L’Afrique de Nelson Mandela et de Thomas Sankara n’est pas à vendre !
Une contribution d’Ali Akika – Comme à son habitude, la fabrique de propagande se met en marche et son regard sur les évènements est toujours le même. Elle triture les données et de l’histoire et des jeux réels des puissances étrangères. Elle passe vite sur les enjeux géopolitiques doublés de ceux de la géostratégie, ce qui permet de mettre sur un pied d’égalité entre les nombreux protagonistes qui s’agitent aujourd’hui autour du Niger. Je laisserai donc de côté les infos qui sont diffusées et me bornerai à esquisser les contours de quelques faits historiques de l’Afrique, ses richesses et sa position géostratégique qui attirent les acteurs à l’heure d’aujourd’hui où les lignes politiques sur la scène internationale bougent.
Ainsi, le Niger et, d’une façon générale, le Sahel sont entrés dans une zone politique sismique depuis déjà belle lurette. Et ce n’est point un hasard si cette région est, depuis une quarantaine d’années, sous l’œil du cyclone où les coups d’Etat et les assassinats politiques font partie du paysage politique. Deux hommes ont symbolisé le rêve de faire sortir leurs pays du sous-développement, et pour cette noble entreprise, de ne plus vivre à l’ombre de l’ex-colonisateur. Ces deux grands militants sont Modibo Keïta le Malien, victime d’un coup d’Etat et emprisonné jusqu’à sa mort en prison en 1977, et Thomas Sankara le Burkinabé, lui aussi victime d’un coup d’Etat qui se solda par son assassinat en 1987.
Noble entreprise herculéenne qui fonctionnait dans le paysage politique de leur pays où les rivalités politiques teintées de tribalisme et en prime le sous-développement économique furent des obstacles difficilement surmontables dans un court laps de temps au lendemain des indépendances. Ce petit rappel de l’histoire va nous aider à comprendre pourquoi le Sahel et pourquoi les trois pays de cette région ont connu des crises qui, peu à peu, se sont répandues jusqu’à rompre des équilibres politiques internes et régionaux. Le coup d’Etat au Niger a provoqué des réactions des pays de la région et n’a pas laissé indifférentes les grandes puissances alors que les précédents coups d’Etat au Mali et au Burkina n’ont pas suscité la même «panique».
Mais avant de scruter la géopolitique de la région qui fait réagir puissances étrangères et régionales, élargissons la focale de notre regard sur toute l’Afrique. C’est triste à dire mais les rapaces qui ne veulent pas lâcher leur proie dans ce vaste continent ne semblent pas avoir appris des choses de l’Histoire. L’Afrique, à leurs yeux, semble être un continent dont les populations comptent pour du beurre, une sorte de territoires livrés à la chasse des puissants qui veulent toujours considérer des pays africains comme leur chasse gardée. Il est vrai que d’autres pays en Afrique ou ailleurs, il est plus difficile de faire le gendarme. La géographie nous décrit un continent immense continent au carrefour de l’Europe et de l’Asie, offrant routes terrestres et maritimes, un continent gorgé de sources d’énergie et des minerais rares indispensables aux technologies modernes.
Avant l’émergence de la mondialisation, ce continent était une réserve de matières premières de l’Europe ex-colonisatrice. Les Américains ne «s’agitaient» pas trop sur le continent car ils étaient rassurés de la présence de leurs alliés occidentaux, qui leur sont redevables, par ailleurs, depuis le plan Marshall au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ils se contentaient de contrôler la situation grâce à leur dollar, seule devise qui alimente en grand seigneur les circuits financiers dans le monde. Les Etats-Unis se réservaient les tâches mesurées à l’aune de leur puissance, contrôler les zones des carburants de leurs industries dans des pays qui sont, comme par hasard, pas très loin de leurs adversaires politiques qui vont devenir aussi des rivaux économiques, la Russie et la Chine.
Et c’est ce qui arriva avec la mondialisation qui, en se répandant dans le monde, engendra de grands concurrents pour l’économie américaine. Les Américains tiraient même des bénéfices de cette mondialisation, quand il s’agissait d’alliés ou «neutres» politiquement comme l’Inde. Mais la Russie et la Chine non seulement sont toujours des adversaires politiques mais de coriaces concurrents économiques et commerciaux et notamment dans l’armement. D’où l’énervement de l’Europe et des Etats-Unis de voir la Chine et la Russie entretenir des relations qui s’amplifiaient année après année. Ils avaient juste oublié que ces deux pays avaient aidé l’Afrique à se libérer de ses prédateurs alors que «le monde libre» aidait plutôt les colonisateurs à maintenir l’Afrique loin des parfums de la liberté. La guerre en Ukraine a exacerbé les tensions entre l’Occident, dit global, et le Sud global. Ces deux notions médiatiques cachent mal les contradictions à l’intérieur de ces deux «entités». Nous verrons plus loin comment l’Occident tente d’utiliser ces contradictions dans la crise au Niger par le biais de la CEDEAO.
Revenons au Sahel et au Niger. Cette région, le Sahel va de l’Atlantique à l’océan Indien. Ses vastes étendues sont une sorte de frontière qui «sépare» l’Afrique méditerranéenne et l’Afrique des «forêts». On devine facilement l’intérêt des puissances étrangères pour leur commerce ou les déplacements de leurs armées d’avoir des points d’appui dans ces deux Afriques. A l’heure de l’importance du poids de l’énergie, les transports du gaz et pétrole traversent l’Afrique des forêts pour arriver à la Méditerranée pour approvisionner l’Europe de ces précieux «liquides». Notons l’importance des transports dans ce genre de matières premières révélée après la destruction des gazoducs russes Nord Stream. Il est évident que la construction du gazoduc Nigéria-Algérie est dans les esprits des Occidentaux. Pour des raisons de coûts financiers, de la protection de la nature, de la sécurité des approvisionnements de l’Europe, la construction dudit gazoduc va engendrer de rudes batailles car le Maroc «rêve» de le faire passer par son territoire.
On le voit, le croisement des intérêts économiques et des impératifs géostratégiques augmentent le poids des deux Afriques qui font faire face aux pressions de l’Occident. Heureusement, dans les deux Afriques, il y a des pays mais aussi les peuples qui ont aujourd’hui leur mot à dire dans le contrôle de leur territoire. C’est pourquoi l’adhésion de pays africains aux BRICS serait un renfort à l’Afrique du Sud, seule actuellement adhérente africaine aux BRICS. La crise au Niger reflète les changements en cours et fournissent à l’Afrique des atouts pour résister aux prétentions de l’Occident.
L’exemple de la Libye, du Mali, du Burkina, de l’Algérie, dans leur positionnement dans la «crise» nigérienne ont refroidi les ardeurs de la CEDEAO. Cette organisation joue son «avenir» si elle se porte volontaire pour satisfaire les vœux de l’Occident. Pour l’heure, les Etats-Unis semblent restés «discrets» et se sont contentés d’envoyer une sous-secrétaire d’Etat qui est retournée chez elle mécontente et bredouille. Une «discrétion» qui n’est pas étrangère à leur «victorieux embourbement» annoncée en Ukraine, eux qui avaient l’habitude de sortir leur code des sanctions et, pire, de mettre en alerte leurs bases militaires contre les récalcitrants. Ceci dit, on a remarqué au lendemain du coup d’Etat au Niger les tambours de Jéricho de la CEDEAO pétaradant et menaçant le Niger d’invasion. Les contradictions entre pays africains et l’attitude «raisonnable» de pays européens ont fait éclater la baudruche de la CEDEAO. Personne ne veut «libérer» le Niger en mettant en danger ses intérêts pour les beaux yeux de je ne sais qui. La crise du Niger montre une chose : l’Afrique n’est pas, n’est plus à vendre.
Les passages du Malien Modibo Kéita, de Sankara et de Mandela ont laissé des traces dans les consciences africaines et ceux ou, plus précisément, celui qui a dit avec une suffisance méprisable que l’Afrique sommeille encore avant d’entrer dans l’Histoire devrait se regarder dans une glace aujourd’hui. Il est temps que ces arrogants révisent leurs petites fiches. Il est temps de comprendre que l’Histoire n’obéit pas à leurs fantasmes ou délires. Il est temps que les pays africains cessent de répondre aux appels de l’Occident «global» pour de sales boulots. Leur sécurité est plus assurée avec une politique de bon voisinage et non pas en introduisant le loup dans leur bergerie. Je pense à ces pays qui veulent introduire Israël dans les instances de l’Union africaine, et le Rubicon a été franchi par le Maroc qui offre son territoire à Israël pour avoir une vue à partir d’un balcon pour surveiller l’Algérie. Et le plus pathétique, c’est que le monarque féodal, sans rougir, saute sur n’importe occasion pour tendre une main «fraternelle» à son voisin.
A. A.
P.-S. : Un peintre algérien, Kamel Yahaoui, est décédé à Paris et a été enterré le vendredi 3 août chez lui dans cette Algérie si belle que l’on retrouve dans sa peinture. Que sa famille reçoive ce modeste hommage en souvenir des moments que j’ai passés en sa compagnie. Repose en paix ami !
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