Pourquoi l’Algérie n’a aucun intérêt à maintenir sa candidature aux BRICS
Une contribution Hocine-Nasser Bouabsa – Sous l’impulsion de certains vecteurs de l’Etat, les médias algériens ont accompagné la candidature de l’Algérie aux BRICS par un tapage assourdissant, suggérant que la porte de cette organisation était grande ouverte à notre pays. Mais, coup de tonnerre, le 24 août 2023, au contraire de ce qu’attendait la grande majorité des Algériens, cette candidature de l’Algérie est officiellement rejetée par le 15e Sommet des BRICS. La déception de beaucoup de nos compatriotes est grande. Mais n’ayant jamais compris le sens de cette candidature inopportune et illogique, ce rejet me réjouit énormément.
Bien qu’il soit politiquement le premier responsable de ce dossier et que sur ce sujet, il n’a pas réussi, il faut reconnaître que le président de la République fait dans l’ensemble du bon boulot. Il fut induit en erreur et il devrait réagir rapidement. D’une part, en faisant un reset sur ce dossier et, d’autre part, en changeant l’équipe qui est à l’origine de ce Waterloo cuisant et qui lui a conseillé de faire de la candidature aux BRICS un de ses principaux chevaux dans la course algérienne pour retrouver la place qui lui est due dans le concert des nations, en tant que pays pivot dans la région sahélo-nord-africaine. C’est probablement cette équipe – responsable de cette candidature immature et impertinente – qui a poussé Abdelmadjid Tebboune à s’en prendre au dollar étatsunien à partir de Moscou, croyant que ceci renforcerait les chances de l’Algérie d’accéder aux BRICS.
BRICS contre dollar étatsunien
Le groupement des BRICS formé par cinq grandes puissances émergentes, en l’occurrence, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, malgré son existence depuis 2006, a encore un contour flou, un contenu mou et une substance organique indéfinissable. Il s’est néanmoins fixé depuis quelques années l’objectif majeur de casser le dollar américain. Les raisons de leur acharnement sur cette monnaie sont multiples et en partie fondées, mais les non-dits stratégiques sont occultés de leur communication officielle. Ces pays prétendent vouloir construire un monde multilatéral libéré des griefs de l’hémogénie de l’Occident, mais ils ne sont pas les seuls à le vouloir car au moins les deux tiers des habitants de notre planète le veulent aussi.
En 2014, ils créèrent la Banque de développement – rebaptisée la Nouvelle Banque de développement – pour, prétendent-ils, desserrer l’étau qu’exercent les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire et Banque mondiale) sur les pays émergents ou en voie de développement. Mais tout le monde sait que lorsqu’il s’agit d’argent, les promesses n’ont de valeur que lorsqu’elles sont converties en monnaie sonnante et trébuchante. Jusqu’à maintenant, les pays du tiers-monde attendent que la promesse des BRICS soit concrétisée sur le terrain. Et leur attente pourrait durer encore longtemps.
Quel est l’intérêt de l’Algérie à intégrer les BRICS ?
Certains, dans l’entourage du président de la République, argumentent que le monde est entré dans une nouvelle phase de recomposition et qu’il vaut mieux être parmi les premiers acteurs de ce mouvement. Je doute fort qu’ils aient raison. Certes, le monde occidental est en crise, mais ceci ne signifie aucunement qu’il mourra aussi facilement. N’a-t-on pas déjà, au milieu des années 1980, prédit que les Etats-Unis seraient en faillite avant l’an 2000 ? La prudence est une vertu. On ne vend pas la peau de l’ours avant de l’avoir abattu.
La Chine, la Russie et l’Inde n’ont-ils pas, eux aussi, leurs problèmes spécifiques ? Que fera la Chine sans les marchés américain et européen ? La Russie n’est-elle pas embourbée dans une guerre qui brûle beaucoup de ses ressources quotidiennement ? L’Inde n’est-elle pas un pays objectivement encore pauvre, si on considère son PNB de 2 300 dollars/habitant ?
Certes, l’Algérie a ses problèmes – particulièrement la bureaucratie, la corruption et le harkisme endogène encroutés dans les structures de l’Etat, mais aussi le secteur informel – qu’elle doit solutionner le plus tôt possible. Mais elle n’est ni endettée, ni en manque d’argent, ni en manque de ressources naturelles (son PNB/habitant est le triple de celui de l’Inde si on inclut l’économie parallèle). Ce qui lui manque, c’est la volonté et la capacité de mobiliser et canaliser son capital humain inexploité. Ce capital au génie incontestable est sa principale richesse. L’Algérie, en tant que pays pivot dans la région sahélo-nord-africaine a beaucoup d’atouts qui lui confèrent une compétitivité majeure. Elle est à la porte de l’Europe avec qui elle a, qu’on le veuille ou non, des relations humaines et historiques denses, qu’elle doit savoir utiliser à son profit.
Les BRICS décident en fonction de leurs intérêts
N’ayant pas élaboré un système de critères transparents – qui aurait permis à tout candidat d’évaluer objectivement ses chances d’admission –, les BRICS ont laissé la porte ouverte aux spéculations et aux supputations. Dans ce sens, beaucoup d’observateurs rencontrent des difficultés à comprendre les raisons du refus de la candidature de l’Indonésie (280 millions d’habitants et PNB de 4 500 milliards de dollars) et l’acceptation de celle de l’Ethiopie (105 millions d’habitants et 150 milliards de dollars).
L’adage universel ne dit-il pas que «dans les relations internationales, il n’y a pas d’amis mais seulement des intérêts» ? C’est ce que viennent de démontrer par les faits les pays des BRICS à travers leur choix des nouveaux entrants, en l’occurrence, l’Iran, l’Argentine, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats et l’Ethiopie.
C’est donc sous le microscope des intérêts des Etats qu’on doit analyser la nouvelle parvenue de Johannesburg. Cette nouvelle a une valeur colossale pour notre pays. Elle nous renseigne sans filtre diplomatique mielleux sur l’opinion réelle qu’ont les cinq pays formant les BRICS sur nous. Le poids de la Chine et la Russie, supposés être des pays amis de l’Algérie, n’aurait-il pas suffi à convaincre l’Inde et le Brésil du bien-fondé de la candidature algérienne ? Je parie qu’il aurait été suffisant si ces deux pays le voulaient. Mais ils ne l’ont pas fait, parce qu’ils ont leur propre agenda. Dito pour l’Inde et le Brésil. L’Afrique du Sud fut seule à nous soutenir à fond, mais elle n’a pas l’influence nécessaire pour réussir.
Les BRICS ont porté leur choix sur les pays qui servent le mieux leurs intérêts, d’une part, dans leur guerre contre le dollar américain et, d’autre part, dans leur expansion économique en Afrique. Ils lorgnent tous les avoirs saoudiens et émiratis pour renflouer les caisses de leur Nouvelle Banque de développement. D’où leur choix pour l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. Le quitus pour l’Ethiopie est un fait étrange et il n’est seulement explicable que par le forcing de la Chine, qui a une mainmise directe sur l’économie de ce pays où les Chinois ont pris le contrôle d’immenses terres fertiles et construit d’immenses barrages et des grandes usines gérées comme des prisons. Les Chinois ne le cachent pas ; ils veulent faire de l’Ethiopie leur tête de pont en Afrique. Pour cela, ils utilisent les mêmes méthodes coloniales des Européens ; c’est-à-dire, exploiter massivement les ressources humaines et naturelles des pays dans lesquels ils débarquent.
A priori, l’Algérie, l’Indonésie, le Vietnam et le Nigeria semblent ne pas servir suffisamment les intérêts des BRICS. Alors, leurs candidatures sont rejetées en évoquant des raisons futiles et infondées. Certes, ils ont la légitimité de défendre leurs intérêts, mais sans avoir recours aux méthodes déloyales à travers le mensonge et la manipulation.
Oublier les BRICS pour au moins dix ans
A Johannesburg, le monde entier fut témoin d’une césure. Les espoirs que les peuples africains ont placés dans les BRICS sont partis en fumée. Ces derniers ont prouvé que leur annonce de vouloir refaçonner le monde pour le rendre plus juste est seulement une propagande mielleuse pour gagner du terrain sur le continent africain face à leurs adversaires euro-états-uniens. Le chef de la diplomatie russe a beau essayer d’expliquer l’inexplicable en énumérant les critères du «poids», de «l’influence» et de la «position» des pays candidats sur la scène internationale, qui auraient été pris en considération, mais il est le premier à savoir que l’Algérie remplit la totalité des critères mieux que l’Ethiopie et les Emirats.
L’Algérie n’a intérêt ni à être membre de la Nouvelle Banque de développement ni à maintenir sa candidature aux BRICS. Comme elle n’a pas non plus intérêt à maintenir son association désastreuse avec l’Union européenne. Idem pour la convention de la Zone arabe de libre-échange (GZALE) qu’elle devrait quitter. Nous devons apprendre de la leçon que nous ont infligée les BRICS. Il faut faire du commerce avec tout le monde et construire des usines en négociant les meilleures conditions possibles, jusqu’au jour où nous produirons dix fois plus qu’aujourd’hui. Lorsque nous y parviendrons, ce sont les autres qui viendront nous solliciter et non l’inverse.
H.-N. B.
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