Du droit divin de tuer
Par Khaled Boulaziz – La question de l’identité d’Israël est au cœur du conflit qui oppose depuis des décennies cet Etat à ses voisins arabes, notamment les Palestiniens. Depuis sa création en 1948, Israël se présente comme l’héritier légitime de l’Israël biblique, le peuple élu de Dieu, qui aurait reçu la terre de Canaan en vertu d’une promesse divine. Cette revendication, fondée sur une lecture littérale et sélective de la Bible hébraïque, sert de justification à la politique expansionniste et répressive d’Israël, qui vise à annexer les territoires occupés et à nier les droits des populations autochtones.
Ainsi, les citoyens de Gaza, qui subissent un blocus inhumain et des bombardements réguliers, sont assimilés aux Amalécites, un peuple ennemi que Dieu aurait ordonné d’exterminer dans l’Ancien Testament. Cette vision du monde, qui repose sur une idéologie suprémaciste et exclusive, empêche toute possibilité de dialogue et de paix entre les parties. C’est pourquoi toute critique sérieuse d’Israël doit commencer par une analyse sans concession de la Bible hébraïque, qui révèle les contradictions, les ambiguïtés et les violences de ce Texte sacré.
La Bible hébraïque, aussi appelée Tanakh, est le recueil des textes fondateurs du judaïsme et du christianisme. Elle se compose de trois parties : la Torah (la loi), les Nevi’im (les prophètes) et les Ketouvim (les écrits). Ces textes, rédigés entre le Xe et le IIe siècles avant J.-C., racontent l’histoire du peuple d’Israël, depuis sa sortie d’Egypte jusqu’à son exil à Babylone, en passant par la conquête de la terre promise, l’instauration de la monarchie, la construction du temple, la division du royaume, les invasions étrangères et les réformes religieuses. Ils contiennent également des récits mythiques, des lois, des prières, des poèmes, des proverbes, des révélations et des visions.
La Bible hébraïque est un texte complexe, qui résulte de la fusion de plusieurs sources, de la réécriture de traditions orales, de la réinterprétation de textes anciens, de la projection de préoccupations contemporaines et de la manipulation idéologique. Elle n’est pas un livre homogène, mais un ensemble hétérogène, qui reflète la diversité des courants, des époques et des auteurs qui l’ont composée. Elle n’est pas non plus un livre historique, mais un livre théologique, qui vise à affirmer l’identité, la foi et l’espérance du peuple d’Israël, face aux défis et aux crises qu’il a traversés. Elle n’est pas, enfin, un livre intemporel, mais un livre situé, qui s’adresse à un contexte et à un public spécifique, et qui doit être replacé dans son environnement culturel, politique et social.
Une analyse critique de la Bible hébraïque permet de déconstruire les mythes et les préjugés qui entourent ce texte, et de mettre en évidence ses aspects problématiques. Par exemple, on peut mettre en exergue la légitimité de la filiation directe entre l’Israël biblique et l’Israël actuel, qui repose sur une généalogie réelle et une appropriation complète du nom d’Israël. En effet, le nom d’Israël désigne à l’origine un ancêtre mythique, qui aurait lutté avec Dieu et aurait reçu sa bénédiction. Ce nom est ensuite attribué à ses descendants, les douze tribus qui forment le peuple d’Israël.
Ce peuple connaît une histoire mouvementée, marquée par des alliances, des conflits, des ruptures et des mélanges avec d’autres peuples. Tous les rabbins affirment la continuité historique entre cet Israël ancien et l’Israël moderne, dans sa dimension de projet politique et colonial, soutenu par les puissances occidentales, et qui s’est imposé par la force et la violence sur la terre de Palestine. Il existe, par conséquent, une continuité religieuse, même si l’Israël actuel est un Etat laïc qui, quoi qu’on dise, respecte les lois et les principes du judaïsme, et qui discrimine grandement les autres communautés religieuses – musulmane et chrétienne.
On peut également remettre en cause la validité du modèle biblique, qui détermine dans une large mesure les projets et le comportement d’Israël. Ce modèle repose sur une vision du monde dualiste, manichéenne et belliqueuse, qui oppose Israël aux autres nations, et qui justifie la violence au nom de Dieu. Ainsi, la Bible hébraïque contient de nombreux récits de guerres, de massacres, de génocides, de pillages, de viols, d’esclavages, de déportations, de destructions, qui sont présentés comme des actes de justice et de salut, accomplis par Dieu ou par ses instruments humains.
Par exemple, le livre de Josué raconte la conquête de la terre promise par Israël, qui implique l’extermination des peuples autochtones, comme les Cananéens, les Amoréens, les Hittites, les Phéréziens, les Héviens, les Jébusiens, etc. Le livre des Juges relate les exploits des héros d’Israël, qui combattent les ennemis de Dieu, comme les Philistins, les Moabites, les Ammonites, les Madianites, etc. Le livre de Samuel décrit la fondation de la monarchie par Saül et David, qui mènent des guerres incessantes contre les nations voisines, comme les Amalécites, les Syriens, les Edomites, les Ammonites, etc. Le livre des Rois narre la division du royaume d’Israël, qui entraîne des conflits internes et externes, avec les rois de Juda, de Syrie, d’Assyrie, de Babylone, etc. Le livre des Chroniques reprend et amplifie ces récits, en insistant sur le rôle de Dieu dans l’histoire d’Israël, qui récompense ou punit les rois selon leur fidélité ou leur infidélité.
Ces récits, relus génération après génération par des rabbins fanatiques, correspondent à la réalité historique, dans une reconstruction idéologique, qui vise à légitimer la domination d’Israël sur la terre et sur les autres peuples. Ils sont conformes à l’éthique rabbinique et à sa morale particulière, qui privilégie les intérêts d’Israël au détriment des droits des autres. Ils sont enfin cohérents avec la politique sioniste, dans une conception erronée de Dieu, qui le réduit à un dieu national, tribal, guerrier, partial, vindicatif, qui soutient inconditionnellement Israël, quelles que soient ses fautes.
Une analyse critique approfondie de la Bible hébraïque et d’autres textes tels que le Talmud ne peut que confirmer de manière incontestable que le génocide actuel à Gaza trouve son explication rationnelle principalement dans les interprétations erronées d’un peuple qui, depuis des siècles, prêche être l’élu de Dieu et considère le reste de l’humanité comme étant là pour le servir.
Après plus de 100 jours de massacres à Gaza, les Palestiniens sont les témoins vivants de ce droit divin de tuer au nom d’une suprématie religieuse génocidaire.
K. B.
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