Dirigeants dangereux
Par Khider Mesloub – Dans le système de la démocratie formelle occidentale, mondialement répandu, la politique est l’art du changement dans la continuité. Des alternances sans alternative. De la mise en œuvre de la délégation des pouvoirs aux élites pour mieux assurer la relégation sociale du peuple. Son dessein n’est pas de permettre l’accomplissement optimal de la liberté et la concrétisation de la gouvernance des citoyens, mais de libérer les potentialités financières étatiques offertes au capital, aux fins de sa valorisation-reproduction, prenant la forme légale de l’enrichissement personnel. La politique obéit au marché et corrélativement aux mêmes règles que le marché. A l’instar de tout produit, la politique est une marchandise vendue dans un fracassant tapage publicitaire sur fond de campagne électorale racoleuse, mais sans obligation de résultat, puisque les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Aujourd’hui, en Occident, le délitement de la politique s’accélère au rythme de l’effondrement économique en plein déclin. Cette crise de la politique transcende les partis et les politiciens qui, à leur corps électoral défendant, la subissent. L’érosion politique, précipitée par la corrosion des institutions étatiques, est profonde, générale, structurelle. La politique est morte. Plus aucune politique ne parvient à offrir un avenir radieux, si ce n’est un radeau existentiel misérable dans ce naufrage tempétueux économique. Les programmes politiques n’enflamment plus les foules citoyennes, au point qu’elles ne déposent plus leurs espoirs dans ces urnes électorales, devenues funèbres à force d’enfermer leurs désillusions, les trahisons des candidats politiques.
L’abstentionnisme est devenu le premier parti politique remportant tous les suffrages des citoyens désabusés, abusés, usés par les politiciens rusés.
En dépit des campagnes médiatiques de propagande électoralistes, de culpabilisation des abstentionnistes, dans de nombreux pays, ces dernières décennies, les taux d’abstention ne cessent de croître. Et, concomitamment, d’accroître la délégitimation des gouvernants élus avec des suffrages ridiculement dérisoires.
Pour autant, malgré le harcèlement régulier électoraliste, aucune mesure politiquement persuasive ne parvient à enrayer le désintéressement de la population pour le cirque électoral, l’hémorragie abstentionniste. Ces deux dernières décennies, certaines élections attirent à peine 30% de votants. Cette forte augmentation de l’abstention reflète un désaveu total de la démocratie formelle bourgeoise, du système politique parlementaire et présidentiel occidental. Elle révèle surtout de la part des abstentionnistes une maturité politique quant à la facticité des échéances électorales captieuses.
A l’évidence, la supercherie de la démocratie parlementaire occidentale a été démystifiée : les abstentionnistes ont compris que, en matière électorale, les dés sont pipés, les parties – partis jouets – jouées d’avance. Car le véritable pouvoir décisionnel est concentré entre les mains de l’oligarchie économique et financière, et non entre celles de la classe politique stipendiée. Les Parlements sont devenus de simples chambres d’enregistrement des décisions dictées par le pouvoir économique et financier.
Par ailleurs, jamais dans l’histoire contemporaine les pays n’ont été gouvernés par des dirigeants aussi irresponsables que dangereux, aussi incapables qu’inutiles, aussi ridicules qu’insignifiants, aussi incultes qu’immatures, aussi cyniques que psychopathes, aussi bellicistes que génocidaires. Jamais les gouvernants n’ont sabordé leur pays avec tant de cynisme, précipité leurs populations dans la paupérisation et la détresse psychologique, au nom de l’économie capitaliste irrationnelle, activant principalement au démantèlement de tous les services sociaux et la destruction des moyens de production, exception faite des capitaux financiers des dirigeants en constante augmentation.
De fait, avec la crise économique systémique actuelle, le capitalisme est entré dans sa phase dégénérative. Il ne peut plus s’alimenter de la plus-value de ses exploités expulsés du processus de production en pleine déconfiture, ni nourrir, ni réchauffer ses esclaves salariés paupérisés, du fait des contractions salariales et restrictions budgétaires, de l’inflation spéculative et des pénuries alimentaires et énergétiques orchestrées par les puissants et les gouvernants.
De là s’explique la crise de gouvernance de la bourgeoisie, contrainte de perpétuer son règne par la terreur, faute de reproduction sociale immanente, provoquée par l’effondrement économique, l’écroulement de l’idéologie dominante consensuelle et fédératrice. Aujourd’hui, aucune politique économique, qu’elle soit libérale, social-démocrate ou stalinienne, ne peut redynamiser le capitalisme. Encore moins les subventions octroyées aux entreprises ou les infimes aides sociales distribuées parcimonieusement à la classe ouvrière pour la maintenir en survie.
Les patrons comme les gouvernants ont pris conscience de la gravité de la crise systémique, de la putréfaction de leur système. De là s’explique le durcissement autoritaire de leurs pouvoirs respectifs, au sein des entreprises comme au sommet de l’Etat. Des dirigeants patronaux et gouvernementaux contraints de régner par la terreur entrepreneuriale et le terrorisme étatique. Autrement dit, la gouvernance par la terreur, aux fins d’écraser toute velléité de contestation sociale, tuer dans l’œuf toute révolte insurrectionnelle, est devenue leur seule feuille de route pour, croient-ils, conjurer leur déroute.
Désormais, après la phase de militarisation de la répression exécutée avec des instruments de neutralisation technologiques rudimentaires par la police, nous entrons inéluctablement dans la phase de la répression militaire opérée avec des moyens matériels et humains exceptionnellement sophistiqués et meurtriers : la guerre de classes livrée par les gouvernants contre l’ensemble du peuple opprimé, précipité dans la misère, maintenu en survie par la charité étatique.
Au-delà de l’effondrement économique, nous assistons au krach du politique, matérialisé par la désaffection politique, la défiance des institutions, la discréditation de la classe dirigeante. En résumé, la crise de la gouvernance.
Avec le déclin du capitalisme, l’histoire s’accélère. Le capitalisme est la dernière société de classes, soumise aux lois aveugles économiques du libéralisme et à la paupérisation généralisée des populations. La décadence du capitalisme est celle de la dernière société de classes, fondée sur l’exploitation de l’homme par l’homme, soumise à la pénurie et aux contraintes de l’économie. Néanmoins la première à menacer la survie même de l’humanité par la guerre généralisée génocidaire en préparation, dont nous assistons à la «répétition générale» à Gaza, épicentre des massacres de masse perpétrés par les dirigeants occidentaux avec la complicité des gouvernants arabes.
K. M.
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