Pourquoi il faut dénoncer l’antisémitisme et combattre le sionisme politique
Une contribution de Mohamed El-Bachir – «Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens. Nous dansons entre deux martyrs et pour le lilas entre eux, nous dressons un minaret ou un palmier.» (1) Le 20 février 2019, lors du 34e dîner organisé par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron s’est engagé à intégrer dans les textes de référence une «nouvelle définition de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme» (2), tout en affirmant que «l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme» (2).
Un an auparavant, le 7 mars 2018, dans les mêmes circonstances, Macron avait déjà souligné l’engagement de l’Etat français contre l’antisémitisme, en déclarant que «la sécurité de notre allié israélien est une priorité absolue, elle n’est pas négociable, je le répète ici clairement avec la plus grande fermeté». (3)
Au 37e dîner, c’est le Premier ministre Jean Castex qui, au nom du président retenu à Bruxelles, engagea l’Etat français à bafouer le droit international en annonçant que «Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif, je n’ai jamais cessé de le dire» (4).
Le 8 février 2012, l’ancien président Nicolas Sarkosy avait tracé la nouvelle politique internationale de la France, en déclarant que «la France ne transigera pas avec la sécurité d’Israël, parce qu’Israël c’est un miracle» (5).
Et sous la présidence de François Hollande ? Les liens entre le Parti socialiste et le sionisme politique rendent tout commentaire superfétatoire.
De toute évidence, les différents dirigeants cités n’ont pas tenu compte de l’avertissement en 2003 du président Chirac, en des termes sans équivoque : «Il y a dix ans, je fêtais avec vous le demi-siècle du CRIF, et tous, nous étions alors animés d’un formidable espoir. C’était au lendemain des accords d’Oslo. Aujourd’hui, l’espérance a laissé la place au désarroi. Et il est difficile, dix ans après, de parler de cette cruelle impasse dans laquelle chacun s’est peu à peu tragiquement enfermé.» (6)
Au contraire, l’Etat français a relégué la question palestinienne au second plan en se soumettant à l’impérialisme israélo-états-unien. Soumission jusqu’au point de devenir, aujourd’hui, complice de l’Etat d’Israël. Macron télégraphiste de Netanyahu ? Par exemple, en envoyant l’ancien ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, secondé par le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Emié, pour faire pression sur le gouvernement libanais. Leur mission ? Créer une zone tampon au sud du Liban entre la ligne du Litani et la ligne bleue. Démilitariser le sud du Liban afin de rassurer les habitants israéliens des colonies limitrophes et jouer le gendarme d’Israël dans la mer Rouge aux côtés de l’impérialisme états-unien.
Le «miracle Israël» : coloniser la terre et expulser l’autochtone
Afin qu’Israël soit l’éternelle victime, il est nécessaire de commencer par introduire dans le langage, puis dans la loi, de nouveaux «concepts». Entre autres, «antisémitisme» et «antisionisme» doivent traduire la même signification, à savoir, le rejet du juif. Il va de soi que la population européenne et française, en particulier, est malléable sur cette question au regard de ce qu’a subi la population juive en Europe pogroms, camps de concentration, chambres à gaz sous le nazisme avec la collaboration de Vichy. La Chambre des représentants des Etats-Unis, début décembre 2023, a franchi le pas en approuvant une résolution établissant que l’antisionisme est synonyme d’antisémitisme.
Pourtant, quelques définitions suffisent pour lever toute ambiguïté. «Antisémitisme : racisme envers le sémite réduit à racisme envers le juif.» «Le sionisme politique aspire à la création, en Palestine, pour le peuple juif, d’un foyer garanti par le droit public.» (7) (Congrès de Bâle, 1897).
Une aspiration devenue réalité à partir de la déclaration du ministre britannique des Affaires étrangères, puissance occupante de la Palestine. Que propose la déclaration du ministre Lord Balfour, en 1917 ? «Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement d’un foyer national pour les juifs et fera tous les efforts possibles en vue de faciliter la réalisation de cet objectif, étant bien entendu que rien ne sera entrepris qui puisse causer un préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives existant en Palestine ou aux droits et au statut politiques dont jouissent les juifs dans n’importe quel autre pays.» (7)
Le «miracle» sioniste : l’enfer pour le peuple palestinien
Cette déclaration contient en elle une contradiction pour ne pas dire une aberration, puisque la population autochtone concernée et à laquelle on ne veut pas causer de préjudice, n’a pas été consultée. Bref, le sionisme politique n’est rien d’autre qu’un colonialisme dont la particularité par rapport à l’apartheid et aux colonialismes classiques est la suivante : coloniser la terre en déracinant l’autochtone. Arthur Koestler, sioniste de la première heure et compagnon de l’extrémiste sioniste Vladimir Jabotinsky, définit la déclaration Balfour dans son livre Analyse d’un miracle comme étant «un document par lequel une première nation promettait solennellement à une deuxième nation le pays d’une troisième nation.» (8)
Les conséquences sont évidentes. Les puissances coloniales aidèrent le mouvement sioniste à organiser l’émigration des juifs d’Europe et leur implantation en Palestine. Ce qui entraîna, évidemment, des révoltes de la population palestinienne à majorité paysanne, avec son point culminant : le soulèvement de 1936-1939 sous le commandement de Hajj Amin et Azzedine Kassem. Elle fut réprimée dans le sang par l’armée britannique avec l’aide des forces militaires sionistes, dont la milice Haganah. Hajj Amin fut exilé par la puissance mandataire. Azzedine Kassem fut assassiné durant le soulèvement palestinien. Aujourd’hui, l’une des forces de la résistance palestinienne à Gaza porte son nom.
En Cisjordanie, à Gaza, le sionisme continue son œuvre de déracinement et d’effacement d’un peuple de sa terre. Avec cynisme mais avec lucidité, Arthur Koestler qualifie Israël de «phénomène historique aberrant». «C’est, décrit-il, une espèce de monstre à la Frankenstein, conçu sur un bleu d’architecte et couvé dans les laboratoires de la diplomatie. Il existe en fin de compte grâce à un fait accompli dont la population indigène est la victime.» (8)
Un monstre à la Frankenstein que l’impérialisme occidental, les monarchies du Golfe et les Etats signataires des accords d’Abraham alimentent. Convergence stratégique : l’Iran et la résistance arabe, dont le Hezbollah est le fer de lance, sont en ligne de mire (9). Et l’avènement du royaume d’Israël ne peut advenir sans l’effacement politique du peuple palestinien. Au Moyen-Orient, le passé est toujours présent.
M. E.-B.
1) Mahmoud Darwich, La terre nous est étroite et autres poèmes, poésie, Galimard, p. 227.
2) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/02/20/antisemitisme-plus-jamais-ca
7) Yohanan Manor, Naissance du sionisme politique, collection archives, dirigée par Pierre Nora et Jacques Revel, Gallimard Julliard, pp. 112, 106, 26, 224.
8) Arthur Koestler, Analyse d’un miracle, Circé poche, pp. 31, 51, 52.
9) https://www.legrandsoir.info/l-iran-et-la-resistance-libanaise-en-ligne-de-mire.html
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