noire, consumées d’abord par l’islamisme rompant, ensuite terrorisant, et désormais envahissant.
Ironie du sort, dans cette belle capitale, ville de mon enfance et de ma jeunesse, de tous les édifices encore provisoirement debout, seule la gigantesque dispendieuse mosquée algéroise, érigée par l’ancien président Bouteflika, royalement destitué par le valeureux peuple algérien lors du Hirak, est solidement bâtie aux normes modernes. Les autres bâtiments tombent en ruines, à l’instar de toute la société algérienne en plein délabrement, corrodée par les crises économique, sociale, sanitaire, politique, morale.
Comme l’a écrit Neil Bissondath : «La nostalgie ? Ça vient quand le présent n’est pas à la hauteur des promesses du passé.» Telle est la raison d’être de cette chronique emplie d’amertume, de désillusions, mais toujours imprégnée d’espoirs.
Pour conclure, advienne que pourra : à nos yeux nostalgiques embués de larmes de rage tragique, Alger demeure toujours blanche. El-Bahdja demeure toujours cette capitale admirée du monde entier. Cette sacrée ville baptisée autrefois La Mecque des révolutionnaires mais devenue aujourd’hui le Goulag islamiste des Algériens.
Alger vaut bien toujours une déambulation flâneuse, un séjour prolongé, une habitation pérenne. Une nouvelle reconstruction. Un blanchiment pour effacer les noirceurs de sa vie architecturale, urbanistique, culturelle.
Cette captivante capitale vaut bien une prière capiteuse ! Un copieux plat de fruits de mer partagé avec les copains !
Alger, je t’aime. Alger, nous t’aimons.
K. M.
Nota bene :
a- Le choix du terme corbeau n’est pas fortuit. Dans notre texte, il symbolise les islamistes. Par son apparence comme par son caractère, le corbeau ressemble étrangement au salafiste. Dans de multiples sociétés, dès l’Antiquité, le corbeau, annonciateur de mauvaises nouvelles, lié à la mort et aux ténèbres, est considéré comme un animal extrêmement malfaisant. Hôte des cimetières et amateur de cadavres, son cri lugubre fait frissonner et porte malheur. Oiseau de malheur, le corbeau, créature maléfique, fait plus souvent naître l’effroi et le rejet que le respect et l’enthousiasme.
b- N’y voyez aucun snobisme ni «algéroinisme». J’aime toute l’Algérie. Il s’agit juste d’un hommage personnel rendu à Alger de mon enfance, de ma jeunesse, en ces temps sombres marqués par une crise multidimensionnelle, où les souvenirs affluent à la surface de ma mémoire. Et les dégâts décrits d’Alger s’appliquent en vrai à toute l’Algérie. A travers Alger, c’est toute l’Algérie glorieuse de jadis que je pleure, mais de larmes de fierté d’avoir côtoyé cette ancienne Algérie postindépendance peuplée d’hommes et de femmes valeureux qui, partout, par leur prestance et leur noblesse d’esprit, forçaient le respect, suscitaient l’admiration, attiraient l’affection !
Comment (45)