Turquie, Chine, drones iraniens et jardin d’Eden
Une contribution d’Ali Akika – Turquie, Chine, Iran feraient partie de cette jungle, selon le «poète» Joseph Borrell dans une déclaration reproduite dans les médias que voici : l’Occident est un jardin d’Eden entouré d’une jungle. Il n’est pas besoin de présenter ce personnage connu du côté d’Alger. Il avait demandé à l’Algérie de mettre fin à l’arrêt de la livraison de gaz à l’Espagne pour faire plaisir à son camarade Premier ministre Lopez Sanchez et au monarque du Makhzen. Intéressons-nous plutôt aux acteurs de la scène internationale qui ont occupé l’espace médiatique ces dernières semaines.
En Turquie, Erdogan a été réélu pour le plus grand déplaisir de l’Occident. Comme d’habitude, la quasi-totalité de la presse a réagi en pavlovien chaussés de lunettes embuées, la focale de leur appareil fixée sur leurs petits intérêts et l’angoisse de l’Occident. Les vrais enjeux politiques et l’histoire de la Turquie étaient oubliés au profit des bavardages de café de commerce (1). Les dynamiques de l’histoire et les intérêts géopolitiques qui expliquent les bouleversements de ce pays et de la région sont voilées par la «haute pensée» politique des détenteurs de la «vérité». Laissons cette presse à sa grandeur perdue et à sa misère actuelle pour cerner les facteurs du glissement de ce pays membre de l’OTAN vers des ailleurs plus cléments pour ses intérêts.
Disons tout de go que la grande majorité des Turcs n’a pas oublié que l’Europe lui a fermé la porte de l’Union européenne. Et il ne faut pas être un grand mokh (cerveau) pour deviner ce que cache le refus de l’Europe d’ouvrir son jardin d’Eden à ce genre de pays. Et donc ne pas s’étonner que la Turquie ait choisi de se tourner vers d’autres horizons pour ambitionner de devenir une puissance économique. Ce pays a utilisé sa position géostratégique enviable. Situé à un carrefour de la géographie physique qui le relie à l’Europe, l’Asie et l’Afrique. A sa géographie, il faut ajouter l’histoire. Héritière de l’empire ottoman qui l’a mis en contact avec le monde arabe qu’elle a dominé, et avec la Russie qui lui a ravi la Crimée au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, la Turquie abrite une gigantesque base américaine, donc de l’OTAN qui suscite les craintes de la Russie. Voilà toutes les données qu’Erdogan a su manier dans la géopolitique de la région, Asie et Moyen-Orient qui seront probablement au XXIe siècle pilier et boussole d’une vie internationale multipolaire qui émerge petit à petit.
Ainsi, la Turquie avec ou sans Erdogan n’a eu aucun regret à dire adieu et au revoir à l’Europe prisonnière de sa propre histoire et les préjugés qui vont avec. En revanche, ce pays n’a eu aucune gêne à dire bonjour au monde arabe avec lequel il partage l’islam mais aussi l’opportunité de trouver des capitaux pour son développement et des marchés pour écouler sa production. Bonjour aussi à la Russie pour des raisons de sécurité mais aussi des échanges économiques en tout genre, facilités par la proximité géographique et géostratégique (partage de la mer Noire et contrôle par la Turquie du passage qui donne accès à la Méditerranée). Ces facteurs de géostratégie jouent un rôle décisif dans la sécurité des deux pays.
La Russie a intérêt à ce que la Turquie membre de l’OTAN prenne ses distances avec cette organisation atlantiste. Mais la Turquie a aussi besoin de la Russie en Syrie pour l’aider à neutraliser les Kurdes syriens pour qu’ils ne fassent pas jonction ou alliance avec les Kurdes turcs, cauchemar de tout gouvernement turc. Ce rapprochement entre la Turquie et la Russie n’est pas un accident de parcours. Il s’inscrit dans une logique produite par des mouvements de l’histoire. Des Etats voisins, Russie et Turquie, possèdent un héritage historique couplé à leur puissance économique, font d’eux des actrices majeures sur la scène internationale. Dans l’époque actuelle de remise en cause des rapports de force, ces deux Etats ne peuvent que «s’entraider» face à des adversaires qui défendent le statu quo international. Un exemple illustre cette entraide, c’est celle du coup d’Etat qui a menacé Erdogan en juillet 2016. Coup d’Etat qui a échoué, fomenté par l’armée turque très liée aux Etats-Unis. Grâce à la Russie dont les services secrets ont averti Erdogan en vacances. Ce dernier utilisa Internet pour s’adresser au pays et des manifestations populaires ont fait échouer le putsch. Tous ces facteurs cités méritent de longs développements.
Terminons ce chapitre turc sur des fautes que l’Occident ne cesse de répéter de l’Irak à la Libye, en passant par la Palestine où le droit tant chéri est enterré sous l’arbre emblématique de la paix, l’olivier. La fermeture de la porte de l’UE fut une faute à l’encontre de la Turquie comme le fut la faute géostratégique à l’encontre de la Russie quand l’OTAN installa ses missiles aux frontières de ce pays. On en voit aujourd’hui avec la guerre en Ukraine et les mensonges des Accords de Minsk. Ceux-ci étaient censés rapporter la paix par l’application d’un plan respectant les intérêts des deux parties. Plus personne ne peut croire dorénavant en ce genre d’accord à cause des mensonges de l’Ukraine avec l’appui de l’Allemagne et de la France. Ce manque de confiance ou plutôt l’inexistence de confiance, ouvre en général, hélas, la voie à la guerre totale.
La Chine : de ce pays proviennent aussi des nouvelles qui ne sont pas rassurantes. La Chine a envoyé son représentant, Li Hui à Kiev, à Varsovie, Berlin, Paris et Moscou pour exposer la vision de la Chine pour une paix en Ukraine. Apparemment, cette tournée diplomatique, peu médiatisée, n’a pas eu l’air de satisfaire les amis de l’Ukraine. La Chine s’est engagée à respecter le droit international mais non l’interprétation de ce droit par le droit divin camouflé sous une cuirasse d’acier. Ce droit actuel est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale et n’a cessé d’être interprété au profit du même monde, depuis les Accords de Yalta, en passant par la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Ce dernier a disparu en revanche l’OTAN est toujours là et des va-t-en-guerre veulent l’étendre à l’Asie. Et, comme par hasard, en Asie, il y a la Chine ; et, comme par hasard, ce pays est considéré comme une menace contre l’hégémonie des Etats-Unis.
A la rivalité économique, l’Oncle Sam ajoute un droit de regard sur Taïwan, territoire chinois reconnu par le droit international et en premier lieu, les Etats-Unis. La Chine a pourtant exprimé son droit d’intégrer Taïwan pacifiquement au sein de son territoire national. En exprimant aussi sa bonne volonté de se joindre à des pays pour résoudre la situation de guerre en Ukraine. Rien n’y fait, les critiques et les attaques contre la Chine deviennent régulières et de plus en plus violentes. Lors de sa tournée en Europe, Li Hui exposa le point de vue de son pays. A son retour, il a fait certainement un rapport au président Xi Jinping. Est-ce un hasard si le président chinois a fait ensuite une déclaration demandant à son armée d’être jour et nuit prête à faire face à la guerre ?
A l’évidence, la Chine a compris que les Occidentaux veulent non seulement l’éloigner de la Russie, mais de la pousser à jouer contre la Russie. Attitude cavalière à l’encontre d’un pays sur le pas de devenir la première puissance économique. Dessein stupide car les dirigeants chinois savent qu’après la Russie c’est leur pays qui sera la prochaine cible. Quelle ignorance et quelle légèreté ! Outre les liens historiques entre la Chine et la Russie, la Chine sait que son avenir est plus assuré par les liens économiques avec les BRICS et l’organisation de Shanghai où elle côtoie des pays où habite la moitié de la planète et ayant un produit intérieur brut plus élevé que celui de l’Occident. D’autres pays non négligeables sont intéressés de rejoindre les BRICS comme la Turquie, l’Iran, Venezuela, Algérie, pressés de ne plus subir les yoyos du dollar qui alimentent l’inflation chez eux, tout en subissant les oukases du FMI et la Banque mondiale.
En vérité, la Chine veut la fin de la guerre en Ukraine pour continuer à se développer et commercer avec le monde entier par le biais de ses routes de la soie, donc sans passer par la case de la domination politique, comme l’a fait l’Occident. Il y a une raison qui pousse la Chine à intervenir dans le processus de paix entre la Russie et l’Ukraine. Elle veut éviter tout dérapage qui mène à une guerre mondiale avec l’utilisation de l’arme atomique. Elle sait certainement que la Russie n’a pas besoin d’avoir recours à l’arme nucléaire pour gagner la guerre. Le développement de la guerre sur le terrain en témoigne, surtout après l’arlésienne de la contre-offensive ukrainienne qui se transforme, selon un général «stratège», en guerre hybride avec utilisation de drones et des mercenaires étrangers qualifiés de résistants. Pour toutes ces raisons, la Chine a proposé quelques repères politiques et diplomatiques pour créer une atmosphère apte à lancer une vraie négociation.
Les Occidentaux semblaient être intéressés et réclament des négociations en soutenant le plan de Zelensky, lequel ajoute un préalable : ne pas négocier avec Poutine qui doit être traduit devant un tribunal international. Ce genre de conditions pour un pays qui a déjà perdu 20% de son territoire et a été vidé de 10 à 12 millions d’habitants, une armée élue, par les pirates de la désinformation, l’une des grandes armées de l’Europe qui dépend de cette même Europe, une armée qui promet une contre-offensive chaque jour plus imminente que la veille, comment le président Poutine peut-il prendre au sérieux les exigences du président ukrainien ? La Russie ayant déjà fait les frais des mensonges de l’Allemande Merkel et du Français Hollande sur les Accords de Minsk. Chat échaudé craint l’eau froide, comme dit un proverbe populaire.
Après l’Ukraine et Taïwan, il y a problème de l’arme nucléaire au Moyen-Orient qui risque de mettre le feu aux poudres. Le monde qui se prend pour la «justice et le droit» incarnés regarde l’Iran mais ferme les yeux sur le seul Etat qui possède l’arme nucléaire dans la région. La guerre en Ukraine, la tension à Taïwan, les élections américaines dans un an font oublier les négociations sur le nucléaire iranien. Cette situation donne de la fièvre à Israël qui déclare ouvertement et publiquement qu’il ne permettra jamais à l’Iran d’acquérir l’arme atomique. Le monde peut se demander alors si Netanyahou, embourbé dans une crise permanente qui paralyse le pays, ne va pas déclencher une guerre de désespéré. Car ce n’est pas la question de son gouvernement d’extrême droite qui lui pose problème mais la potentielle guerre civile qui plane au-dessus de sa tête.
J’ai rappelé que la notion de guerre civile en Israël, dans Algeriepatriotique, est présente dans beaucoup d’esprits de beaucoup d’Israéliens. Les plus hautes autorités de l’armée et des services de renseignement le disent publiquement. Et l’éventuelle et potentielle guerre civile est possible au fur et à mesure de l’aiguisement des contradictions intérieures. La société israélienne est déchirée et l’exprime dans les rues chaque samedi. Si on ajoute l’autre contradiction interne constituée par les 5 à 6 millions de Palestiniens niés et opprimés sur leur propre terre, l’Etat se trouve dans une impasse. Ces deux contradictions, cohabitant dans un même territoire emmuré, créent une situation explosive. Les chantres du droit international qui l’appliquent, selon la règle des deux poids, deux mesures, devraient abandonner cette attitude en s’appuyant sur l’échec de cette politique injuste et qui devient insupportable. P, le voit à travers les explosions ici et là. En Palestine toujours et encore. Des mines déposées hier qui finiront par exploser demain.
Monsieur Joseph Borrell, de la place qu’il occupe au sein de l’Union européenne, devrait mettre de côté son penchant pour la poésie du jardin d’Eden. Il devrait plutôt inviter son honorable Union européenne à cultiver la paix et la justice sociale pour chasser les souffrances qui balafrent aussi les pays qui font partie de son jardin d’Eden. Car la permanence des injustices sociales menace la belle architecture de l’Europe. Ça se voit dans les réunions tous azimuts où des fractures entre les membres de cette Union apparaissent et que l’on ne peut plus cacher.
A. A.
1- Une fois Erdogan élu, nos «experts» découvrent les raisons profondes qui ont favorisé son élection. Même attitude pour l’arlésienne de la contre-offensive de l’armée ukrainienne. Désespéré d’attendre après avoir annoncé maintes fois une foudroyante contre-offensive, un général, un habitué des plateaux télé, affirme aujourd’hui que les Ukrainiens pratiquent une guerre hybride. Ils ont choisi les drones, selon lui, et délaissent le franchissement des défenses ennemies par les armées terrestres. Evidemment, ce «nouvel art» de la guerre nécessite moins de courage et de capacité de manœuvre de la vraie guerre. Pitoyable attitude de dire le contraire de la réalité du terrain pour cacher les mensonges et la servile désinformation !
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