De «La fin de l’histoire et le dernier homme» à la fin du dernier empire
Une contribution de Youcef Benzatat – Francis Fukuyama, en proférant son arrogante suffisance à la face du reste du monde non occidental avec son pamphlet La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, à ne pas en douter, sur injonction implicite ou explicite de l’oligarchie, qui a fait de lui un fonctionnaire et professeur d’université à son service, qui l’asservit et le contraint d’emblée à produire avec zèle la propagande triomphaliste du libéralisme à l’occidental à la base de contre-vérités et de mensonges, semble avoir échafaudé sa sentence sur un non entendu, celui de ne pas avoir pris en compte la mesure de la leçon de l’histoire sur la naissance, l’expansion et l’effondrement des empires successifs qui ont jalonné l’histoire tragique de l’humanité, dont la volonté de domination et de cupidité étaient leur principale raison d’être.
Contrairement aux empires qui se sont succédé à partir de la Mésopotamie, dès l’antiquité jusqu’aux Moyen-Age, dont les cités Etats étaient principalement les pourvoyeurs et dont l’ambition se limitait modestement à conquérir autant d’espace que leur armée le permettait, l’empire occidental, que Fukuyama confond avec le libéralisme économique et politique à l’occidental, économie de marché et démocratie politique, s’est constitué essentiellement à partir de la collision d’intérêts de l’oligarchie européenne régnante, avec comme objectif le partage et la domination du monde dans son intégralité. C’est cette oligarchie européenne qui finança les expéditions de repérage du reste du monde pour le soumettre, dépecer son organisation sociale, politique et économique et piller ses biens. Ce n’est pas un hasard si la date choisie par les historiens de cet empire naissant fut 1492, date à laquelle est consigné le débarquement de Christophe Colomb en Amérique et la période historique relative comme le commencement des temps modernes.
C’est à cette occasion que commencèrent à se développer les moyens de navigation, de communication et surtout l’armement pour faire échouer toute résistance à l’expansion et à la consolidation des fondements de cet empire naissant. Les oligarques de toute l’Europe étaient encouragés par les monarques pour s’investir dans cette lucrative entreprise. La culture naissante qui accompagnat ce tournant dans l’histoire, philosophie, science, protestantisme religieux, était orientée essentiellement vers la construction idéologique des contours de cet empire, Edward Said (l’Orientalisme), que les historiens des idées qualifieront de Renaissance. Les conflits d’intérêts entre oligarques vont les contraindre à créer et développer des institutions de régulation et d’arbitrage pour mener à bien leur entreprise d’envahissement du reste du monde. Ces premières institutions seront les ancêtres de celles qui servent d’instrument à l’empire occidental dans sa forme actuelle, ONU, TPI, Banque mondiale, Front monétaire international, dollars, euros, OTAN, etc.
Dans un premier temps, l’oligarchie européenne a dû recourir à l’esclavage pour s’approprier et fructifier les terres du Nouveau Monde, l’Amérique. L’ampleur de l’entreprise et la collision de leurs intérêts les contraindront à former des conglomérats pour y parvenir. Ces conglomérats constitueront les ancêtres des multinationales de l’empire aujourd’hui.
Cette oligarchie, devenant de plus en plus puissante, va s’autonomiser progressivement de la monarchie régnante et finir par prendre le pouvoir, par la décapitation du monarque (France) ou par un compromis de cohabitation en sa faveur (Angleterre) et par l’indépendance des terres conquises hors d’Europe, Amérique, Australie, Nouvelle Zélande, etc. Les historiens furent conviés par l’oligarchie d’annoncer tambour battant la nouvelle ère, la période contemporaine.
1789 marque le début de cette nouvelle ère. Les contours idéologiques et les valeurs qui caractérisent la Révolution française tombent à point pour venir consolider les contours de l’empire et justifier ses méthodes d’expansion barbares. Les droits de l’Homme et la démocratie viendront s’enraciner dans le libéralisme politique et justifier le libéralisme économique. Ces valeurs seront prêchées à outrance en concurrence aux Lois divines pour justifier moralement «la civilisation forcée» du «bon sauvage» (Levi Strauss).
Dès lors, tout est permis. L’accélération de la Révolution industrielle nécessitant de plus en plus de capitaux et de matières premières, amena l’oligarchie, désormais régnante, à abandonner l’esclavage, trop coûteux et peu rentable, pour passer à l’offensive coloniale et fixer les esclaves sur leurs propres terres pour extraire les matières premières nécessaires et mener à bien la production agricole intensive à destination de l’Europe. Si au cours de la traite négrière on balançait à la mer les esclaves récalcitrants, le sort des résistants à la pénétration coloniale fut réglé à coup de génocides à la mitraillette et toutes sortes de crimes, dont l’idéologie et les valeurs que l’oligarchie de l’empire avait attribuée aux contours de son nationalisme, étaient qualifiés de crimes contre l’humanité et de barbarie la plus abjecte et la plus inhumaine.
Un tel empire et les valeurs pragmatiques qui le constituent sous la mauvaise foi, violence, cupidité, haine et mépris de l’autre ne pouvaient ne pas déboucher sur la montée du fascisme au cœur de son propre système et consacrer le nazisme comme ultime libéralisme politique. Contrairement à la contrevérité proférée avec effronterie par le porte-voix attitré de l’empire, Francis Fukuyama, c’est l’esprit du communisme soviétique, enraciné chez le peuple russe, qui triompha du nazisme, par le sacrifice de millions d’hommes, pour venir à bout de la machine barbare de l’Allemagne nazie. Si les Etats-Unis d’Amérique (USA) se sont mêlés à la guerre contre le nazisme allemand, c’est surtout pour se positionner sur l’échiquier géopolitique international, vassaliser les Etats de l’Europe et déplacer en la circonstance le centre de l’empire en Amérique.
Le réveil des peuples dominés par l’empire déboucha dans la foulée sur la décolonisation et força ce dernier à réajuster sa stratégie par l’adoption sournoise du néocolonialisme. La transition vers la décolonisation était tout simplement impossible, voire impensable, tant l’empire était entièrement dépendant de l’exploitation des anciennes colonies. Dès lors, tous les coups étaient permis, coups d’Etats, agressions militaires, assassinats de tous ceux qui menaçaient les intérêts de l’oligarchie régnante, le tout sous couvert d’une démocratie de façade et du mensonge de défense des droits de l’Homme. C’est ce même criminel de guerre au cours de la guerre d’indépendance de l’Algérie, le chef de file de la gauche française, qui l’avoua lors de son élection à la présidence de la République française en 1981, François Mitterrand. Il déclara à cette occasion : «J’ai gagné un gouvernement et non pas le pouvoir car le pouvoir, ce sont les banques qui l’ont.» Car l’oligarchie possède bel et bien les banques et, plus encore, les médias, les institutions de sondage, qui font et défont les élus de ce libéralisme politique cher à Francis, le médicament, l’industrie alimentaire, militaire, l’énergie, etc. Le libéralisme économique, c’est elle, et le libéralisme politique, c’est elle aussi. Sans l’exploitation du reste du monde, son empire est voué à l’effondrement, car c’est de là qu’elle puise essentiellement sa richesse.
Si la résistance à l’empire n’a pas cessé depuis les guerres de libération du reste du monde, il a fallu attendre l’intervention de la Russie en Syrie en 2014, ensuite en Ukraine en 2022 pour que le reste du monde domine sa peur de l’empire et passe à l’offensive, par le refus de continuer à subir la domination impérialiste. Encouragé et soutenu par la puissance militaire russe et économique chinoise, le reste du monde s’est spontanément solidarisé avec détermination avec la Russie dans son projet d’émancipation de l’impérialisme occidental sur le plan économique, monétaire et idéologique.
Coupé de ses ressources, puisées brutalement chez le reste du monde, l’empire n’aura d’autre issue que l’effondrement, tant sa croissance est étroitement dépendante du pillage des ressources du reste du monde. Ajouté à cela l’endettement astronomique de ses Etats et la corruption qui gangrène ses rouages économiques et politiques, n’auront d’effet que de précipiter sa défaite contre l’esprit du communisme et la solidarité universelle qui le caractérise, qui fait dire au président algérien, Abdelmadjid Tebboune, que M. Poutine est l’ami de l’humanité pour qualifier sa posture géopolitique.
L’assertion effrontée de Francis Fukuyama, soutenant La Fin de l’histoire et le Dernier Homme résonne comme une fuite en avant devant l’évidence de l’effondrement inéluctable de l’impérialisme et la disparition du dernier empire. Contrairement aux analyses les plus pessimistes sur la situation géopolitique engendrée par la guerre en Ukraine, soutenant l’avènement inéluctable d’un monde multipolaire à l’issue de cette guerre et une nouvelle guerre froide en perspective, nous considérons qu’il serait plus plausible d’envisager que nous nous acheminons vers un monde plutôt unipolaire, qui verra le jour sur les ruines de l’empire occidental. Un monde dans lequel les peuples trompés de l’empire se joindront au reste du monde pour édifier lucidement un vivre ensemble basé sur une vraie démocratie, un système économique plus juste, des institutions internationales plus équitables et une paix perpétuelle telle que les utopistes des Lumières l’avaient prédit. Un monde où les oligarques du reste du monde ne pourront plus légitimer leur autoritarisme et la confiscation du pouvoir sur la seule justification de la main de l’étranger. Et les historiens de corriger l’histoire en attribuant au 1er Novembre 1954 le véritable commencement de la période contemporaine, qui a vu le peuple algérien affronter avec détermination la puissante armée coloniale française, soutenue et aidée par le reste de l’empire.
Y. B.
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