Les caricatures islamophobes en France ou la liberté à géométrie variable
Une contribution de Khider Mesloub – Ces dernières années, les Français, pourtant en proie à la dégradation de leurs conditions d’existence, sont abondamment nourris au dogme de la laïcité revendicative et vindicative, complaisamment distillée par leur classe politique et les médias stipendiés. D’aucuns ont décidé de relancer la revendication de prohibition de tous les signes religieux musulmans, y compris la littérature islamique, au moment où ils brandissent, avec leur président Macron en tête (qui avait, en digne héritier du pape Urbain II, confessé ne pas «renoncer aux caricatures» du Prophète Mohamed, quitte à déclencher une «croisade laïcarde bourgeoise» contre les musulmans), leur droit à la caricature, quand bien même certains dessins nauséeux et indécents ridiculiseraient le Prophète Mohammed, dessiné dans une posture pornographique et offensante.
Certes, le blasphème ne s’applique pas aux incroyants. Il est inhérent aux religieux, aux adeptes de la même religion, soumis à des proscriptions d’ordre théologique. Néanmoins, la caricature ne doit pas, non plus, prendre comme modèles de dessin l’univers cultuel sacré propre à une autre religion. Autrement dit, autant le blasphème ne s’applique pas à un pays laïc (sécularisé), aussi la religion, considérée comme une opinion ou une idéologie, peut-elle faire librement l’objet de critique ; autant les caricatures d’un pays laïc (sécularisé) ne doivent pas prendre comme modèles de dessin satiriques des symboles cultuels sacrés d’un autre pays (d’une autre civilisation) profondément religieux.
Qui plus est, il ne faut pas confondre caricatures (satires humoristiques) et diffamation infamante exécutée au moyen de dessins dans le dessein d’humilier ; satires et gauloiseries graveleuses. Ne pas confondre dessins classiques politiques à caractère humoristique (ciblant un gouvernant caricaturé dans le cadre de ses fonctions officielles et non de sa vie personnelle) et caricatures propagandistes ciblant une «communauté» aux fins d’inciter à la haine et de provoquer des clivages «ethniques» ou religieuses au sein de la société, sur le fondement de la devise «diviser pour mieux régner», dissimulée derrière le paravent idéologique de la laïcité.
A l’époque, y compris l’ancien ministre de l’Education, Luc Ferry, avait jugé les caricatures exhibées par le professeur Samuel Paty à ses élèves, en guise de support pédagogique pour enseigner la liberté d’expression, «à la limite de la pornographie». Il avait déclaré sur France-Info : «On n’est pas obligé, pour enseigner la liberté d’expression, de montrer des caricatures qui sont à la limite de la pornographie».
Pour rappel, même l’ONU s’était emparée du débat incendiaire sur les caricatures soulevé en France. En effet, le haut représentant pour l’Alliance des civilisations des Nations unies, l’Espagnol Miguel Angel Moratinos, avait appelé dans un communiqué «au respect mutuel de toutes les religions et croyances». L’ONU «suit avec une profonde inquiétude les tensions croissantes et les cas d’intolérance déclenchés par la publication des caricatures satiriques du prophète Mahomet, que les musulmans considèrent comme insultantes et profondément offensantes». «Les caricatures incendiaires ont également provoqué des actes de violence contre des civils innocents qui ont été attaqués pour leur religion, croyance ou appartenance ethnique». «Les insultes aux religions et aux symboles religieux sacrés provoquent la haine et l’extrémisme violent conduisant à la polarisation et à la fragmentation de la société», avait déploré le responsable onusien.
A travers le monde musulman, des fidèles avaient réagi avec colère lors de manifestations aux propos du président français, tandis qu’une campagne était lancée dans plusieurs pays pour boycotter les produits français.
La conversion de la laïcité française en dogme de stigmatisation des musulmans
Tout portait à croire que cette croisade «laïcarde», montée en épingle à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty, tombait à point nommé pour le président Macron afin de cautionner son projet de loi populiste contre le «séparatisme», visant en réalité à faire des populations de confession musulmane les boucs émissaires de la crise multidimensionnelle actuelle, populations présentées comme menaçant la sécurité des bons citoyens français respectueux, eux, de l’ordre établi (sic).
Cette entreprise de propagande antimusulmane, toujours aussi prégnante, est souvent justifiée et légitimée au nom de la laïcité. Or, la laïcité, originellement fondée sur la neutralité vis-à-vis des religions, est aujourd’hui convertie en instrument de stigmatisation des adeptes de la religion musulmane. En effet, historiquement, aux yeux des républicains français de la fin du XIXe siècle, la laïcité constituait un instrument politique brandie pour soustraire à l’Eglise catholique son emprise sur l’éducation des enfants en vue de la transférer à l’Etat, mais jamais une arme de guerre contre la religion. Au reste, tel était le «programme pédagogique» de Jules Ferry pour qui «l’enseignant avait pour mission de ne pas s’opposer aux croyances religieuses des parents d’élèves».
Entre les mains des classes dirigeantes françaises contemporaines en plein ensauvagement sociétal et hystérisation belliqueuse, ces dernières décennies, la laïcité est devenue un instrument de stigmatisation de la religion musulmane, actionnée pour diviser les classes populaires de France, affaiblir leur unité sociale par les fausses divisions religieuses, délibérément accentuées pour acculer les Français de confession musulmane à se dissocier de leurs «frères de classe» du fait de leurs supposés particularismes confessionnels incompatibles avec les valeurs républicaines et laïques de la France (sic).
Certes, il faut combattre l’emprise réactionnaire religieuse, notamment islamique, mais non au moyen de mesures coercitives étatiques stigmatisantes et intimidantes, comme l’applique insidieusement l’hystérique gouvernement Macron qui jette en pâture les Français et immigrés de confession musulmane à la vindicte populeuse, afin de dévoyer les griefs et la colère de la population française formulés, successivement, contre la gestion calamiteuse gouvernementale de la crise sanitaire du Covid-19, la dégradation sociale de ses conditions de vie provoquée par l’hyperinflation spéculative, la réforme des retraites inique.
Rationnellement, si ce n’est pour des mobiles idéologiques machiavéliques, est-ce la conjoncture opportune d’ouvrir un autre front de psychose collective du droit à la caricature, sous couvert de la défense laïcité ? C’est désespérément caricatural cette surenchère élyséenne. Les fous de Dieu islamiques ont trouvé en face d’eux un président fou de la laïcité, une classe politique française fanatique du laïcisme.
Ironie de l’histoire, ce même président et cette même classe politique décadente française, qui défendent avec véhémence la liberté d’expression et de caricature, jusqu’en dans sa version de la dérision des symboles religieux, condamnent systématiquement toute représentation du président Macron dans des caricatures liées à l’histoire sombre de la France et de l’Europe.
C’est ainsi que Macron a fait retirer illico presto, à plusieurs reprises, toutes les caricatures, affiches et effigies le représentant en personnage historique sulfureux, notamment en Hitler. De même qu’il a fait condamner par la justice le responsable de ces multiples caricatures.
La dernière affiche incriminée, placardée à Avignon le jeudi 18 mai, représente Macron caricaturé en Hitler avec une moustache 49.3. Des dizaines d’affiches ont été, en effet, placardées dans les supports de l’afficheur Clear Channel et dans les abris de bus. L’affiche reprend en photo l’œuvre du grafeur Lekto avec un hashtag «agir ou subir». Par précaution, la mention «ceci est une affiche satirique» (sic) est apposée au bas de l’affiche.
Une liberté de caricature à géométrie variable
Pourtant, aussitôt le parquet d’Avignon, autrement dit le représentant de l’Etat, a décidé de l’ouverture d’une enquête contre X pour injure à l’égard du président Macron.
Tous les fanatiques défenseurs de la liberté d’expression et de caricature sont montés au créneau pour condamner les affiches représentant Macron caricaturé en Hitler. Notamment les membres de la majorité présidentielle. Le parti présidentiel Renaissance en Vaucluse a dénoncé ces affiches. «Inadmissible», a dénoncé l’antenne départementale du parti de la majorité, qui a adressé son soutien au président Macron. Une «attitude irrespectueuse» et «intolérable» pour la présidente de Renaissance en Vaucluse, Malika Di Fraja.
«Il est grand temps de sanctionner de la façon la plus sévère possible ceux qui s’adonnent à de telles campagnes odieuses», a tweeté le président de la région, Renaud Muselier. La préfète de Vaucluse a condamné le caractère «injurieux» de ces affiches. Pour sa part, le ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, a jugé les affiches «répugnantes et scandaleuses».
Cette levée de boucliers contre les affiches représentant Macron caricaturé en Hitler rappelle l’indignation soulevée également par la publication des caricatures du publicitaire Michel-Ange Flori pendant la campagne de vaccination contre le Covid-19. Il avait également représenté Macron en Adolf Hitler sur des affiches collées sur des panneaux à la Seyne-sur-Mer et à Toulon. Sur Twitter, Michel-Ange Flori avait écrit : «Je viens d’apprendre que je serais entendu au commissariat de Toulon demain sur plainte du président de la république. Ainsi, en macronie, on peut se moquer […] du Prophète, c’est de la satire. Mais grimer le président en dictateur, c’est un blasphème.»
Fréquemment, ces dirigeants français «démocrates», défenseurs acharnés de la liberté d’expression journalistique et artistique quand il s’agit de caricaturer l’islam et les symboles musulmans, notamment le Prophète Mohammed, se métamorphosent en antagonistes et détracteurs de cette même liberté quand un artiste caricature leur président. C’est deux poids, deux mesures. Une liberté de caricature à géométrie variable. Acceptable et défendable quand elle s’applique aux musulmans et les symboles islamiques. Mais inacceptable et condamnable quand elle prend pour cible le président Macron ou les symboles de la République française. Encore davantage quand elle cible une personnalité de confession juive ou la communauté judaïque : c’est toute la classe politique, voire toute la France, qui envahit la rue pour fustiger l’artiste, exiger sa condamnation. Son excommunication, son bannissement.
Ainsi, le président Macron défend ardemment la liberté de caricaturer, «quoi qu’il en coûte». Or, cette liberté d’expression de la caricature semble ne s’appliquer qu’à l’univers culturel et cultuel musulman. Effectivement, essayez de caricaturer le culte judaïque ou l’Holocauste : vous vous exposez à des poursuites judiciaires, vous encourez une lourde condamnation pénale et financière. Quand bien même le juif serait présenté dans les dessins de Charlie Hebdo, il ne serait jamais seul mais configuré discrètement aux côtés de l’imam et du curé, histoire d’accréditer la propagande selon laquelle les trois religions monothéistes seraient impartialement étrillées, pilonnées, caricaturées en France.
On se souvient comment l’Etat français, notamment son institution éducative (les professeurs) et ses organes de propagande médiatique (les journalistes), en dépit des protestations des dirigeants de plusieurs pays musulmans et de nombreuses manifestations violentes organisées notamment au Pakistan, au Bangladesh, en Indonésie, en Inde, en Afghanistan, avait maintenu la publication et la diffusion des caricatures. Les caricatures de Charlie Hebdo continuent d’être fréquemment republiées par les périodiques français. De même, ces caricatures figurent désormais comme support pédagogique à destination des écoles. Paradoxalement, au pays de la liberté d’expression, si des élèves, considérant être offensés par les caricatures, émettent des réserves ou critiques d’ordre pédagogique sur ces caricatures, ils risquent d’être interpellés pour apologie du terrorisme.
Les caricatures seraient-elles tolérables en fonction des univers symboliques représentés ? Comment doit-on interpréter l’indignation de la classe dirigeante française provoquée par les affiches représentant Macron caricaturé en Hitler ?
Caricaturale démocratie hypocrite badigeonnée de despotismes
Pourtant, selon ces défenseurs de la liberté d’expression, en matière de critique satirique, rien n’est sacré. Tout est objet de dérision. Aucune autocensure n’est tolérable. Ni aucune censure. La satire est amorale. Elle transcende les considérations morales, éthiques, politiques. Elle fait fi des susceptibilités personnelles, religieuses, politiques. Par-delà la morale, comme le dirait Nietzsche, voilà sa raison d’être. Mais, en France, avec sa caricaturale démocratie hypocrite, badigeonnée de despotismes en toile de fond, la liberté de caricaturer n’est valorisée que pour l’univers culturel et cultuel musulman.
Sans conteste, le propre de la satire n’est pas de plaire mais de provoquer, notamment le pouvoir et la société. Mais à focaliser à dessein la provocation sur l’univers cultuel islamique, la caricature française, notamment celle diffusée par Charlie Hebdo, vise en vrai les musulmans, outrancièrement ridiculisés, humiliés, figurés dans des postures dégradantes, déshumanisés. Comment interpréter le dessin de Riss intitulé «Le Coran c’est de la […], ça n’arrête pas les balles», qui a fait la une de Charlie Hebdo le 10 juillet 2013, montrant un musulman mitraillé par des balles traversant le Coran qu’il tient contre lui ? Assurément, Charlie Hebdo, périodique longtemps ennemi des institutions dominantes irrévérencieusement caricaturées, est devenu obséquieusement l’allié du pouvoir qui l’a enrégimenté, au nom des valeurs de la République bourgeoise impérialiste française et de la laïcité réputée pour son élasticité idéologique islamophobe, dans sa croisade contre les Arabes et les musulmans.
C’est sur le front de la lutte contre la crise sociale et économique que la population française attend toujours la démonstration de force du président Macron, qui fait preuve d’une faiblesse coupable pour combattre le chômage, la détérioration des conditions sociales. Et d’un sadisme tortionnaire à euthanasier professionnellement les travailleurs, en leur infligeant une réforme inique qui prolonge de deux années leur exploitation salariée. Et non sur sa croisade laïcarde récurrente et écœurante contre les Arabes et les musulmans. Ou sa propension à se scandaliser pour une caricature le représentant en personnage historique sulfureux.
A croire que Macron, jouant la vierge effarouchée quand son image présidentielle est déflorée par une virile caricature intrépide, tire, en revanche, un plaisir jouissif politicien à déclencher ses croisades laïcardes. Quitte à envenimer les hostilités internationales contre la France, à enhardir les fanatiques islamistes, ravis de trouver un nouveau pays de combat pour perpétuer leur entreprise terroriste djihadiste contre l’innocente population française civile désarmée, mise en danger par les déclarations et mesures laïcardes incendiaires de ses dirigeants, ces boutefeux à bout de propositions politiques salvatrices.
En ces temps de crise multidimensionnelle, un «président normal» opterait pour une politique d’apaisement et une diplomatie de pacification. Or, Macron, ce va-t-en-guerre animé d’une bellicosité hystérique, épaulé par l’ensemble de la classe politique et la caste journalistique, tente de détourner l’attention du prolétariat de France sur la «question religieuse islamique» pour affaiblir une riposte de classe à la hauteur des exigences historiques actuelles, marquées par une dégradation dramatique des conditions de vie et une attaque contre les conditions de travail, illustrée par la prolongation de la durée annuelle de l’exploitation salariée.
K. M.
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