Retour sur l’année 1973 marquée déjà par le racisme pogromiste anti-algérien
Une contribution de Khider Mesloub – Comme vient de le rappeler récemment le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle, «la société française est raciste». Le racisme en France est protéiforme et structurel. Il s’exprime à la fois à l’échelle individuelle et systémique. Longtemps, jusqu’aux années 1960, le racisme revêtait un caractère expressément institutionnel. Il était étatique, notamment pendant la période coloniale, où le racisme était officiellement institué.
Aussi une société française qui a érigé le colonialisme en culture, encensé par l’éducation nationale, célébré par les expositions universelles, gravé dans le marbre judiciaire, symbolisé par l’abominable code de l’indigénat algérien, ne peut se défaire de sa mentalité raciste, de son système de pensée xénophobe, comme on peut le constater actuellement.
«Il coule dans le sang de mes veines la violence de mon père, sa rudesse, sa volonté féroce, une certaine cruauté même», a écrit la romancière française Katherine Pancol. Tel est résumé le tempérament d’une certaine catégorie de Français. Aussi n’est-il pas surprenant que cette culture de la violence française s’exprime également par un racisme décomplexé. Le racisme est le dérivatif idéel de la violence de cette France en pleine putréfaction morale et décomposition institutionnelle.
C’est dans cet environnement culturel imprégné par la violence institutionnalisée et le racisme structurel qu’ont baigné les enfants français pendant plusieurs siècles. «Quand on a rencontré la violence pendant l’enfance, c’est comme une langue maternelle qu’on vous a apprise», note l’historien contemporain Ivan Jablonka. La violence est le langage éternel de la France, la seule pédagogie dispensée au sein de la société. Les enfants de la République française s’en nourrissent abondamment. On peut en dire la même chose du racisme, cette seconde mamelle qui nourrit la France. Une France réduite aujourd’hui à manger, du fait de la crise économique, de la vache enragée. De là s’explique son ensauvagement.
Le racisme est ancré dans la société française. Il ne s’est jamais résorbé. Pour preuve, régulièrement, des faits divers racistes, parfois pogromistes ou meurtriers, viennent rappeler la prégnance de ce racisme en France, dont le meurtre de Nahel constitue l’illustration dramatique.
Le racisme est aujourd’hui revenu en force depuis l’élection de Macron. Notamment les crimes racistes qui ont toujours ponctué la vie ordinaire de la France durant les périodes de crise économique. En particulier dans les années 1970.
Ces crimes racistes s’amorcent en 1973, l’année de l’entrée de la France dans la crise économique. En effet, il y a 50 ans, au lendemain de la promulgation des circulaires Marcellin-Fontanet sur l’immigration, la France connaît une flambée de racisme, en particulier anti-algérien. L’année 1973 est marquée par un regain de la xénophobie visant la communauté algérienne. Durant toute cette année-là, la France est le théâtre de crimes racistes anti-algériens.
La crise pétrolière de 1973, conjuguée aux rancœurs héritées de la décolonisation, favorise les actes racistes, dont la communauté algérienne est la cible principale. Ratonnades, crimes racistes, attentats anti-algériens se développent avec une rare intensité.
Le climat xénophobe anti-algérien, attisé notamment par certains journaux et organisations racistes, dont le point culminant est incarné par l’attentat commis contre le consulat d’Algérie à Marseille, est tel qu’il contraint l’Etat algérien à suspendre l’émigration vers la France.
Pour rappel, cet attentat terroriste à la bombe est perpétré le 14 décembre 1973. Le bilan est lourd : on déplore 4 morts et 28 blessés, dont 14 graves parmi les membres du personnel consulaire. Il est revendiqué par une organisation se disant composée d’anciens Français d’Algérie, le Club Charles Martel, un groupuscule formé d’anciens membres de l’OAS et de nostalgiques de l’Algérie française. Dans un communiqué, ils déclarent : «Il y a plus d’Arabes en France qu’il y avait de pieds-noirs en Algérie. Ils nous ont expulsés par la violence, nous les expulserons par la violence. La lâcheté de nos pseudo-gouvernements est en cause. A bas la France algérienne !».
Curieusement, les auteurs n’ont jamais été identifiés. Cet attentat survient dans un climat de crimes racistes anti-algériens. A l’époque, déjà, la police, le gouvernement et les partis politiques classiques sont incriminés pour leur passivité, voire leur complicité. Pour sa part, l’ambassadeur algérien dénonce la complaisance du maire de Marseille, Gaston Defferre, et l’inaction de la police. Au plan diplomatique, les relations franco-algériennes se tendent en cette année 1973, en particulier au lendemain de l’attentat contre le consulat d’Algérie. Le président Houari Boumediene annonce alors la suspension de l’émigration algérienne vers la France.
Selon les spécialistes du racisme, ces événements criminels xénophobes et ces attentats terroristes anti-algériens, survenus au cours de l’année 1973, marquent la résurgence des tendances racistes de la société française, illustrées par la croissance exponentielle du parti d’extrême-droite de Jean-Marie Le Pen au cours des années 1980-1990, le Front national, un parti curieusement fondé fin de l’année 1972, le 5 octobre. Quelques mois après la création du parti, ses dirigeants commencent à se structurer en vue des législatives de 1973 et à réunir derrière une même bannière les groupuscules éparpillés de l’extrême-droite radicale, notamment les membres de l’Ordre nouveau et de l’OAS, des anciens de la Waffen-SS et organisations pétainistes.
Ils inaugurent l’ère de la décomplexion du discours raciste et de l’activisme «ratonnadier» (exactions violentes perpétrées contre les Algériens, les fameuses ratonnades) et de la désinhibition de la violence policière à l’encontre des populations immigrées issues d’Afrique du Nord, en particulier des Algériens.
A l’occasion de ce «jubilé» du racisme anti-algérien en France, fêté dans la jubilation par une partie de la population française après l’assassinat de Nahel, jeune lycéen d’origine algérienne tué par un policier à bout portant lors d’un banal contrôle routier, au point d’ériger une cagnotte en faveur de l’auteur du crime, nous allons nous replonger dans cette année 1973, date de l’inauguration de la haine xénophobe ordinaire et du crime raciste institutionnel contre les Algériens.
Paradoxalement, l’année 1973, à l’instar de celle de 2023, se singularise par une profonde et intense crise économique. Dans un contexte mondial marqué, déjà, par des conflits militaires impérialistes, notamment celui de la guerre du Kippour, déclenchée le 6 octobre, les pays exportateurs de pétrole (OPEP) décident, par représailles, d’imposer une réduction de la production pétrolière. Les prix de l’énergie aussitôt s’envolent. C’est le début du premier choc pétrolier, à l’origine de l’envolée de l’inflation et de la hausse vertigineuse du chômage. Et donc de la récession.
En France, l’affolement s’empare de la population : des rumeurs évoquent une immobilisation de la circulation automobile, une interruption du chauffage dans les hôpitaux, la ruine de l’activité industrielle. «C’est la faute aux Arabes», profère-t-on à tout bout de champ dans les chaumières françaises en proie à la frigorification de leur habitation et, par contrecoup, de leur cœur, désormais glacial, animé de haine raciale.
Néanmoins, il convient de souligner que ce racisme est distillé par l’Etat et les médias aux ordres. Ce racisme est, déjà à l’époque, encouragé par les médias dominants qui focalisent de façon maladive sur l’immigration à laquelle ils imputent tous les maux de la société française. Il est surtout alimenté par l’Etat français, notamment par la promulgation de lois anti-immigrés.
De manière générale, le racisme est toujours orchestré et instrumentalisé par les classes dirigeantes pour dévoyer le mécontentement social sur des boucs-émissaires vulnérables, victimes expiatoires.
En 1973, confronté à une grave crise économique, pour dévoyer le grondement de la colère populaire, troquer à bon compte la lutte de classe contre la «guerre raciale», le gouvernement Messmer, sous la présidence de Pompidou, ouvre délibérément les hostilités contre les immigrés par l’adoption de mesures strictes jugées racistes par l’ensemble des associations de défense des étrangers. Les immigrés sont jetés à la vindicte populaire, accusés de tous les maux. Notamment de «voler le travail des Français». Le gouvernement, face aux difficultés économiques, décide, par la circulaire Fontanet, de limiter dorénavant le nombre d’entrées officielles des étrangers, notamment des Algériens, dont le nombre est abaissé à 25 000, au lieu de 35 000. La circulaire Fontanet institue également une loi réservant certains emplois aux seuls Français.
Cette circulaire, jugée discriminatoire, ouvre la boîte de Pandore d’un climat raciste répandu au cours de toute l’année 1973, marquée par une grave crise économique. Une chose est sûre : si en période de prospérité économique le racisme atavique de certains Français tend à se mettre en sourdine, en revanche dès que la crise resurgit il refait surface, alimenté par les classes dirigeantes et leurs médias xénophobes incendiaires et pogromistes.
En 1973, la haine contre les étrangers explose contre les travailleurs immigrés «nord-africains». Notamment les Algériens, traités sans détour de «bougnoules», de «bicots». Outre les mots racistes, les Algériens subissent fréquemment des ratonnades, c’est-à-dire des passages à tabac entraînant parfois la mort.
L’apothéose culmine au cours de l’été 1973. Un climat de tensions haineuses explose dans le sud du pays. En particulier à Marseille et à Grasse, théâtres de violences et crimes racistes. Voire de terrorisme – le consulat d’Algérie est plastiqué. Pendant le mois d’août 1973, plusieurs ratonnades à Marseille font des victimes parmi la population algérienne.
En septembre 1973, dans un contexte de racisme de plus en plus décomplexé, l’hebdomadaire Paris-Match n’hésite pas à titrer un article consacré aux immigrés maghrébins : «Les Français sont-ils racistes, les “bicots” sont-ils dangereux ?».
Au plan littéraire et sociologique, c’est en 1973 que sont édités respectivement le roman de Jean Raspail, Le camp des saints, actuellement objet de vénération par la fachosphère – le roman décrit la submersion de la civilisation occidentale, la France en particulier, par une immigration massive venue du delta du Gange –, et le livre d’Alfred Sauvy, Croissance zéro, dans lequel plusieurs chapitres sont consacrés à la thématique de l’invasion de la France et de l’Europe par des populations étrangères.
A cette époque, de nombreuses villes sont recouvertes d’affiches collées sur les murs, signées «Ordre nouveau», portant le slogan : «Halte à l’immigration sauvage !». Les journaux rapportent abondamment et complaisamment de nombreux témoignages de Français racistes «excédés par la présence des immigrés» (sic).
Voici un florilège de ces propos xénophobes qui, actuellement, en 2023, refont surface, notamment depuis le déclenchement de la guerre d’extermination menée par l’Etat nazi d’Israël contre le peuple palestinien, guerre génocidaire cautionnée et soutenue par le gouvernement Macron.
«Ils envahissent la terrasse des cafés», «ils font du bruit la nuit», «ils regardent les filles bizarrement».
«Si ça continue, les enfants finiront par parler arabe ! Croyez-moi, il faudrait en tuer quelques-uns, ici ils sont les rois.»
«Envoyez votre fille à la porte d’Aix, elle se fera tripoter ou violer, allez-y vous-même et on vous volera votre portefeuille.»
«Les Français en ont assez de voir la lie nord-africaine envahir le pays, de voir des troupeaux d’Algériens errer dans les grandes villes en quête d’un mauvais coup. Les Français en ont assez de côtoyer la vermine, le vice et la syphilis.»
Quant au maire de Toulon, il déclare : «Les immigrés font peur, il n’y a plus de sécurité. Ils imposent leur mode de vie, ils tiennent la rue, disent des trucs aux femmes […]. La police refuse de patrouiller en basse ville.»
Pour sa part, le rédacteur en chef du Méridional, Gabriel Domenech, futur membre du Front national et ancien de l’OAS, farouchement opposé à toute présence algérienne en France, écrit dans un éditorial intitulé «Assez, assez, assez !» : «Assez de voleurs algériens, de casseurs algériens, de fanfarons algériens, de proxénètes algériens, de syphilitiques algériens, de violeurs algériens, de fous algériens. Nous en avons assez de cette racaille venue d’outre-Méditerranée. L’indépendance ne leur a apporté que de la misère contrairement à ce qu’on leur avait laissé espérer.»
Un membre du gouvernement, Marcel Pujol, suppléant du ministre Joseph Comiti, déclare à la presse : «Les immigrés finissent par croire qu’ils sont chez eux, ils alimentent la chronique du proxénétisme, du banditisme, ils sont à la charge du contribuable français.»
On peut considérer que, pour les Algériens de France, cette année 1973 fut l’année de leur «Saint-Barthélemy». L’année des massacres dont furent victimes des dizaines d’Algériens. Selon les sources historiques, notamment celles de l’ambassade d’Algérie en France, le bilan de cette année de la violence raciste et pogromiste perpétrée contre les immigrés algériens est dramatique. On a dénombré plus de 50 Algériens assassinés et près de 300 blessés. Au cours des seules années 1970-1990, on a recensé en France 731 crimes racistes, soit une moyenne de 27 crimes par an.
Pour conclure, paradoxalement, en fin psychologue et moraliste, c’est en 1973 également que le grand maître du chaâbi, Dahmane El-Harrachi, observateur avisé, édite sa légendaire chanson sur l’émigration (l’immigration) Ya rayah (Toi qui t’en vas), tube rendu internationalement célèbre par Rachid Taha.
Ainsi va la France pétrie de racisme, quand elle est empêtrée dans la crise économique. Elle se met à perpétrer des ratonnades, voire à se livrer à des pogroms. Notamment contre les Algériens.
1973, 2023 : deux dates imbibées de sang algérien. Deux époques imprégnées de xénophobie meurtrière anti-algérienne, sur fond de guerres génocidaires en Palestine occupée, du sionisme suprémaciste et sanglant. Le sionisme, ce suprême racisme des racismes, imprègne dorénavant l’ensemble de la société française, de la population jusqu’au sommet de l’Etat.
K. M.
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