Comment la résistance palestinienne a donné une leçon de stratégie à Israël
Une contribution d’Ali Akika – Quelle que soit l’issue de la séquence de la bataille du 7 octobre, on peut dire que la résistance palestinienne a d’ores et déjà engrangé un gain stratégique, suivi de multiples avancées tactiques sur le plan opérationnel et politique. Mais avant d’énoncer les facteurs de cet exploit sur le terrain militaire, je me dois de lister quelques faits historiques, politiques et géopolitiques rencontrés par la résistance palestinienne. Commençons par la conjoncture géopolitique et la servile propagande qui avait enterré la Palestine. Dans mon article «Duper c’est pas gagner» du 4 octobre 2023, je ne pensais pas voir le trio de la normalisation, Arabie, Etats-Unis, Israël, recevoir si vite le salaire de leur tromperie. Le présent article peut s’intituler «Résister c’est gagner». Dans l’exploit du 7 octobre 2023, entré dans la légende, les habituels perroquets d’une propagande plus débile que naïve ont ciblé et accusé, comme jadis durant la Guerre d’Algérie, la main de Moscou, qu’ils ont remplacée aujourd’hui par celle de Téhéran.
Leur sidération vient d’une profonde et rageuse impuissance de voir les «animaux» (1) leur administrer une leçon magistrale dans l’art de la guerre. Rien d’étonnant à leurs stupides comportements en raison de leurs esprits formatés qui ne leur permettent pas d’imaginer que dans la guerre, la victoire revient aussi à la parfaite exécution de tactiques sur le champ de bataille, selon le grand stratège que fut Napoléon. Et cette exécution a été l’œuvre non pas d’habitants de Mars, mais de cette terre martyrisée ô combien, et qui s’appelle Palestine. Laissons donc les bavards bavarder et intéressons-nous plutôt aux faits de l’histoire, à la résistance d’un peuple. Les Palestiniens dans leur lutte se sont donné les moyens politiques et ont acquis une intelligence stratégique qui a fini par avoir la peau des mythes de l’ennemi et du défaitisme des faux frères.
D’abord l’histoire. L’illusion de pouvoir effacer l’histoire par la force, la manipulation des faits, l’idéologie, même habillée de mots de la Bible, se sont fracassées contre la rébellion du temps qui sied à ceux qui savent attendre. Ensuite, l’opinion méprisable considérant un peuple comme une catégorie marchande qui troquerait sa conscience d’être historique contre les délices du dollar et des sandwichs McDonald’s. Tous ces fantasmes et autres balivernes ont été engloutis dans le trou noir d’où on ne revient pas et qui a pour nom le néant. A la place, nous avons vu surgir, le 7 octobre 2023, un peuple adossé à son histoire millénaire, dans sa terre couverte d’oliviers, un arbre symbole de vie, de sagesse, mais aussi d’une paix qui, hélas, se fait désirer encore et encore. Et c’est un rendez-vous, le 1er janvier 1965, date du début de sa lutte armée, que le peuple palestinien se rappela au bon souvenir d’un monde bercé par le stupide chant de la fin de l’histoire.
Mais ce monde qui se meure – j’écris bien «qui se meure» – en agonisant, croit benoitement (ça rime avec bêtement) que les Palestiniens seraient comme ce monde, des spectateurs de leur théâtre sirupeux où l’on cultive la complicité en ravalant sa dignité. Heureusement, pendant ce temps, la conscience palestinienne trempée dans l’acier, cristalline comme une pierre précieuse, a armé les Palestiniens de courage comme le 20 mars 1968. Ce jour-là, quelques centaines de fidayîn à Karameh (Jordanie) affrontèrent une armada israélienne dans une bataille qui se termina par du corps-à-corps. Ce fut, ensuite, le siège de Beyrouth, l’été 1982, où la rage et l’impuissance de l’armée réputée «invincible» se contenta d’encercler les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, en faisant faire le sale boulot par ses harkis phalangistes qui massacrèrent enfants, femmes et personnes âgées. Vinrent ensuite les intifada qui obligèrent Israël à déménager de Gaza en 2005. Et le 7 octobre 2023, fruit d’expériences militaires et politiques accumulées, fut une journée où les combattants de beaucoup, sinon de toutes les organisations palestiniennes (2) sortant de tunnels, rappelèrent au monde le douloureux souvenir de la nakba de 1948.
Depuis cette date, un peuple, installé en partie sur sa terre et les réfugiés éparpillés dans les pays voisins, se transforma en acteur sans qui aucune paix n’est désormais possible. Et pour arriver à cet objectif, les Palestiniens, forts de leur expérience et des pièges évités, mènent leur lutte de libération nationale. Ils adoptèrent la stratégie et les tactiques de la guerre populaire. Les Palestiniens ont fait évidemment leur l’art de la guerre de Sun Tzu, des théories de Clausewitz – la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens – et de l’apport théorique des Soviétiques, connu sous le nom d’«art opératif».
Avec la surprise (élément clé de l’art de la guerre) de la journée du 7 octobre, le franchissement d’une frontière militarisée unique au monde, les premiers résultats militaires et politiques furent engrangés le jour même. La sidération et le séisme qui ébranlèrent le monde en cette première journée, traduisaient un saut qualitatif de la résistance. Ce saut qualitatif a engendré une victoire stratégique car, pour la première fois, une bataille à grande échelle qui va s’étaler dans le temps se déroulait en territoire occupé. Un mythe venait de s’évaporer, la doctrine de la stratégie d’attaque d’Israël céda la place à une posture défensive chaotique, symbolisée par l’apparition tardive à la télé d’un Netanyahou qui avait perdu de son arrogance habituelle. La stratégie de l’attaque tant vantée, qui s’appuie sur l’aviation, laquelle était absente sur le champ de bataille, puisque celle-ci se déroulait dans des villes et villages israéliens. Elle gardait ses exploits en opérant du ciel, en s’acharnant sur Gaza.
A ces gains politiques et militaires s’ajoutait celui de la machine ô combien envahissante de la désinformation qui peinait à cacher l’ampleur de l’exploit du 7 octobre et ses conséquences politiques en Israël, déjà déchiré entre religieux et «modernistes». Mais l’effet le plus désastreux a vite gagné la scène internationale où la Palestine détrôna l’Ukraine. C’est dire la puissance du volcan que l’on croyait éteint en Palestine. Ainsi, le 7 octobre 2023 fit remonter à la surface les notions de la colonisation de la Palestine et, donc, la légitimité de son peuple à la résistance pour l’instauration de son Etat. L’exigence du droit international, que l’on réclamait pour l’Ukraine, secoua la torpeur de certains gouvernements et autres charlatans qui fournissent des astuces pour éteindre la cause palestinienne.
Rappelons la dernière astuce ou plutôt la vile tentative de faire sortir les Gazaouis de leur terre et de les installer dans le Sinaï. Les gogos d’un certain journalisme, par servilité ou ignorance, n’ont pas été choqués par la pratique du déplacement des populations palestiniennes. Remarquons aussi le silence sur les enfants palestiniens écrasés sous les bombes de cette diplomatie qui fait les yeux de Chimène aux puissants, mais délaissent les «parias» sans défense. Rappelons que la pratique de l’exode forcé ne date pas d’aujourd’hui. Deux villages où leurs habitants furent massacrés et terrorisés pour les inciter à fuir, Dar Yacine et Kafr Kacem (3) concentrent toute la tragédie palestinienne.
Je reviens à la stratégie à l’origine de l’exploit du 7 octobre, qui intégra l’art opératif que j’ai cité plus haut. L’art opératif donne la primauté au politique et à une méthode d’analyse de l’acte militaire où la tactique est au service de la stratégie. En terme simple, c’est le politique qui fixe les buts de la guerre. Aux combattants sur le terrain de manœuvrer tactiquement pour servir les buts politiques. L’histoire militaire nous apprend qu’une victoire tactique ne se traduit pas forcément par un gain stratégique. De lourdes pertes, dans la conquête d’un village sans intérêt tactique, ont pour effet de creuser des trous dans les effectifs qui, plus tard, seront engagés dans des batailles et lieux à haute valeur stratégique. L’exemple de Bakhmout, élevée au statut de ville stratégique puis symbolique pour alimenter l’imbécile guerre de l’information, est pour quelque chose dans le fiasco de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023.
Revenons à la Palestine. Qu’en est-il du rôle de l’art opératif dans la bataille engagée le 7 octobre ? La sidération provoquée dans le monde a atteint son but stratégique car l’adverse, quoi qu’il fasse, ne peut plus retourner la situation en sa faveur. Ainsi, le but politique fixé a rempli son rôle, celui d’avoir remis la Palestine au centre des préoccupations du monde entier. Ce but politique visait aussi à faire capoter le potentiel accord entre l’Arabie Saoudite et Israël.
Le 7 octobre a détrôné l’Ukraine qui est le cheval de Troie qui devait terrasser l’ennemi russe. C’est dire l’importance du combat des Palestiniens qui révèle à la fois la nature coloniale de leur problème, mais aussi la nécessité de sortir le monde de la loi de la jungle. Jungle que le «chef» de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, a désignée comme territoire des trois quarts de l’humanité, pour qu’il puisse jouir tranquillement de son paradis. Quant aux gains tactiques, ils sont nombreux. Invincibilité de l’armée d’Israël évaporée, le grand Israël du Nil à l’Euphrate, idem, une démocratie qui permet à des colons armés de chasser des paysans sous la protection d’une armée la plus «éthique» du monde ; bref, autant de mythes qui vont manquer à l’habituelle propagande. Les petits soldats de cette propagande se plaignent que leur version du bombardement d’un hôpital de Gaza n’ait pas emporté l’adhésion de l’opinion.
Est-ce trop leur demander de réfléchir sur le pourquoi de cette situation ? On sait que les mensonges provenant d’une même source, une fois leurs auteurs pris la main dans le sac, leur crédibilité est morte et enterrée. Quand bien même l’un des dits auteurs profère une vérité, hélas pour lui, elle rejoint le cimetière saturé de mensonges. Pour avoir réalisé un film sur la Palestine, je connais l’histoire de ces villages palestiniens sur lesquels on a planté une forêt et leurs populations ont été chassées et sont devenues réfugiées dans les pays voisins. Je citerai deux de ces villages, Dar Yacine et Kafr Kacem, présents dans deux films (2). Je fais cas de ces deux films qui symbolisent la tragédie du déplacement des Palestiniens de leur terre.
Aujourd’hui, l’armée israélienne «invite» les Palestiniens à partir de Gaza vers le Sinaï, l’image de Dar Yacine et Kafr Kacem m’a envahi et m’a fait tituber de colère. Je n’étais pas étonné par la nouvelle aussi vieille que la colonisation des terres de Palestine, mais par le silence honteux de ces journaleux dont certains, comble de lâcheté et de vassalité, laissaient croire que la non-générosité-humanité des pays arabes s’opposaient à l’accueil des Palestiniens.
Quoi qu’il en soit, en dépit de tous les mensonges et autres manipulations, les effets politiques de la bataille en cours a fracassé les accords d’Abraham, signés par des monarchies féodales pressées d’être admises par et dans le monde «civilisé» et paradisiaque de Borrell, pour bien se démarquer des «barbares». Israël aussi se vante de faire partie de l’Occident et à sa création, on l’affubla de porte-avions forteresse du monde «libre». «Nos» rois et émirs devraient revoir les cartes de la géopolitique car Israël et son porte-avions usé par le temps a dû demander l’aide de deux porte-avions américains. Et à Gaza, un peuple, dans un espace réduit de son territoire, s’appuyant sur le temps, un allié généreux, ce peuple attend. En face, une force mécanisée et des hommes armés jusqu’aux dents piétinent le sol d’impatience. Un rêve collectif né sur une terre que l’on n’a jamais quittée fait partie de la conscience historique d’un peuple. Le 7 octobre 2023 en est un des repères.
A. A.
(1) C’est le ministre de la Défense d’Israël qui traita d’animaux les Palestiniens. Il est certain que ces «animaux» qui résistent à son «invincible» armée ne vont pas cesser de hanter ses nuits. Son prédécesseur, Ariel Sharon, a eu la même «élégance» de vocabulaire en promettant de ramener Yasser Arafat assiégé à Beyrouth «dans une cage» en Palestine. Les mots et les langues chez les poètes grandissent les êtres. Mais dans la bouche des nains parlant des lions, les mots révèlent la noirceur de l’âme et la petitesse de leur esprit.
(2) Les projecteurs de la propagande ont été braqués sur le seul Hamas, alors que d’autres organisations participaient à la résistance.
(3) Kafr Kacem a fait l’objet d’un film de fiction du Borhane Allaoui (1974) et «L’olivier» (1973/74) du groupe Vincennes, dont je fus l’un des coréalisateurs. Nous avons filmé une séquence du village de Dar Yacine transformé en asile psychiatrique. Il a perdu et son nom et sa population.
Ndlr : Le titre est de la rédaction. Titre originel : 7 octobre 2023 : les mythes se brûlent aux feux de la résistance !
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