Détritus médiatiques
Par Khider Mesloub – En France, deux événements dramatiques d’importance inégale défraient, pour des motifs différents, la chronique ces dernières semaines : le génocide de milliers de Palestiniens et le meurtre du jeune Thomas, un lycéen tué à Crépol, dans des circonstances encore floues, selon le procureur. «Le scénario même des passages à l’acte, les mobiles et l’identification de tous les auteurs des faits ne sauraient se résumer à des dénonciations sans preuve, des spéculations ou interprétations hâtives», a-t-il souligné.
Ces deux drames enflamment diversement les réseaux sociaux. Les internautes investissent la Toile pour relayer des informations ou des vidéos, mais également pour livrer leurs commentaires indignés, compassionnels ou incendiaires. Voire pogromistes dans le cas du meurtre du jeune Thomas, accaparé politiquement par la fachosphère. Une fachosphère qui tisse sa toile sur la Toile. Mais également qui gagne ses galons parmi les fripons de l’élite culturelle et politique française.
Dorénavant, la fachosphère dispose d’une tribune libre sur les plateaux télé et les réseaux sociaux, où elle affiche son racisme pogromiste décomplexé en toute impunité.
A notre ère numérique, les réseaux sociaux offrent l’opportunité à tout un chacun de publier ses opinions ou de diffuser ses vidéos fraîchement enregistrées sur le terrain des opérations de la vie truffée d’événements pittoresques ou tragiques. Chaque badaud peut de la sorte se muer en «journaliste-reporter d’images».
A l’ère de l’information instantanée filmée, tout le monde peut visionner à sa guise des images sur Internet. Dans notre société du spectacle, le spectateur est roi et la société nue. Une société qui s’offre au regard curieux et concupiscent dans toute sa nudité sociétale et nullité culturelle.
Plus rien n’échappe à l’inquisitoriale caméra du smartphone embarqué, telle une amulette, par des milliards d’individus qui immortalise instantanément toute scène saisie sur le vif. Aux yeux de tout possesseur de smartphone, plus aucun événement n’échappe à son regard voyeuriste. Ou, plutôt, voyouriste, car, avec une indécente posture en violation de la vie intime, il peut voler des images de toute personne dans l’espace public.
C’est le propre d’individus habitués à vivre en spectateur de leur misérable existence et non en acteurs de leur destin social. Compréhensible pour des spectateurs dont le scénario et la réalisation de la vie sont écrits et décidés par leurs maîtres, détenteurs du pouvoir politique et économique. Eux, pour qui la filmographie existentielle est désespérément vide, faute d’avoir été les scénaristes et réalisateurs de leur vie, compensent leur vacuité par le visionnage de la vie des figurants de l’existence. On ne s’improvise pas acteur de sa vie, quand on a été réduit depuis sa naissance à occuper seulement les strapontins de la société. Quand on n’est pas résolu à déchirer l’écran derrière lequel se dessine et se trame en coulisses le scénario de la vacuité existentielle, viduité sociale.
Aujourd’hui, le moindre petit fait divers prend, par le miracle de la médiatisation à la solde, des proportions politiques. Le plus grave fait politique se retrouve, toujours par le miracle de la médiatisation politiquement soldée, réduit à la portion congrue (incongrue).
Cachez-moi cette infamie politique que je ne saurai voir ! Montrez-moi ce fait-divers pour nourrir mon affamée curiosité méphitique ! Tels sont les mots d’ordre des médias aux ordres. Des médias s’alimentant d’ordures. Et les lecteurs et les téléspectateurs, bien ordonnés pour ramasser les détritus médiatiques, se pressent pour fouiller dans les poubelles des médias de caniveau de quoi alimenter leurs bavardages, leurs baves de verbiages. En particulier de faits divers, métamorphosés par le miracle du démiurge médiatique en événements politiques.
C’est ainsi que la mort du jeune Thomas est devenue un drame national instrumentalisé politiquement. Et le drame international du génocide des milliers de Palestiniens ravalé à un ordinaire fait-divers oriental. Pire, en France «démocratique», il est interdit d’émettre le moindre commentaire sur cet «étrange fait-divers étranger», sous prétexte de risques de troubles à l’ordre public par l’importation de ce «conflit de voisinage entre juifs et Arabes». Ni d’organiser la moindre manifestation de soutien au peuple palestinien martyr, sous peine d’encourir des poursuites judiciaires pour apologie du terrorisme.
Un individu, accompagné de huit amis désœuvrés, commet l’irréparable dans une salle des fêtes à la suite d’une altercation anodine pour un motif futile, et voilà la classe politique et les médias qui montent aussitôt au créneau pour parler d’ensauvagement de la société, du fait des présumées origines arabes des présumés coupables.
Une armée de 400 000 soudards fanatisés sionistes livrant une guerre d’extermination, depuis deux mois, contre des populations civiles sans défense, la même classe politique et les mêmes médias français cyniquement parlent d’intervention militaire légale menée au nom du «droit de se défendre».
Dans le cas du fait-divers, on aurait ainsi affaire à un scandaleux acte sauvage qui mérite un châtiment exemplaire. En revanche, dans le cas de la riposte génocidaire israélienne, il s’agirait d’une légitime opération militaire démocratique menée par une «armée morale», un «Etat civilisé», qui mérite bienveillance et soutien inconditionnel de la part de la France.
Avec ce traitement différentiel des deux tragiques événements inégaux, la France vient de confirmer sa déshumanisation, son ensauvagement. Elle est tellement aveuglée par son racisme antimusulman et sa haine anti-arabe qu’elle est incapable d’avoir une vision géopolitique clairvoyante, un regard politique objectif sur les événements. Au point, par obscurantisme, de sombrer dans la fait-diversation (diversion) de la politique et la politisation mesquine des faits divers.
La France, en voie de déclassement et de paupérisation, en proie à la désaffection politique, scrute le moindre fait-divers, de préférence impliquant une personne d’origine maghrébine, pour tenter, sur le dos des Arabes et des musulmans «bouc-émissairisés», de redorer à bon compte le blason terni de ses institutions en déliquescence. De recréer une union nationale par l’instrumentalisation de la mort de Thomas et la néantisation du génocide des Palestiniens.
En Palestine occupée, les Arabes palestiniens sont exterminés pour permettre aux sionistes de régénérer leur mythique foyer juif antique. En France, on s’active à extirper de l’Hexagone les Arabes pour recouvrer la mythologique nation gauloise. Dans les deux pays, en France et en Israël, ce sont les mêmes idéologies suprémacistes et logique excommunicatrice qui sont à l’œuvre. La même banalisation du mal menée de concert.
M. K.
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