Arabie Saoudite, Etats-Unis et Israël : duper n’est pas gagner !
Une contribution d’Ali Akika – Dans ce Moyen-Orient dont l’histoire se confond avec le temps, nous assistons aux jeux des duperies des conquérants qui, tous, un moment ou un autre, finissent par plier bagages. Dans ces terres où naquirent écriture et prophétie, ainsi que les premières cités, expliquent l’admiration des conquérants comme Napoléon Bonaparte qui, fasciné, se laissa emporter par l’enthousiasme devant ses hommes, en déclarant : «Soldats, songez que du haut de ces pyramides, quarante siècles d’histoires vous contemplent !». Hélas, de nos jours, ce n’est pas la fascination qui habite les conquérants, mais l’avidité gloutonne face aux fabuleux trésors du sous-sol et le passage obligé des routes de commerce qui relient les continents. Et, dans ce Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite forme, avec les Etats-Unis et Israël, une sorte de triangle géopolitique où le sentiment d’un «entre soi» ambitionne de se construire, hélas, trois fois hélas, sur le dos des peuples et, en premier lieu, du peuple palestinien.
Les deux autres acteurs de ce triangle, les Etats-Unis et Israël, ironie de l’histoire, se sont construits en tant qu’Etat sur des territoires habités que la force brute et brutale a failli les faire sortir de l’histoire, après l’occupation de leur territoire. Entre ces trois Etats, on nous annonce un potentiel et futur accord sous le patronage américain. Sans être devin sur cet accord, celui-ci se mijote en plein bouleversements du monde qui peut démentir bien de certitudes. Pour l’heure, voyons ce qu’apporte «nos» trois complices à l’éventuel accord qui a tout l’air de ressembler à un «mariage de raison» qui est, en réalité, un marché de dupes. Un marché qui ressemblera à celui des accords d’Oslo qui confortera l’idée que tant qu’un peuple est debout, l’histoire, et non les magouilles et le cynisme, sera le maître des horloges.
L’Arabie Saoudite. Le prince Mohamed Ben Salmane (MBS) sait que son royaume est né après la chute de l’Empire Ottoman (Première Guerre mondiale). Sa «chance» est d’être le lieu de naissance de l’islam et d’un sous-sol gorgé de pétrole. La perfide Angleterre, par le biais de son espion, Laurence d’Arabie, se dépêcha de remplacer les Ottomans en proposant son parapluie de sécurité au nouveau royaume d’alors, jeune et fragile. Les Etats-Unis prirent le relais après la Seconde Guerre mondiale qui a réduit l’Angleterre en obligée de l’Oncle Sam qui prêta des dollars pour se relever des ruines de la guerre. Comme tous les mariages de «raison», l’idylle actuelle et balbutiante entre les intéressés tente de préparer son envol. A la manœuvre du côté du royaume d’Arabie, un jeune prince qui a des ambitions pour son pays. Il a compris que le monde a changé et qu’il peut en tirer profit comme hier sa tribu, celle des Al-Saoud qui prit les rênes du royaume à la chute des Ottomans.
MBS, il lui faut donc garantir la sécurité de son pays qui ne doit plus dépendre du seul gendarme du monde et préparer son économie qui ne doit pas, non plus, être soumise aux caprices du pétrole qui n’est pas inépuisable. L’équation pour MBS est simple, éliminer les menaces héritées de l’histoire, d’où l’accord avec l’Iran sous l’égide de la Chine. Quant au pétrole, son principal trésor, il avait invité la Russie à faire parie de l’OPEP+ et de vendre à la Chine son pétrole payé en Yuan. Russie et Chine font ainsi un pied de nez politique à l’Oncle Sam, tout en récoltant des bénéfices économiques. La Russie sanctionnée peut dorénavant refroidir les ardeurs de l’Occident en baissant la production de son pétrole avec la complicité de l’Arabie Saoudite pour engranger des dollars américains.
La Chine elle, garantit ses approvisionnements en pétrole payé en Yuan, ce qui renforce le poids de sa monnaie dans le commerce international. On le voit, MBS a bien manœuvré avec ces deux grandes puissances pour engranger des gains politiques, mais aussi gagner des dollars qu’il «partage» avec ses nouveaux partenaires. Nous verrons plus loin si et comment MBS va utiliser ses atouts tout en évitant les pièges et les obstacles nombreux dans une région qui ressemble plus à un volcan qu’à une douce et verte prairie.
Israël. Il a un rêve obsessionnel, se faire reconnaitre par les pays arabes en quémandant une reconnaissance diplomatique qui lui permettrait de s’intégrer dans la région. Il pourra ainsi compenser l’étroitesse de son marché en vendant dans la région ses gadgets et fournir à son économie la possibilité d’investir dans le tourisme «haut standing» dans des lieux paradisiaques. Cette implantation dans les pays du Golfe lui ouvre les routes des pays d’Asie autour desquels tourne et prospère l’économie de demain. Reconnaissance qui procure sécurité, absence de guerre et fin du boycott des BDS qui polluent l’image d’Israël. «Que demander de plus ?» pense Netanyahou qui se démène pour réussir son coup de poker. Qu’offre-t-il en échange au nom Israël ? En vérité, pas grand-chose, si ce n’est le levier de son protecteur américain qui à ses «entrées sans visas» en Arabie et dans la myriade de petits émirats.
Des «experts» pensaient qu’Israël pouvait proposer son aide à l’Arabie face à l’Iran «belliciste» et «chiite». Pas de chance, les deux pays ont enterré leur hache de guerre après le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Argument qui perd donc de sa valeur. Reste pour Israël les éventuelles «concessions» sur la Palestine pour «faire plaisir» à MBS et lui offrir quelques miettes à présenter à son peuple et aux peuples de la région. Là aussi, argument bidon et raisonnement fallacieux car il évacue la résistance des Palestiniens qui devraient rester bien «sages» en sacrifiant leurs droits pour des clopinettes.
Nous verrons plus tard que cette carte d’éventuelles «concessions» est trouée de tout côté car les mystiques sionistes du «grand Israël», confortablement installées dans le gouvernement actuel de Netanyahou, sont des excités habités par une mission messianique et vont brouiller d’abord et mettre échec ensuite «cette» trahison de Netanyahou. Tout ça pour dire que le peuple palestinien n’est plus une population de réfugiés et sa posture de combattant debout n’est pas étrangère à la potentielle guerre civile larvée actuelle entre les deux faces du sionisme, politique et religieux (voir mon article, Israël au bord de la guerre civile, du 13 mars 2023).
Le seul atout sérieux d’Israël serait de pouvoir lever son véto auprès des Américains contre l’Arabie qui ambitionne de créer une industrie nucléaire. Mais, là aussi, Israël n’a pas toutes les cartes en mains car son protecteur américain agira en fonction de ses intérêts dans la perspective de la grande confrontation avec la Chine, présente dorénavant dans les mers du Golfe, pas très loin de son île de Taïwan
Les Etats-Unis. En pleine guerre en Ukraine, les Américains ont d’autres chats à fouetter que de se mettre en mauvaise posture entre ses deux protégés, avec leurs demandes démesurées pour l’Oncle Sam. Comment Biden va-t-il répondre aux requêtes de MBS qui veut profiter de la situation internationale et de ses relations avec ces nouveaux «amis» russes et chinois ? On sait que MBS a opposé un «non» à Biden qui demandait une augmentation de la production du pétrole pour baisser le prix du baril. C’est plutôt une baisse de la production que MBS opéra en même temps que la Russie qui permit aux deux pays d’engranger des dollars à la suite de la flambée du prix du pétrole.
Quant à Israël, l’Oncle Sam ne sait pas sur quel pied danser avec un Netanyahou qui veut sauver son gouvernement composé de ministres racistes, dont l’électorat américain démocrate, et notamment les juifs américains, ne veut pas entendre parler d’un soutien politique à ce Premier ministre auquel les tribunaux de son pays demandent de rendre d’innombrables comptes.
Ainsi, les Etats-Unis ont intérêt à calmer la situation au Moyen-Orient pour s’investir en Ukraine et terminer la guerre sans une cruelle défaite, pour aborder la future confrontation clé avec la Chine dans de meilleures conditions.
Le fait que l’Iran et l’Arabie aient de bons rapports avec la Chine dérange les Etats-Unis et les oblige à regarder, à surveiller l’Arabie au lieu de la féliciter. L’Iran et l’Arabie, avec leurs ressources – gaz et pétrole –, leur position géostratégique dans le Golfe, ont à l’évidence plus de poids dans la conjoncture internationale actuelle que l’ami Netanyahou aux yeux de Biden, préoccupé par sa réélection en 2024. C’est cette prochaine élection américaine qui pourrait inciter Biden à concocter un accord a minima entre l’Arabie et Israël et de faire traîner la conclusion d’un accord. Biden sait que MBS peut attendre sa réélection pour entamer de vraies négociations et que, entretemps, Netanyahou serait bien obligé de patienter pour avoir sa «reconnaissance» par l’Arabie. Et cette attente n’est pas pour déplaire à Biden qui pourra ainsi bénéficier du vote des électeurs juifs américain. On voit bien que Biden, en mauvaise posture à cause de son âge, mais surtout face à un Trump, lui aussi en délicatesse avec la justice qui risque de l’envoyer en prison, s’accroche à la moindre chose pour gagner des points qui concourraient à sa réélection.
Voyons comment les membres de ce triangle Arabie-Etats-Unis-Israël vont exploiter leurs atouts dans la difficile équation où grenouillent dans le même sol boueux des «affinités» de l’entre soi et la «philosophie» de chacun pour soi. A l’évidence, ces acteurs doivent jouer finement, intellectuellement et politiquement pour concilier intérêts personnels et intérêts d’Etat.
Le prince MBS a des atouts que l’on a énumérés et qu’il a l’intention d’exploiter à bon escient s’il est bien entouré d’un appareil d’Etat compétent pour les affaires de sécurité nationale. Mais aussi pour financer de gros investissement pour construire sa cité des technologies du futur. Et ces deux objectifs, l’on sans doute incité à créer et vendre une image plus «sympathique», moderne de son régime. Il compte sans doute aussi sur deux gains politiques dans le rude conflit de la région.
Primo, la paix avec Israël contre un Etat palestinien votée par la Ligue arabe en mars 2007, sous l’égide du roi Abdallah, décédé en janvier 2015, l’oncle de MBS. Obtenir ensuite des Américains la création d’une industrie nucléaire. Ça serait un tour de force qui relèverait du «miracle» si MBS obtient un Etat palestinien. Ceux qui connaissent la vision et les prétentions du mouvement sioniste sur la Palestine depuis la déclaration Balfour, en 1917, jusqu’aux accords d’Oslo, connaissent l’art du mensonge du sionisme qui obtient par la force un gain qui lui sert de marche pour le suivant gain et ainsi de suite.
Bref, au regard de l’histoire du sionisme depuis le congrès de Bâle en 1897, MBS s’est lancé dans une aventure où il a plus de chance de dilapider son capital politique à un moment charnière du changement qui se dessine de nos jours dans le monde. Il doit savoir que le monde arabe a basculé avec la chute de l’empire ottoman (Première Guerre mondiale) et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ces deux ruptures historiques ont donné lieu à l’ébranlement du monde arabe féodal et à la naissance des mouvements nationaux de libération. Ces deux faits historiques ont fait chuter les monarchies (Irak, Egypte, Yémen, Libye) et ont éjecté le «vieux colonialisme de papa» du Maghreb et du Moyen-Orient. MBS n’ignore pas l’histoire de ces ruptures historiques et celles qui se déroulent sous nos yeux ne seront pas sans conséquences aussi dans le monde arabe.
Quant à Israël, il mesure l’importance et le poids économique de l’Arabie, mais aussi la symbolique d’être le pays de naissance de l’islam. Ça serait pour lui une victoire s’il arrive à se faire reconnaître par l’Arabie. Pourtant, l’enthousiasme n’est pas tout à fait au rendez-vous ; c’est plutôt la prudence qui se fait entendre. Outre la farouche et noble résistance des Palestiniens qui ne faiblit pas, les Palestiniens ont reçu le renfort du président iranien. Ce dernier, devant l’ONU, a dénoncé la trahison de la Palestine pour rappeler que le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Arabie ne signifiait nullement que son pays allait tourner le dos à la Palestine. Sous-entendu aussi, on ne restera pas immobiles face à la présence dans le Golfe d’un Etat qui organise chez nous des actes terroristes.
Ainsi, si jamais Netanyahou pose sa signature sur un accord où apparaissent Etat de Palestine et nucléaire, il aura aussi à faire «chez lui» à de solides obstacles. Les partis religieux et des partis politiques qui dominent l’Etat profond (armée et Mossad) feront éclater son gouvernement. Et, dans pareille circonstance, ce ne sont pas de nouvelles et énièmes élections dans un pays miné par un fait colonial irréductible qui le sortiront d’affaire. Même son armée surdimensionnée par rapport à sa population et grâce aux milliards de dollars américains ne peut que colmater les brèches. Mais jusqu’à quand ? C’est donc plutôt l’ombre d’une guerre civile que l’on voit se dessiner à l’horizon.
Ce sont les cerveaux de l’armée et des services de renseignement qui alertent publiquement ladite société. Voilà le tableau d’Israël de nos jours qui n’a rien à voir avec l’époque des accords d’Oslo. Ces accords ont mis à jour la vacuité de la signature de cet Etat. Et les accords d’Abraham ont montré la vanité des petites monarchies brassant du vent avec Israël, après avoir baissé pavillon devant le Hezbollah au Liban, et l’Iran allié de la Syrie en prise avec l’intégrisme financé et armé par les monarchies du Golfe.
On se souvient du Premier ministre libanais retenu en otage par l’Arabie Saoudite.
Quid des Américains ? Que dire des Etats-Unis qui ne peuvent pas être au four et au moulin avec la multiplication des zones de conflits – Ukraine, Syrie, Kosovo, Arménie/Azerbaïdjan, Niger, Mali, Burkina, etc. ? Heureusement pour eux, le tête-à-tête Arabie-Israël se déroule dans le champ diplomatique et, qui plus est, concerne deux Etats amis avec lesquels on peut se faire écouter et entendre sans avoir à utiliser les GI’s ou l’arme des sanctions. Il est évident que s’il y a accord Arabie-Israël, la grande Amérique tirera un bénéfice qui rejaillira sur Biden rudement concurrencé par Trump.
Comme on l’a vu dans le corps de l’article, les Américains se satisferont d’une entente sur un sujet secondaire du conflit, pour l’amplifier avec les tambours d’une propagande à leur service, en vendant la complexité (réelle) du problème qui interdit la précipitation pour éviter un échec catastrophique pour le Moyen-Orient.
Les perroquets habituels vont évidemment tirer des plans sur les comètes pour servir leurs maîtres ou satisfaire leurs fantasmes. Il vaut mieux ne pas aller plus vite que la musique car l’issue de la confrontation homérique en Ukraine et, demain, en mer de Chine changera du tout au tout l’air dans les relations internationales et le monde entrera dans une autre ère qui dira goodbye au gendarme du monde.
A. A.
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