La fuite des médecins à l’étranger ou «la trahison des clercs»
Une contribution d’Aziz Ghedia – Un post sur ma page Facebook m’a fait pratiquement sortir de mes gongs. Il s’agit de ces médecins, certainement spécialistes pour la plupart, venant des pays du Maghreb et faisant la queue, dans une cohue indescriptible, devant le centre Jean-Moulin, sis à Rungis, dans la banlieue parisienne, dans le quartier des affaires (selon certains commentateurs), pour un hypothétique poste de médecin (ou d’infirmier, selon les mauvaises langues) dans un désert médical français. En effet, dans les grandes villes de France, il est tout à fait normal que les postes de médecin reviennent de droit aux Français de souche. Ceux, parmi ces gens-là, qui auront la chance d’être sélectionnés (sous quels critères ?) seront certainement dispatchés dans des centres médicaux situés dans des villages du Puy-de-Dôme ou des Vosges où ils auront à faire beaucoup plus à la gériatrie.
Ma première réaction sur ce réseau social (Facebook) a été d’abord celle-ci : je suis médecin retraité et cela me fait mal au cœur de voir tout ce beau monde, tous ces médecins (spécialistes) formés en Algérie et dans les autres pays du Maghreb faisant la queue pour pouvoir décrocher un poste d’infirmier ou d’infirmière dans un désert médical français.
Il y a eu beaucoup de réactions à mon premier commentaire.
Les unes allant dans le même sens que ce que je venais de dire et les autres apportant plus ou moins des précisions quant à la motivation essentielle de ces médecins. Il s’agirait apparemment d’une opération d’obtention de l’équivalence de leurs diplômes d’origine. Mais pour faire quoi ? Pour travailler en France, pardi ! Ainsi, la France est-elle en train de siphonner notre sève, notre matière grise, sans que nos pouvoirs publics ne réagissent et mettent fin à cette hémorragie ?
Un autre commentateur m’a dit – je le reprends texto : «Ils n’ont pas le choix, quand ils ont su que Belmadi touche par mois le salaire de 1 000 médecins dans un hôpital sans vraiment rien faire». Je rappelle que Belmadi est l’entraîneur de l’équipe nationale de football.
A la lecture de cette réponse, mon sang n’a fait qu’un tour dans mes veines et, répétant du tac au tac, j’ai dit : la médecine est plus que de l’argent. C’est un métier noble. Le médecin doit être au service de son prochain, l’argent ne venant qu’en deuxième position. C’est pour cela d’ailleurs qu’on parle d’«honoraires» du médecin et non de «salaire». M’enfin, c’est ma façon de voir les choses, c’est ma philosophie, moi qui ai trimé pendant des années dans le secteur public avant de me diriger vers la profession libérale puis la retraite carrément. Aujourd’hui, je me contente d’une petite retraite mais j’ai la conscience tranquille ; j’ai rempli mon contrat, j’ai assumé mon devoir envers nos concitoyens. Je n’ai, à aucun moment, trahi le serment d’Hippocrate.
Ceci étant dit, cela me rappelle La trahison des clercs de Julien Banda, parce que, tout compte fait, cela ressemble à de la trahison de ces médecins envers le pays qui les a formés.
J’ai deux enfants médecins : une néphrologue et un futur orthopédiste. Ils ont aussi, peut-être, cette idée d’aller exercer leur noble métier sous d’autres cieux sous le prétexte qu’en Algérie, les médecins sont mal considérés, mal rémunérés et se sentent mal dans leur peau. C’est, dans une certaine mesure, vrai puisque moi-même j’ai vécu le calvaire, j’ai souffert, j’ai sacrifié ma jeunesse dans une ville de l’intérieur de l’Algérie que je ne connaissais même pas avant d’y être affecté. Mais, petit à petit, je me suis adapté, acclimaté à cet environnement et, aujourd’hui, je n’ai rien à regretter.
Riche de cette expérience, je n’encouragerai pas mes enfants à partir ailleurs, l’eldorado et le bonheur pouvant être là où on ne pense pas. Peut-être à Touggourt ou à Illizi…
A. G.
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