L’islamologue Baptiste Brodard révèle l’activisme social musulman en Europe
L’islamologue et sociologue suisse, Baptiste Brodard, a mis en lumière le travail associatif de la communauté musulmane en Europe, dans un livre qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan, intitulé L’action sociale musulmane, lequel traite de l’engagement communautaire, de la contribution caritative et de l’activisme religieux des musulmans en France, en Suisse et en Grande-Bretagne. L’action sociale musulmane, notion englobant tout engagement social et caritatif porté par des collectifs qui revendiquent un lien explicite ou indirect avec l’islam, couvre un large éventail d’activités, telles que la distribution de colis alimentaires aux familles précaires, les maraudes à la rencontre des sans-abris, le soutien scolaire, la prévention de la délinquance dans les quartiers difficiles, la médiation familiale, ou encore la lutte contre l’extrémisme violent.
A la croisée du travail caritatif, de l’activisme religieux et de l’empowerment communautaire, cette action sociale musulmane reste encore largement méconnue du grand public. Pour preuve, il n’existait jusqu’alors aucun livre en langue française qui couvre ce sujet d’une manière globale et détaillée, les quelques articles disponibles se rattachant à des aspects particuliers et locaux du phénomène de l’action sociale musulmane. En réponse à ce vide, cet ouvrage présente un véritable panorama de l’action sociale musulmane en Europe de l’Ouest en décrivant une quinzaine d’associations et leurs projets caritatifs. Sur cette base, le livre propose ensuite une analyse des enjeux actuels du développement et de l’affirmation de ce phénomène.
Fruit de plusieurs années d’enquête de terrain en France, en Suisse et en Grande-Bretagne, l’ouvrage présente plusieurs thèses fortes et inédites.
Premièrement, contrairement à nombre d’idées reçues, l’action sociale musulmane en Europe est le fruit d’initiatives autonomes, menées par des associations indépendantes vis-à-vis des mouvements islamiques dominants. Le développement récent de ce nouveau type d’associations en France, au tournant des années 2010, indique une certaine reconfiguration du paysage islamique, jusque-là dominé par de grandes organisations religieuses affiliées soit à des Etats étrangers, soit à des mouvements islamiques transnationaux. Ce premier point dément, sur la base d’arguments solides, la thèse d’agenda islamistes concertés qui utiliseraient l’action sociale comme un outil de propagande ou d’influence, comme tendent à l’indiquer certains chercheurs français, plus particulièrement dans le contexte géopolitique actuel.
Ensuite, l’action sociale musulmane en Europe inclut parmi ses bénéficiaires un public non-musulman, en faisant preuve d’impartialité et de neutralité. D’ailleurs, lorsqu’elles ciblent des publics communautaires, les organisations d’action sociale musulmane le font paradoxalement pour des considérations stratégiques liées aux opportunités de financement et de partenariat, et non pas pour des motivations d’ordre religieux.
En résumé, l’ouvrage se veut une contribution tant originale que nécessaire à la réflexion contemporaine sur l’islam engagé et sur le militantisme communautaire musulman en Europe, en explorant un acte d’investissement souvent négligé, voire oublié. Premier travail francophone qui présente un panorama «global» sur la question dans le contexte des pays ciblés – France, Suisse et Grande-Bretagne –, sa force réside notamment dans la densité et la diversité de ses données empiriques accumulées sur une période de plusieurs années, ce qui lui permet de présenter des thèses méconnues et inédites avec l’assurance d’une analyse rigoureuse et méthodologiquement solide.
Finalement, le livre espère contribuer à un éclairage «politique» nécessaire dans le contexte actuel, marqué par la méfiance vis-à-vis de l’engagement confessionnel dans l’action sociale, de surcroît lorsqu’il s’agit d’islam et, plus particulièrement encore, depuis le discours présidentiel français sur le séparatisme, en 2020.
R. C.
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