Interview – Le rabbin Dovid Feldman : «Nous voulons la disparition d’Israël !»
En 2017, Algeriepatriotique avait sollicité le rabbin Dovid Feldman, leader du mouvement Netureï Karta International, au lendemain du vote par l’ONU d’une résolution interdisant la construction de colonies juives dans les territoires palestiniens occupés. Ce religieux juif antisioniste prédisait la «fin prochaine» du sionisme et souhaitait l’établissement d’un Etat palestinien à la place de l’Etat hébreu. Nous reproduisons l’interview qu’il avait eu l’amabilité de nous accorder et qui demeure d’une brûlante actualité.
Algeriepatriotique : Vous avez organisé une manifestation devant le siège de l’ONU en guise de soutien à la résolution du Conseil de sécurité condamnant les colonies israéliennes dans les territoires occupés. Trouvez-vous cette résolution suffisante pour faire plier l’entité sioniste ?
Rabbin Dovid Feldman : Nous espérons que cette résolution sera mise en œuvre, ce qui en pratique signifie que des pays du monde entier pourraient imposer des sanctions à l’Etat sioniste jusqu’à ce qu’il change de politique. Ce serait un appel au réveil aux sionistes pour se rendre compte qu’ils ne peuvent pas continuer à faire fi des normes morales de la communauté internationale, tout en continuant à profiter des milliards de dollars d’aide militaire. Nous espérons que ce sera au moins un pas en avant vers une Palestine totalement libre. Bien sûr, toute solution complète devrait prendre en compte tous les droits qui ont été spoliés, rétablir l’harmonie et, en outre, être en accord avec les exigences de la religion juive, qui dit que les juifs ne sont pas autorisés à avoir leur propre Etat.
Plusieurs dizaines de résolutions ont été adoptées et aucune n’a été respectée par les gouvernements israéliens successifs. Qu’est-ce qui pourrait contraindre Tel-Aviv à respecter enfin le droit international ?
L’une des raisons pour lesquelles les sionistes ne respectent pas le droit international est qu’ils savent que cela ne leur coûtera rien. Il y a aussi le fait que les pays qui les soutiennent, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont de grandes populations juives, et beaucoup d’entre eux sont les porte-voix de l’Etat sioniste et sont très actifs en politique. Les politiciens savent que pour être élus et rester au pouvoir, ils doivent être du côté des sionistes. Si nous réussissons à convaincre les juifs que l’Etat sioniste est contre le judaïsme et que ce n’est pas dans leur intérêt de le soutenir, et aussi les pousser à se joindre à ceux qui condamnent déjà les sionistes et disent au monde qu’ils ne représentent pas tous les juifs, je pense qu’à ce moment-là, les politiciens américains se sentiront plus libres de faire pression sur les sionistes pour qu’ils changent de politique.
Certains optimistes pensent que la question palestinienne enregistre des progrès au niveau des instances internationales (ONU, CPI, etc.). Etes-vous de cet avis ?
Oui, comme l’indique les innombrables résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU. Et ce vote du Conseil de sécurité, dans lequel même les Etats-Unis ont été plus ou moins passifs, est une étape importante. Avec le temps, le monde est devenu plus conscient de l’histoire de la Palestine, et cela se voit.
Comment vivent vos coreligionnaires opposés au sionisme en Palestine occupée ? Sont-ils persécutés ou sont-ils libres de s’exprimer ?
Ils sont sérieusement persécutés.
Les juifs qui appellent à la disparition d’Israël, Etat artificiel créé par les puissances occidentales, sont-ils nombreux ? Sont-ils organisés ?
Nous et d’autres juifs antisionistes demandons le démantèlement de l’Etat d’Israël, qui sera remplacé par un Etat palestinien. Il y a beaucoup de juifs qui voudront partir volontairement, dans une situation pareille, mais je suis sûr qu’une grande partie de la population juive voudra rester en terre sainte quel que soit le gouvernement qui la dirigera. Il incombera alors aux Palestiniens, en tant qu’habitants originaux de la terre, de décider quelle devrait être la composition de leur Etat, et je suis sûr qu’une solution pacifique pourrait être élaborée avec la communauté mondiale.
Mis à part le mouvement Netureï Karta International, dont vous êtes le leader, existe-t-il d’autres mouvements qui militent contre le sionisme ?
Je suis l’un des porte-parole de mon organisation, pas le chef. Certainement, il y a de nombreux groupes et organisations dans la communauté religieuse juive mondiale qui ne sont pas seulement opposés à Israël, mais se font entendre. Par exemple, les True Torah Jews (les vrais juifs de la torah) qui représentent le mouvement hassidique de Satmar. Ce mouvement compte plus de 200 000 membres dans le monde et a des représentations dans plusieurs pays. En général, la plupart des juifs, traditionnellement orthodoxes, sont opposés au sionisme et refusent de servir dans l’armée israélienne, ne célèbrent pas leur jour d’indépendance et ne hissent pas son drapeau.
Quelle influence exercent-ils sur les populations juives ayant choisi de vivre en Palestine occupée ?
Nos publications, nos discours et notre matériel pédagogique leur parviennent et avec des résultats positifs. Nous le savons grâce aux innombrables lettres de soutien venant des juifs de partout, y compris de Palestine, demandant souvent de l’aide pour localiser d’autres juifs ayant des idées semblables ou pour demander des sources que nous avons publiées.
Des militants antisionistes affirment que certains mouvements palestiniens et ONG antisionistes agissent comme une «opposition sous contrôle» et sont financés par des sionistes libéraux. Est-ce vrai ?
Nous n’avons aucune connaissance de ces mouvements, de leurs budgets ou de leurs motivations. Cependant, nous pouvons dire que nous sommes entièrement d’accord avec l’idée que pour rester indépendant, il est important de ne pas accepter le financement de l’ennemi. Nous le savons à partir de l’histoire des communautés traditionnellement orthodoxes en Palestine. La plupart d’entre eux étaient et restent opposés au sionisme, mais ceux qui ont accepté le financement du gouvernement étaient toujours plus enclins à céder à des questions idéologiques, puisqu’ils étaient devenus financièrement dépendants.
Quel est le degré d’autorité du lobby sioniste sur les dirigeants américains ? Est-il aussi puissant qu’on le dit ?
Comme je l’ai déjà dit, il est vrai que les politiciens savent que pour être élus et rester au pouvoir, ils doivent satisfaire les desiderata des sionistes. Mais nous pensons que cela est en train de changer, lentement. Tout d’abord, les opinions des juifs sont en train de changer : parmi les religieux, notre point de vue est devenu beaucoup plus répandu qu’auparavant, et parmi les juifs laïcs, le sionisme s’éteint. Les plus âgés l’appuient encore et ce sont eux qui dirigent l’AIPAC et autres, mais les juifs laïcs, plus jeunes, voient l’Etat d’Israël comme immoral et dangereux pour les juifs et les non-juifs.
Deuxièmement, au fur et à mesure que le conflit se prolonge et que l’opinion publique américaine se rend compte que les Israéliens traînent délibérément les négociations alors qu’ils construisent des colonies, ils sont plus susceptibles d’appuyer une action sévère de la part de l’administration américaine. Ainsi, par exemple, les sondages ont montré qu’une majorité d’Américains ont appuyé la décision du président Obama de ne pas opposer son veto à la résolution du Conseil de sécurité. Cela ne peut pas être nié car c’est l’action d’un président [sortant] qui n’a pas besoin de voix. Il a vraiment exprimé la volonté des Américains.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et M. Aït Amara
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