Le 11 décembre 1960 : chronique annoncée de l’échec à la Pax Judaica
Une contribution de Khaled Boulaziz – «En somme, vous voulez faire un Israël français. C’est ce à quoi voulait me pousser Ben Gourion, quand il est venu me voir.» (Charles de Gaulle, en discussion avec Alain Peyrefitte, novembre 1961). Le discours du 16 septembre 1959 marque la première citation officielle de la part de Charles de Gaulle du concept d’autodétermination. Malgré des tentatives de négociations directes avec le GPRA, notamment lors des pourparlers de Melun, du 25 au 29 juin 1960, qui se soldent par un échec, le CNRA tient son congrès à Tripoli, du 18 décembre 1959 au 12 janvier 1960. A l’issue de ce congrès, la décision est prise de passer à la troisième phase de la révolution, caractérisée par une implication totale des villes algériennes. Il convient de souligner que la première phase fut celle de l’organisation et de la structuration de la révolution, suivie de la deuxième phase, marquée par l’amplification de la situation, tandis que la troisième phase se manifesta par un soulèvement d’envergure totale.
A l’approche de l’indépendance et dans la rancœur et la colère, suite à la perte de leurs immenses privilèges, les juifs d’Algérie rejoignirent en masse les rangs de l’OAS, l’Organisation de l’armée secrète, créée en février 1961 par Raoul Salan, Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde. Henri Chemouili fut la figure de proue de l’aile juive de l’OAS, tissant autour de lui un véritable réseau d’activistes éparpillés des deux côtés de la rive méditerranéenne. Il a participé à plusieurs actions violentes contre le FLN et les partisans de l’indépendance. Il a été arrêté en 1962 et condamné à mort, mais sa peine sera commuée en prison à perpétuité (1).
Dans cette conjoncture très particulière, les responsables politiques français, désireux d’éviter des drames aux Européens d’Algérie après l’obtention de l’indépendance algérienne, avancèrent l’option de la partition du pays par une «israélisation», la création d’un «Israël pied-noir», ou encore, selon les propres mots de de Gaulle, d’un «Israël français».
Nous sommes alors le 19 novembre 1961. Charles de Gaulle reçoit à l’Elysée Alain Peyrefitte, son plus proche collaborateur pour les affaires algériennes, pour évaluer son plan de partition de l’Algérie. Ce plan, plus que machiavélique, fut initié à l’instigation de David Ben Gourion lors de la visite qu’il effectua en France le 5 juin 1961, pendant laquelle le sort de juifs d’Algérie fut âprement discuté à la lumière des dispositions du protocole de Sèvres d’octobre 1956, toujours en vigueur à ladite date.
Alain Peyrefitte présenta son projet dans un rapport succinct (2), qu’on peut résumer en quatre principaux points :
– Regroupement de tous les Français de souche et les musulmans qui soutiennent la cause de la puissance coloniale entre Alger et Oran.
– Déplacement des musulmans qui préfèrent vivre dans une Algérie dirigée par le FLN vers le reste de l’Algérie.
– Maintien du libre accès au Sahara, en faisant de cette région un territoire autonome.
– Continuité dans la négociation ouverte pour le reste, avec la possibilité de diviser Alger comme Jérusalem, en créant des zones ethniques.
De Gaulle, bien que circonspect au début, a finalement accepté ce plan. Quelques semaines plus tard, il a pris sa décision :
– Rassemblement de force de tous les partisans de l’Algérie française, y compris les musulmans qui deviendront des citoyens à part entière, entre le Maroc et l’Algérie, sous administration des pieds-noirs.
– Le Sahara restera français.
– Faire d’Alger, de ses environs et d’une partie de la côte est, un Etat indépendant avec Alger comme capitale. L’objectif est de minimiser toute hostilité envers la France.
De Gaulle ordonna que ce plan soit élaboré dans le plus grand secret et de le déclencher par surprise début 1962.
La duplicité de Charles de Gaulle ne peut être pleinement appréhendée qu’à la lumière des événements qui ont voulu précipiter l’impossible division du pays. Il est important de rappeler les terribles exactions subies par la population algérienne à Oran, entre le 11 et le 12 septembre 1961, perpétrées par des milices armées juives. Cet épisode a revêtu une dimension insurrectionnelle, particulièrement marquée dans la seule ville d’Algérie à majorité pied-noir.
De plus, les actions de l’OAS marquèrent également un tournant avec les terribles attentats à la Casbah, le 10 décembre. Ce jour-là, l’OAS lance une série d’attentats à la bombe dans les quartiers musulmans d’Alger, causant plus de 60 morts et 150 blessés.
La résolution du FLN, incarnée par Abdelkader Chanderli (3), et en collaboration avec l’organisation intérieure, s’engagea résolument à contrer cette cabale. En cette fin d’année 1961, il capitalisa d’abord sur les grandes manifestions du 11 décembre 1960, tout en mettant en œuvre la créativité d’une diplomatie audacieuse et des initiatives directes envers la population algérienne au service de la cause.
L’année 1961 s’est révélée être un tournant dramatique dans l’histoire de la Guerre d’indépendance, infligeant un sévère revers à la politique de la Pax Judaica. Cette troisième voie, illusoire pour les Algériens, fut ardemment défendue avec hargne par ceux qui rêvent toujours du paradis perdu qu’est l’Algérie.
En soi, le 11 décembre 1960 a été une chronique annoncée de l’échec de la Pax Judaica, rendant l’indépendance de l’Algérie inéluctable malgré l’acharnement des ultras.
De Gaulle, épuisé par les événements, reprit les négociations en janvier 1962, en abandonnant cette troisième voie qui lui avait été imposée, en s’engageant pleinement dans le seul chemin possible : l’indépendance pleine de l’Algérie.
Mais tout ceci ne s’est pas déroulé sans la haine revancharde des juifs et des ultras de l’Algérie-française et leur politique de la terre brulée. Ceux-là mêmes qui orchestreront la déchéance humiliante de Charles de Gaulle du pouvoir et à jamais, six ans plus tard, un certain mai 1968.
K. B.
1) Il y a 60 ans : l’OAS en Algérie – La Revue d’Histoire Militaire
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