Interview – Michel Collon : «Les médias occidentaux sont vraiment lamentables»
Pour le journaliste et essayiste belge Michel Collon, «la peur a changé de camp» au Proche-Orient. Il relève qu’il n’y a pas que le Hamas qui a participé à l’attaque du 7 octobre dernier, contre les forces d’occupation israéliennes à l’intérieur du territoire ennemi. «Plusieurs groupes de la résistance, y compris des groupes laïques de tendance de gauche révolutionnaire» y ont pris part, assure-t-il, en qualifiant de «vraiment lamentable» la couverture des événements à Gaza par les médias d’un Occident qui est «tombé bien bas». Quant à la France, le glissement vers la dictature sous Macron est, selon lui, «hallucinant». Interview.
Algeriepatriotique : Que faut-il retenir de la situation chaotique qui prévaut au Proche-Orient actuellement ?
Michel Collon : L’histoire s’accélère et cela tout le monde le voit. L’histoire connaît un véritable basculement des rapports de force dans le monde. On l’avait déjà remarqué avec la Syrie, où les Etats-Unis et la France voulaient bombarder et ne l’ont pas fait. L’opposition de la Russie et de la Chine a bloqué cette attaque. Nous l’avons vu beaucoup plus avec l’Ukraine qui est une guerre provoquée par les Etats-Unis, mais où ils se heurtent à une opposition très forte. Ils avaient annoncé avec arrogance qu’ils allaient mettre la Russie à genoux, détruire son économie, l’isoler sur le plan international et, probablement, changer le régime et renverser Poutine, etc. Aucun de ces objectifs n’a été réussi. Ils sont engagés dans une guerre dont ils ne savent pas comment en sortir, pour emmerder, il n’y a pas d’autres mots, la Russie, ils ont sacrifié la vie de – les experts nous disent – quasiment 500 000 soldats de l’armée ukrainienne, le pays est terriblement affaibli, l’immigration, qui était déjà énorme, est massive.
C’est un désastre en tout point de vue, non seulement pour les peuples en place, mais même pour la domination mondiale des Etats-Unis. Leur guerre a provoqué le renforcement des BRICS et l’élargissement à toute une série de pays, pas forcément révolutionnaires, mais tous préoccupés de contrer la dictature mondiale des Etats-Unis, l’hégémonie de Washington. Clairement, le rapport de force est en train de s’inverser et cela va très vite. Nous l’avons prévu, au moment où arrivait l’Ukraine. Nous avons déjà eu des indices que différents acteurs du Moyen-Orient commençaient à regarder vers Moscou ou vers Pékin, commençaient à se poser des questions si les Etats-Unis allaient vraiment les protéger, s’il fallait continuer à se laisser piller par les amis et si un commerce plus multilatéral et plus équilibré ne serait pas plus intéressant et aussi des relations sécuritaires plus équilibrées.
Nous sommes en plein dedans et les Palestiniens ont, je pense, saisi le bon moment où l’empire est affaibli, où les Etats-Unis sont enlisés dans cette guerre contre une opposition internationale de plus en plus forte. Ils ont choisi le bon moment pour placer une offensive qui, au point de vue militaire et humain, est brillante et qui détruit complètement le mythe de l’invincibilité d’Israël. Quel que soit l’issue militaire immédiate, et nous savons que les sionistes ne reculent devant rien et nous pouvons craindre qu’ils vont commettre des massacres encore pires, l’espoir est revenu, la peur a changé de camp et c’est un message historique qu’Israël peut-être vaincu et qu’il sera finalement vaincu.
Que signifie la valse des principaux chefs d’Etat américain, allemand, britannique, français, etc., en Israël ? Est-ce vraiment pour apporter leur soutien au régime de Tel-Aviv comme le disent les médias occidentaux, ou pour demander à Netanyahou en off de mettre fin à sa «contre-offensive» sanglante à Gaza, selon vous ?
Je ne suis pas dans la tête de Joe Biden, heureusement. Je pense, d’après les observateurs des Etats-Unis, qu’il est inquiet doublement. Il est inquiet de voir Israël se faire isoler dans la région et que s’il y avait une bataille sur plusieurs fronts, Israël ne pourrait pas gagner. Il est là, je pense, pour, déjà, intimider les voisins et leur dire n’intervenez pas. Et, en même temps, il semble vouloir dire également à Netanyahou de ne pas aller trop loin, parce que si Israël se lance dans l’offensive terrestre, peut-il gagner ? Peut-il éviter de lourdes pertes ? Les experts militaires disent que ce sera, en tout cas, très chaud pour lui. Est-ce que le moral des troupes israéliennes va toujours rester aussi bon ? Tant que c’était relativement facile et qu’on pouvait écraser, humilier et mépriser les Palestiniens, ils devaient avoir un bon moral ou ne pas se poser trop de questions. Tant qu’ils ont des morts, des blessés et des otages, maintenant qu’Israël est un pays en crise car, il ne faut pas oublier qu’il y a un mois, une élite complètement divisée où les uns trouvant que Netanyahou devait être en prison et les autres trouvant qu’il est le seul à réaliser une nouvelle guerre nécessaire pour essayer, encore une fois, d’écraser les Palestiniens. Cette armée israélienne a-t-elle le moral pour continuer ? C’est une question à se poser. Et je crois aussi que les Etats-Unis et les puissances européennes ne savent pas très bien sur quel pied danser. D’un côté, ils veulent qu’Israël gagne, que les Arabes continuent à être soumis, en plus avec le pétrole et le gaz et dans la Méditerranée, l’enjeu est encore plus fort. D’un autre côté, ils ont peur qu’avec son arrogance et ses crimes, Israël s’isole complètement et qu’il devienne totalement indéfendable.
La clé de la situation est que l’opinion publique étasunienne et européenne intervienne beaucoup plus que maintenant. Dimanche passé, nous avons eu une très belle manifestation à Bruxelles avec des dizaines de milliers de gens, clairement un message de solidarité et d’espoir. Mais il nous faut beaucoup plus et je pense qu’il est temps de combiner les manifestations, la bataille de l’information avec la relance du mouvement BDS car nous avons vu McDonalds qui affichait fièrement son soutien à Israël. Je pense que plus aucun jeune, un peu conscient, ne devrait aller consommer chez McDonalds, en plus de la malbouffe. Il y a, également, une grande firme comme Carrefour en France et en Belgique qui a mis des panneaux en solidarité avec Israël, il faut boycotter Carrefour et toute une série d’autres firmes qui font du commerce directement avec Israël.
Toutes les grandes firmes pratiquement soutiennent Israël…
Oui, mais je pense que pour un boycott soit efficace, il faudrait cibler trois à quatre firmes et pas toutes. Il est plus efficace de prendre McDonalds, Carrefour et une autre.
Une propagande de guerre s’est mise en place dès après l’attaque du Hamas sur Israël. Pouvez-vous nous décrire la situation réelle qui prévaut au Proche-Orient actuellement ?
Au niveau de la propagande de guerre, le grand principe qui a été appliqué est d’inverser l’agresseur et l’agressé, à savoir, faire passer Israël pour la victime. Israël est la seule puissance coloniale militaire qui commet des massacres et qui accuse ses victimes. La seule, non, mais c’est tout à fait un paradoxe flagrant qu’ils ont le culot de se présenter comme victime en plus. Au niveau des médias occidentaux, c’est vraiment lamentable. Nous sommes obligés de commencer par dire : oui, le Hamas est terroriste et Israël est une démocratie. Comment présenter comme une démocratie un Etat qui est basé sur le vol de la terre, sur le fait d’avoir chassé par la violence la population et de continuer à la terroriser, il n’y a pas d’autres mots, en mettant des enfants en prison. Comment peut-on appeler cela une démocratie ? L’Occident est tombé très bas.
Quelle lecture faites-vous de l’attaque d’envergure menée par les résistants palestiniens, une première depuis la guerre d’octobre en 1973 ?
Nous devons signaler qu’il n’y a pas que le Hamas qui a participé à cette attaque. Plusieurs groupes aussi de la résistance, y compris des groupes laïques de tendance de gauche révolutionnaire. Ils se sont tous coordonnés, ont eu des martyrs. C’est un mérite partagé. En fait, c’est la résistance du peuple palestinien avec un très large soutien, même dans d’autres courants politiques. Cela doit être dit. Sur le plan militaire, comme je l’ai dit précédemment, c’est une opération brillante qui les a pris par surprise, leur a infligé une humiliation. Cela montre une chose que nous avons toujours dite, mais nous avions du mal à être crus. Nous pouvons être intimidés par les puissances impériales parce qu’elles ont des armées très forte, beaucoup d’argent, des technologies, des experts et c’est clair qu’elles peuvent faire très mal, mais, au final, ce n’est pas l’argent et les armes qui sont décisifs, c’est toujours la volonté d’un peuple. Nous l’avons déjà vu dans l’histoire avec les révolutions populaires, en Chine et au Vietnam, à l’époque. Un peuple, même les pieds nus et sans armes sophistiquées peut toujours venir à bout d’une puissance impériales, parce que il a la vérité et le droit de son côté.
Israël a-t-il été surpris par l’offensive du Hamas ou a-t-il, comme le disent certains, laissé faire pour justifier une invasion terrestre et une occupation de Gaza ?
On discute beaucoup là-dessus et, évidemment, je ne suis pas dans le secret, je ne vais pas dire le secret de Dieu, mais le secret des criminels et, donc, nous ne pouvons répondre. Il y a des indices évidemment que cette attaque ne pouvait pas être totalement secrète. Il y a eu des répétitions, des exercices. Il y a eu des avertissements venant de l’étranger. Peut-être que Netanyahou savait, mais il a jugé de laisser faire et l’utiliser comme prétexte pour se maintenir au pouvoir. Il était très contesté et, maintenant, on est obligé de le soutenir. Seulement, je ne pense pas qu’il s’attendait à une telle humiliation et une telle démonstration de la vulnérabilité de son armée. Il faudra un certain temps, comme toujours, pour apprendre toute la vérité sur les aspects militaires et les aspects secrets.
Un institut israélien spécialisé dans la sécurité nationale a révélé un plan de migration forcée des Palestiniens vers le Sinaï égyptien. Est-ce une option plausible, selon vous ?
C’est clair, depuis le début. Il suffit de voir les déclarations de Ben Gourion et de tous les dirigeants sionistes historiques, ils ont toujours dit que le but était de vider la terre de Palestine de tous ses habitants, d’accaparer l’ensemble du territoire et même plus que le territoire de la Palestine, et qu’ils faisaient semblant d’accepter un accord de partage pour s’en servir comme base. D’ailleurs, quand vous regardez les cartes et que vous comparez depuis 1945, 1967 et aujourd’hui, vous voyez qu’on réduit la Palestine à des confettis. Bien-sûr que Netanyahou a ce plan et bien-sûr il faut y faire échec. Je pense qu’à notre niveau, ici en Europe, nous devons insister pour un cessez-le-feu immédiat et que Netanyahou cesse son agression.
Ce plan est-il soutenu par l’Occident ?
Oui, je le pense. Je ne sais pas si tous les pays occidentaux sont dans le secret. Il est évident que les Etats-Unis sont derrière, d’autant plus – je le rappelle – qu’il y a du pétrole et du gaz à hauteur de Gaza. C’est une raison de plus, qui n’existait pas au début, qui se rajoute à cela.
Beaucoup d’intervenants ne sont pas d’accord sur l’essence même du conflit. Certains affirment que c’est une guerre de religion, d’autres estiment que c’est une guerre de colonisation. Quel est votre avis à ce sujet ?
J’ai toujours dit que ce conflit est une guerre de colonisation. Israël est quasiment le dernier colonisateur de la planète. Nous pouvons rajouter le Sahara Occidental, mais ce n’est pas la même dimension. C’est l’essence des agresseurs : essayer de diviser les gens sur la base de leurs religions. Elle ne vaut rien, cette thèse. Premièrement, parmi les Palestiniens, vous avez des musulmans, des chrétiens, des juifs et des non-croyants. Je me réjouis que tous ces courants ou toutes ces convictions se rassemblent dans le respect, afin de mettre fin à l’agression. Et, de l’autre côté, il est absolument faux de dire que tous les juifs soutiennent Israël. Vous avez, d’une part, en Israël même et là il faut évidemment être très courageux, des gens qui s’opposent. Il y a des intellectuels et des jeunes militants qui s’opposent clairement et qui dénoncent, de la même manière que nous, le colonialisme et l’apartheid. Vous avez, en France et en Belgique, des organisations de juifs qui prennent position très clairement et qui dénoncent. Aux Etats-Unis, il y a des études faites par l’establishment, par les élites qui montrent que la jeunesse étasunienne se détourne d’Israël à cause de ses crimes. Israël un soutien plus faible et va avoir un gros problème car il a toujours essayé de faire venir des migrants pour garder une domination démographique, mais aujourd’hui, beaucoup de citoyens qui détiennent la double nationalité vont partir en se disant qu’Israël ne peut plus nous protéger, on retourne en Europe où aux Etats-Unis.
Comment voyez-vous la suite des événements ? Allons-nous vers l’escalade ou les deux parties l’éviteront-elle dans les jours à venir, selon vous ?
On ne peut pas savoir. Cela dépend de toute une série de facteurs dont nous ne sommes pas au courant et que nous ne maîtrisons pas. Quelle est la stratégie des Etats-Unis ? Jusqu’à quel point y a-t-il une unité en Israël autour de la méthode de Netanyahou ? Comment va se comporter l’armée ? Comment vont se comporter les Palestiniens ? Il y a les puissances autour. Est-ce que la Russie et la Chine vont peser pour arrêter l’agression de Netanyahou ? Les événements historiques ne sont pas déterminés à l’avance. Nous pouvons faire des scénarios possibles. Nous pouvons voir des tendances, nous dire que peut-être cela va se passer comme ci ou comme cela. Je pense qu’il faut être prudent et non pas fataliste. La question n’est pas de savoir qu’est-ce qui va se passer, la question est de savoir comment nous allons peser pour que cette agression s’arrête et pour que les puissances impériales en Europe et aux Etats-Unis cessent de soutenir un criminel comme Netanyahou.
Les Etats-Unis ont envoyé deux porte-avions vers l’est de la Méditerranée. Jusqu’où ira Washington dans son appui politique et logistique au régime de Tel-Aviv, d’après vous ?
Encore une fois, je ne peux pas vous répondre. Nous avons souvent vu aux Etats-Unis des dirigeants politiques extrêmement va-t-en-guerre, extrêmement aventuriers et agressifs et, parfois – je l’espère – des généraux du Pentagone qui leur disent «calmez-vous, on ne peut gagner cette guerre !», ou bien «la gagner dans l’immédiat va être pire après». Et, bizarrement, nous avons des militaires qui prônent plus la diplomatie que les dirigeants politiques.
A ce propos justement, comment jugez-vous l’alignement zélé de l’Occident sur les thèses israéliennes ?
C’est une honte. La France se prétend la patrie des droits de l’Homme, c’est une farce hallucinante. D’ailleurs, elle est en train d’interdire aux gens de prendre la parole pour la Palestine. Ils ont arrêté un de mes camarades, Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de la CGT du Nord, à 6 heures [du matin], parce qu’il a diffusé un tract en solidarité avec la Palestine. La France se prétend le modèle de la démocratie dans le monde et quand on n’est pas d’accord avec Macron, on finit en prison. C’est hallucinant.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi et Karim B.
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