Surenchère
Par Khider Mesloub – De nos jours, en France comme dans la plupart des pays occidentaux, avec les actes catégorisés, subjectivement et partialement, comme antimusulmans ou antisémites, on assiste à une surenchère de manifestations de colère exprimées sur fond d’antiracisme. Dans cette période de crise économique systémique, tout se passe comme si l’antiracisme et l’antisémitisme servaient d’instruments de diversion politique tendus par les classes dirigeantes pour dévoyer la colère sociale sur des revendications stériles communautaristes.
Somme toute, au lieu de dénoncer les violences sociales infligées à des centaines de millions d’individus, de toutes origines ethniques et confessionnelles, réduits au chômage ou mis en faillite, les «citoyens» atomisés, instrumentalisés par les médias stipendiés, sont invités à vitupérer contre la flambée du racisme antimusulman ou l’antisémitisme.
Au lieu de condamner et, surtout, de combattre le «racisme social» subi par des millions de prolétaires, réduits à survivre dans une société caractérisée par l’apartheid structurel capitaliste, incarné par les inégalités sociales et les discriminations résidentielles, la privation d’emploi et l’anémie nutritionnelle, les travailleurs, atomisés, sont invités à défiler pacifiquement dans la rue pour blâmer moralement le racisme ou l’antisémitisme, combat communautaire par excellence.
Au lieu de lutter contre la mise au chômage de plusieurs millions de travailleurs, réduits à survivre d’aides alimentaires, on invite la population à manifester contre le sporadique racisme ou l’imperceptible antisémitisme.
Ces dernières années, à la liste des traditionnelles communautés autoproclamées victimes de racisme ou d’antisémitisme, est venue se greffer une multitude d’autres lilliputiennes communautés, fabriquées pour les besoins de la cause. En effet, dans cette période marquée par la dépolitisation, on assiste à la surenchère de la victimisation communautaire, qui se traduit par l’enfermement des minorités soi-disant «discriminées» dans leur identité essentialisée.
Les oligarques de chaque supposée communauté, aux fins de capter l’adhésion de celles et de ceux qui se sentent discriminés, alimentent quotidiennement les divisions et les dissensions par une description de leur condition communautaire la plus sombre possible, propre à attiser l’exacerbation des ressentiments et, donc, des récriminations lucratives, des doléances compensatoires, des séparatismes communautaires rentables.
La classe dominante, faute de révolutionner les forces productives atones pour nourrir les travailleurs, transforme constamment sa sémantique pour les alimenter de termes euphémistiques nouveaux, afin de soulager sémantiquement leur souffrance. Illusoire moyen lexical littéralement créatif pour tenter de perpétuer son système d’exploitation en pleine déliquescence.
De nos jours, tristement assombris par le séparatisme, chaque communauté ou groupe identitaire, pour caractériser sa victimisation, se construit son néologisme fondé sur le même suffixe : phobie. Judéophobie. Arabophobie. Islamophobie. Homophobie. Chacun de ses termes désigne une forme spécifique de racisme, selon leurs sectateurs.
Par ailleurs, la victimisation est devenue un mode opératoire dans la guerre mémorielle lucrative. Dans une société capitaliste moderne ravagée par l’individualisme et l’anonymat, la victimisation permet de visibiliser son existence. Donc, d’obtenir une reconnaissance. Et, corrélativement, une réparation. Ainsi, la victimisation est un terreau fertile en matière de stratégies d’influence politique et de lobbysme lucratif.
Pour ce faire, chaque communauté se lance dans une surenchère de comptabilité des calvaires et de décompte des cadavres pour faire valoir son statut de victime exceptionnelle.
A notre époque caractérisée par une course effrénée à la victimisation, un communautariste juif brandira le lucratif paravent de la shoah pour s’estimer plus légitime à bénéficier des réparations pécuniaires et du respect dû à son rang de victime ancestrale d’antisémitisme. Mais il sera aussitôt réfuté par un communautariste africain qui se prévaudra de son passé marqué au fer rouge par l’esclavage et le colonialisme, pour lui ravir son statut de porte-parole des victimes. En embuscade, le communautariste musulman surgit à son tour pour disputer au juif et à l’Africain leur titre de victimes, et s’ériger en principal martyr des souffrances humaines contemporaines. Tapie dans l’ombre, l’identitaire féministe bondit hystériquement pour s’autoproclamer l’unique victime de toutes les discriminations. Posté à l’intersection des bifurcations identitaires, l’identitaire homosexuel se dresse à son tour pour s’attribuer le palmarès du statut victimaire millénaire.
Nous sommes ainsi entrés dans l’ère de la victimisation communautaire et identitaire.
K. M.
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