Israël dans la tempête, Netanyahou dans la tourmente
Une contribution d’Ali Akika – C’est dans les crises qu’une société montre son vrai visage, ses capacités et ses faiblesses. La guerre actuelle faite par Israël au peuple palestinien nous renseigne sur l’essence politique et philosophique de l’Etat installé en Palestine en 1948 et sur la société qu’il a engendrée. On nous présente et on vante la «démocratie» de cet Etat qui lui permet de s’arroger des droits sans limite et, donc, à ignorer et malmener l’autre, ici les Palestiniens (1). En revanche, cette «démocratie» prétend chez elle punir et juger ses citoyens quand bien même lesdits citoyens occupent des postes au sommet de l’Etat. Sauf qu’on constate que Netanyahou, depuis des années, traîne des casseroles de corruption et se fait pourtant réélire depuis 10 ans au poste de Premier ministre. Mais, aujourd’hui que son Etat est secoué par une tempête, il est pris dans le tourbillon des vents violents qui proviennent du 7 octobre, on lui promet déjà les pires sanctions sans être encore jugé. Jusque-là, en dépit de ses ennuis avec la justice et autres actes de terrorisme des colons qu’il protège, il ne désespère pas de pouvoir s’en sortir en rejetant la faute sur les services de renseignements. Accusation vite retirée de peur que sa situation tourne au vinaigre.
Aujourd’hui, on sait que Netanyahou s’était installé dans la bulle de son bureau pour ne pas écouter ni entendre les renseignements de son armée annonçant le séisme du 7 octobre. Cette surdité, mélange d’astuces politiques, d’incompétence et d’irresponsabilité, va lui être fatale, une fois la guerre actuelle terminée. Ça rappelle le cas de Nixon qui a commis des crimes sur la scène internationale (coup d’Etat au Chili), mais sera viré de son poste de président pour une faute de politique intérieure. Cette faute de nature constitutionnelle, appelée «Watergate», référence au vol de documents appartenant au parti démocrate, pilier de l’Etat américain et même de l’Etat profond, on le voit avec les ennuis de Trump.
Ce long détour est utile pour cerner le secret de ces «démocratie» qui commettent l’innommable comme les crimes qui se déroulent en Palestine. Là, les bonnes âmes ne laissent échapper pas même un soupir de regret et encore moins de honte. Et ces mêmes âmes ne comprennent toujours pas que les trois quarts de l’humanité ne croient pas à leur «démocratie». Et, dans leur naïve et stupide croyance, elles pensent (ces «âmes») être en droit de donner en plus des leçons à la terre entière. Ces bonnes âmes ne savent pas que tous les peuples aspirent à la démocratie – qui n’est pas une invention de l’Occident – et que ces peuples refusent simplement que la force brute ne donne pas le droit de bombarder un pays, ses habitants et qu’on déplace ces derniers.
Revenons à la tragédie palestinienne, la énième depuis 1948. Massacres et déplacement des populations font partie de la panoplie des tactiques d’Israël. Tactiques qui se résument à vider le territoire des populations autochtones et effacer toute trace de la société palestinienne et construire «tranquillement» un Etat, nation du peuple Juif. «Rêve» qui a été concrétisé par un vote du Parlement qui reconnaît, de facto et de jure, que les Palestiniens, devenus israéliens, sont exclus de cet Etat. Effacer toute trace de présence palestinienne, beaucoup de films ont montré de nombreux villages palestiniens ensevelis sous des forêts. Un autre village, Dar Yacine, tristement célèbre par le massacre de sa population en avril 1948, a été transformé en un asile psychiatrique. Dans le film L’olivier, dont je suis coréalisateur, l’équipe a filmé cet asile avec des patients errant, triste symbole d’une tragédie qui a transformé la vie bruyante et joyeuse d’un village en un lieu où règne un silence de cimetière.
Dans la volonté d’Israël d’effacer toute trace ou événement de cette terre conquise, on cacha à l’opinion les dessous de la conquête de la Palestine par le mouvement sioniste qui créa Israël. Cette ignorance est pour beaucoup dans la surprise et la sidération de la journée du 7 octobre, comme si l’événement était une chute d’un météorite. Le 7 de ce mois d’octobre a fait basculer Israël dans une tempête dont on veut empêcher les conséquences politiques sur la région. Comment ? A l’aide, depuis deux mois, de sauvages bombardements. Sauf que les féroces batailles menées contre l’ennemi ont fait de la résistance un acteur avec qui il faut compter, aujourd’hui plus qu’hier. Parce qu’il tire sa force et sa légitimité d’un peuple qui refuse de quitter sa terre, en dépit des massacres et de complicités internationales, à commencer par celles des faux frères.
Voyons pourquoi Israël veut, voudrait minimiser la journée du 7 octobre 2023, à défaut de pouvoir l’effacer. Les officines de la désinformation ont commencé par nier les compétences des Palestiniens pour désigner les «véritables auteurs» de cet exploit politico-stratégique, à savoir l’Iran, le cauchemar commun à Israël et les Etats-Unis. On est passé ensuite au scénario-piège au profit de Netanyahou, dont l’objectif est d’éradiquer les «terroristes» de Gaza. Eradiquer, verbe préféré de Netanyahou, pour redorer son blason et échapper à la justice qui lui colle aux baskets. Scénario vite oublié car on peut tout tolérer dans cette singulière «démocratie», mais jamais pardonner à quelqu’un qui a mis en péril la sécurité et l’existence de l’Etat. On est passé ensuite à un autre scénario dont l’auteur, s’il vous plait, est le New York Times, la fine fleur de la presse mondiale.
Ainsi, après l’épisode de l’Iran qui serait derrière l’exploit des Palestiniens, on a eu droit au scénario de Netanyahou, nous voilà en présence du «subtil» New York Times qui a ses entrées dans les temples des nombreux services des renseignements américains. Il a eu le scoop sur les méandres et labyrinthes d’un rapport sur le 7 octobre nommé «le mur de Jéricho». Ce dernier décrit la planification de l’opération du 7 octobre et les carences dans la transmission du plan des «terroristes» aux autorités compétentes. Le contenu du plan et les alertes portées aux oreilles des services des renseignements israéliens au plus haut niveau, conclurent au fiasco de l’appareil militaire et sécuritaire d’Israël. Pourquoi tout ce travail du New York Times ? Là, il faut interroger la tambouille de la cuisine américaine et israélienne, pour se débarrasser de Netanyahou, refusé par la majorité de la société israélienne, mais aussi un gêneur de l’Oncle Sam dans le domaine de la géopolitique.
Quand on sait les accointances du New York Times avec le parti démocrate américain (Biden) et la «gauche» israélienne anti-Netanyahou, on devine le but recherché par le Journal américain. Il faut dégommer Netanyahou qui abîme l’image d’un Israël «démocratique». Déboulonner Netanyahou de son siège arrange donc beaucoup de monde. Rendre Netanyahou seul responsable du fiasco du 7 octobre permet de sauver l’image de «l’invincible» armée et des «célèbres» services des renseignements du Mossad et du Shin Beth.
Mais il y a autre chose de plus important à sauver : mettre à l’abri la société israélienne hérissée de violentes contradictions qui rend cet Etat ingouvernable – 5 élections en 2 ans et manifestations monstres pendant un an contre la réforme de la haute cour de justice – qui fait craindre une guerre civile chez beaucoup de généraux de l’armée et des services secrets. Toute cette agitation vise un objectif de la plus haute importance politique et stratégique : faire en sorte que le 7 octobre s’efface des mémoires et dans l’opinion internationale, lui faire perdre son potentiel volcanique dans les rapports de force au Moyen-Orient. Hélas pour ces «spécialistes» qui s’échinent à effacer l’histoire de Palestine. Celle-ci est d’ores et déjà sur la table des futurs rencontres internationales. Ça ne plaît pas évidemment à Israël. L’idée de deux Etats avec Al-Qods comme capitale rend hystérique la quasi-totalité du Parlement israélien.
On aura remarqué que la création de l’Etat palestinien est discutée entre Occidentaux, avec l’appui, espèrent-ils, de ces Etats arabes féodaux ayant signé les accords d’Abraham. Encore un de leurs «rêves», après celui de battre la Russie en Ukraine pour se consacrer à Taïwan qu’il faut sauver de la Chine. Oui, un «rêve» car les Palestiniens, en dépit du génocide en cours, ne lâcheront pas la kalachnikov, leur étendard, parce qu’ils font corps avec la terre de Palestine qui nourrit le plus solide des arbres, l’olivier qui a besoin de peu d’eau pour fleurir et résiste à toutes les tempêtes. Tous ces «rêveurs», en faisant leur cuisine dans leur coin sur le statut de Gaza et des autres territoires de la Palestine, risquent de faire la même erreur que ceux qui ont déjà enterré une fois la Palestine et qui s’est réveillée le 7 octobre. Et de quelle façon !
Voyons à présent ce que raconte le champ de bataille. Après deux mois de guerre, les trophées que l’agresseur peut présenter sont les ruines de villes et de villages sous lesquels gisent, hélas, encore de milliers de morts palestiniens. Trophées de courageux aviateurs en sécurité dans leur cockpit en l’absence d’une défense aérienne. Trophées introuvables dans des hôpitaux à la recherche d’un quartier général de «terroristes». Bref, rien qui sera inscrit dans les annales de l’histoire, si ce n’est dans la rubrique des massacres, famine, épidémie, œuvre de l’armée la plus «morale» du monde. Car sur le champ de bataille lui-même, trente mille combattants résistent à un déluge de feu pour que l’infanterie ennemie avance sans trop de pertes. Mais, comme cette infanterie est transportée dans des engins blindés, des combattants sortant de nulle part réussissent avec roquettes à flamber lesdits engins. Alors, faute de présenter autre chose que des ruines de maisons et des terres de paysans labourées par les chars Merkava, la propagande encercle la maison du chef des «terroristes» à Khan Younès, qui doit les attendre pour boire le thé comme les perfides English qui leur proposent aujourd’hui de surveiller Gaza avec leurs avions. En vérité, la guerre qui est seulement un instrument parmi d’autres paramètres au service de la politique, est perdue. Le présent article en a aligné certains paramètres. Entre autres, le déchirement à l’intérieur du cabinet de guerre rapporté par la presse israélienne.
Un paramètre qui ne trompe pas, c’est le bombardement par le Hezbollah des troupes israéliennes installées dans une région vidée de ses habitants. Chaque jour cris et menaces adressés au Hezbollah qui continue à soutenir les Palestiniens. Bizarre pour un Premier ministre qui se vante de transformer le Sud-Liban en Gaza et Beyrouth en Khan Younès. Une décision irréfléchie, c’est toujours possible, sauf que le Hezbollah a plus de missiles dans son arsenal que la résistance à Gaza (2). Et si Beyrouth est rasée, Netanyahou sait que les tours de Tel-Aviv qui narguent le ciel vont aussi se transformer en tas de ferraille et de béton. Netanyahou est réduit à répéter la rengaine de «retenez-moi, sinon je ferais un malheur !» Sauf que Biden ne veut pas l’élargissement de la guerre car il tient à sa réélection. Quant au Hezbollah, ses dirigeants savent que ce sont des promesses sans lendemain.
A. A.
(1) Pujadas, dans LCI, a montré des images de l’armée israélienne qui a filmé des centaines d’hommes nus, assis dans une rue. Qu’ils soient combattants ou des civils palestiniens, les lois de la guerre interdisent d’humilier des prisonniers. De la part d’une armée qui bombarde villes et villages, engendrant des milliers de morts, rien d’étonnant. Mais qu’un journaliste se transforme en agent dans la guerre de l’information, ça n’a rien d’étonnant, non plus. On renvoie ce journaliste aux propos tenus à l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin sur la peur du monde des artistes et des spectacles d’émettre une opinion sur la Palestine. Le siège à LCI doit être bien chaud pour prendre des risques inutiles. Comme l’armée la plus morale n’a aucun trophée à présenter, elle fabrique des images de Palestiniens pour que les invités de Pujadas soient aux anges en cette triste conjoncture où leur héros ukrainien se dispute avec son chef d’état-major qui a annoncé au monde entier l’impasse de son armée. Impasse qui veut dire débâcle pour tout le monde, sauf pour les journaleux et les «experts» qui squattent tous les médias.
(2) Un général israélien a averti à la télé israélienne que c’est une folie d’attaquer le Liban, vu l’arsenal du Hezbollah.
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