«L’arrivée» de Stora ou quand la France nostalgique prône la victimisation
Une contribution de Khaled Boulaziz – «Si toutes les routes mènent à Rome, toutes les critiques ne mènent pas nécessairement à l’antisémitisme.» (Dominique de Villepin à Attali, le 26 novembre 2023). Pendant que le monde entier s’est figé dans l’effroi quotidien, les yeux rivés sur les carnages en direct des Palestiniens, et tandis que la diplomatie mondiale danse la farandole pour extirper un semblant de trêve à Gaza, les médias français asservis ne dévient le regard que pour fixer l’Algérie. La compagne de dénigrement et de manipulation contre le peuple algérien et sa révolution bat son plein à une vitesse folle en cette fin d’année.
La publication du dernier ouvrage de Benjamin Stora, intitulé poétiquement L’arrivée (1), un écrit qui trône dans les librairies depuis déjà des mois, suscite toujours l’émoi au sein des grands périodiques et les réseaux sociaux à la solde du CRIF. Ce qui a été méticuleusement mis en exergue dans toutes les chroniques qui ont encensé ce livre, notamment celle du journal Libération du vendredi 15 décembre 2023, et celle de l’édition du quotidien Le Monde du jeudi 14 décembre 2023, c’est avant tout l’insistance sur la phrase évocatrice : un jeune juif déraciné. Quant à ce jeune homme, il n’est nul autre que l’historien Benjamin Stora, et le lieu de sa naissance, dont le destin l’a éloigné, réside en Algérie, plus précisément à Constantine, là où il a éclos et grandi avant de prendre le large.
L’arrivée de Benjamin Stora, c’est son propre récit à la sauce de jérémiades exacerbées, une plongée à rebours depuis son exode de Constantine, en Algérie, jusqu’à Paris, en France, entre les balbutiements de 1962 et la clôture fracassante de 1972. Dans ce fatras dégoulinant de pleurnicheries, une victimisation qui suinte à la manière du film Nuit et brouillard, l’auteur nous ensevelit sous mille et un détails, nous enterre dans la douleur et l’identité d’un gamin juif arraché brutalement lors des tumultes de la guerre d’Algérie.
Il décrit son enfance joyeuse au sein d’une famille juive bien intégrée, son exode hâtif au son des accords d’Evian, et son arrivée dans une France dont la réputation n’était guère hospitalière envers les rapatriés. On le suit également dans ses escarmouches politiques, virant résolument à gauche, ses amours et ses découvertes culturelles, pour finalement aboutir à sa destinée de devenir historien, un spécialiste de cette Algérie qui a laissé son empreinte indélébile sur sa vie. Ce n’est pas simplement son histoire personnelle qu’il partage, mais aussi des gémissements interminables sur un destin qui fut, prétend-il, meilleur que bien d’autres dans le tourbillon de la guerre entre la France et l’Algérie. Une histoire où se mêlent les litanies éternelles de son propre sort, tissées dans la trame des tourments vécus par tant d’autres dans cette guerre qui a laissé des cicatrices profondes en premier et d’abord sur le peuple et la nation algériens.
Stora se proclame comme l’érudit hexagonal incontesté de la guerre d’Algérie, mais avouons-le, son œuvre demeure plutôt quelconque comparée aux titans de l’historiographie de part et d’autre de la Méditerranée. A moins que l’on ne considère l’exagération médiatique dont il fait preuve comme un art dans lequel il excelle.
Certes, il s’adonne fréquemment à l’exploration des terres algériennes, plongeant dans l’histoire de l’Algérie sous le joug du colonialisme français. Cependant, l’accueil bruyant de son dernier ouvrage par la presse française suscite des interrogations légitimes quant à la nature de ce traitement. Est-il véritablement innocent, ou bien dissimule-t-il d’autres considérations dignes d’un examen et d’une réflexion approfondis ?
Le livre, sorti il y a quelques mois, narre une histoire, certes établie sur des faits consignés avec des dates. Entre ses lignes, le lecteur replonge sans fin, presque avec une indécence, dans la douleur d’une famille qui se prépare à quitter la terre qu’elle a foulée pendant des décennies. Pourtant, l’auteur de cet ouvrage, tout comme ceux qui ont œuvré à sa promotion, n’ont pas pris la peine d’éclaircir les motifs profonds de ce départ. De nombreux Européens et juifs sont restés en Algérie sans étaler leurs chagrins, vivant parmi les Algériens après l’indépendance et préservant leurs biens sans aucun souci.
Au sein des interrogations révélées par le journal Libération lors de la sortie du livre, on trouve ces perles : «Les juifs garderont-ils leur égalité de citoyenneté ? Quelle sera la destinée de la communauté juive dans ce tout nouvel Etat islamique indépendant ?»
Mais, en réalité, ces questions étaient simplement les préoccupations formulées par Elie Stora, le père de Benjamin, à deux militants du Front de libération nationale, confortablement installés dans un café de la charmante ville de Constantine, en avril 1962, autrement dit, après la signature de l’accord d’Evian et environ deux mois avant que l’indépendance ne soit proclamée.
Suite à cette discussion entre le père de Benjamin Stora et les hommes du Front de Libération, la famille juive prend la décision de rejoindre la France : «C’est réglé, on met les voiles. Ici, ce n’est pas sûr. Il s’est passé trop de choses. On ne peut pas vivre dans cette incertitude perpétuelle». Ces paroles échangées entre le père et la mère de Benjamin Stora laissent entrevoir qu’ils ont décidé de partir de leur plein gré, que personne ne les a sommés de déserter l’Algérie. Cependant, le problème semble plus profond, lié à des positions ambiguës prises par bon nombre de membres de la communauté juive d’Algérie, en optant pour un départ aux côtés du colonisateur oppressif, au détriment des citoyens du pays.
L’expression redondante du jeune juif déraciné revient de manière obsédante sur divers sites et journaux français pendant plus de deux mois. Une véritable performance, une tentative subtile de perpétuer cette notion d’oppression, où l’ennemi tout désigné serait bien sûr la horde d’Algériens sur les pas des hordes teutoniques.
C’est une affaire de marketing, un bizness de données fantaisistes, balayées d’un revers de main par l’histoire et réfutées par les faits sur le terrain. Mais qui a besoin de vérité quand on peut se régaler de clichés bien enrobés dans l’amertume de la victimisation ? Bravo, chapeau bas pour cette maestria dans l’art de la manipulation narrative !
Bien sûr, on ne voudrait surtout pas aggraver la peine insupportable de Benjamin Stora, lui, l’apôtre de la réconciliation mémorielle, en lui adressant nos remerciements les plus sincères pour son silence odieux sur les forfaits commis par ses coreligionnaires à l’encontre des Palestiniens. Un silence qui ajoute une note à cette symphonie de dénis et de faux-semblants.
K. B.
1) https://www.tallandier.com/livre/larrivee/
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