Droit international et ordre de puissance : un ouvrage de Hamid Boukrif

ONU droit international
Siège des Nations unies. D. R.

Par Mohamed Abbas – La lecture de l’ouvrage de Hamid Boukrif, universitaire algérien, paru aux éditions Ellipses, en France, interpelle par l’actualité de son analyse et la pertinence de ses conclusions. L’évolution des relations internationales, depuis le «nouvel ordre» projeté au lendemain de la première guerre du Golfe et la dimension juridique mise en avant pour justifier des postures géopolitiques diverses et des thématiques transversales qui intéressent, à la fois, les Etats et la communauté internationale dans son ensemble, sont si judicieusement répertoriées pour être au cœur de nombreuses interrogations. Et pour cause.

Le droit international, dont l’ambition est de servir de cadre de référence et de régulation des relations internationales est, aujourd’hui, l’objet de controverses et de contestations en raison de son dévoiement volontaire par les acteurs internationaux les plus influents. Il est devenu un plus alibi de légitimité qu’une option pour une ambition collective de refondation d’un ordre mondial équitable, bâti sur le progrès humain et une garantie de sécurité collective. Il est tout aussi loué que décrié lorsqu’il s’agit de conforter une position ou protéger des intérêts stratégiques, au détriment des principes fondateurs de la coopération pour le développement et la lutte contre la pauvreté et la marginalisation. Il est, enfin, volontairement édulcoré par les grandes puissances pour justifier un acte unilatéral qui met à la charges des pays du Sud global des obligations contraires à leurs intérêts et foncièrement réductrices de leur démarche de valorisation de leur potentiel humain, économique et culturel.

Depuis la fin de la bipolarité Est-Ouest et l’effondrement du bloc communiste, un segment de l’histoire, fondé sur l’idéologie et la théorie collective, a été remplacé par celle, plutôt volontariste, basée sur l’entrepreneuriat et l’uniformisation afin de favoriser l’expansion du capital et l’enracinement de la théorie libérale de l’économie et des échanges. La répartition spatiale qui en était issue obéissait à la force de pénétration des marchés au détriment de la redistribution et du développement humain. Le droit international classique a été, de nouveau, sollicité pour conforter cet ancrage et façonner ses normes sur cette posture, afin d’en faire un référent pour l’Occident dans ses relations avec les autres partenaires. En balisant la route et en encadrant l’acte de négociation, les grandes puissances ont réussi à élargir leur influence et à dominer leurs adversaires qui n’auront d’autres choix que de subir les nouvelles lois du marché, confortées par les crises récurrentes et les guerres périphériques.

La volonté d’enfermement par le droit et de contraintes par les menaces font l’apanage d’une légalité internationale utilisée comme un variable géopolitique au service de l’establishment économique et financier mondialisé. Ainsi devrait-on s’aligner sur un ordre directeur biaisé ou subir les contrecoups inhérents à toute position de principe dans un contexte de défiance à l’échelle globale. La notion d’intérêt, pour un Etat, est synonyme de positionnement stratégique en contrepartie d’une coopération substantielle fournie par un système financier clément par ses emprunts et flexible dans ses exigences. L’impunité des uns fait face aux injonctions faites aux adversaires déclarés, réfractaires à l’hégémonie et défenseurs d’une approche rénovée qui appelle à bâtir, de manière consensuelle, un nouvel ordre multipolaire.

C’est ainsi, selon Hamid Boukrif, que le processus de décolonisation a, progressivement, laissé place à d’autre modes de configuration des relations internationales par l’entremise du droit. Le Grand Moyen-Orient (GMO) est, à titre d’illustration, conceptualisé pour servir d’espace de domination par le biais de réformes politiques et de refonte du système éducatif, à l’image des valeurs de la société occidentale. L’objectif déclaré de démocratisation de systèmes politiques nationaux vise, en fait, à éloigner les futures générations de l’influence «terroriste» des idées panislamiques, qualifiées de menace à la sécurité collective et, par voie de conséquence, aux intérêts de l’Occident. L’élaboration d’un nouvel ordre juridique et institutionnel participe du maintien du statu quo, dans une région déstructurée, mais maintenue dans une relation de dépendance afin de conforter les assises de l’allié israélien. Cet objectif est vital pour prévenir de nouvelles alliances régionales, voire la formation d’un axe frontal animé par la Chine et la Russie par l’entremise de l’Iran et de ses relations tentaculaires dans la région. C’est dans cette optique que s’inscrit le retrait américain de l’accord nucléaire avec l’Iran, pourtant entériné par le Conseil de sécurité, et dont l’objectif est de maintenir une forme d’insécurité de basse intensité, alors que les perspectives d’une détente à l’échelle de la région ouvriraient la voie à une coopération multiforme basée sur des intérêts croisés.

Le revirement stratégique des Etats Unis, avec un nouveau paradigme d’endiguement autour de la Mer de Chine, constitue l’autre défi sécuritaire de ce début du troisième millénaire. Le droit international est, de nouveau, mis en avant pour revendiquer le droit de navigation dans les espaces maritimes ne relevant «d’aucune souveraineté». Les prétentions de la Chine, son ambition de sécuriser son périmètre stratégique et de se déployer dans sa profondeur géographique «naturelle» en Mer de Chine orientale sera, pour plusieurs décennies, le point de fixation entre les grandes puissances qui désignent l’Empire du milieu comme une «menace existentielle». La bataille est foncièrement géopolitique, axée sur le droit international, pour légitimer toute action extérieure et en faire un acte de légitime défense contre les menaces externes et les dérives des adversaires. Le souci de la Chine de se rapprocher de la philosophie du droit international classique est, in fine, une manière de confondre, à son tour, ses adversaires qui font des normes juridiques une lecture à géométrie variable et de leur application différenciée un fonds de commerce permanent.

L’auteur poursuit son analyse en relevant les facteurs de domination par le truchement du droit international. Les grandes puissances et les organisations régionales influentes, à l’image de l’Union européenne, imposent leurs normes juridiques dans tous les instruments juridiques et les conventions de coopération à charge pour les pays partenaires en développement de les transposer dans leur droit interne. Ainsi, progressivement, le droit communautaire européen devient partie prenante des législations des pays concernés par le biais des «accords d’association» qu’ils appliquent sans contrepartie pour la protection de leurs propres intérêts. Cette coopération, à sens unique, est orientée. Elle est basée davantage sur les conditionnalités et les contraintes que sur l’investissement productif et le partenariat intégré et utile pour l’économie des pays bénéficiaires. L’imposition de normes des droits de l’Homme et de la gouvernance démocratique comme critères d’éligibilité au soutien à l’économie, n’est pas moins une forme de domination par le droit applicable, selon les convenances des uns et les prédispositions au compromis des autres.

Enfin, l’auteur conclut son ouvrage en énumérant les conséquences des actes unilatéraux des grandes puissances qui arrivent à faire de leur législation interne un outil de contrainte internationale. C’est ainsi que Jérusalem est devenue la capitale «unifiée d’Israël» et le Sahara Occidental «partie prenante du Maroc». Par la volonté d’un acte juridiquement illégal et dénué de tout fondement éthique, des questions fondamentales sont dénaturées et des solutions légitimes retardées, voire remises en cause. La dimension politicienne de tels actes, au demeurant fortement préjudiciable à la cause commune de libération de la Palestine et du Sahara Occidental, n’en est pas moins révélatrice d’un «hold-up» assumé du droit international et d’une anomie propre à un espace fait d’injustices et de déni. Le droit international de la décolonisation, le principe du respect des frontières héritées aux indépendances et la légitimité des résolutions des instances des Nations unies, prises au nom de la communauté des nations, sont battues en brèche et délibérément violées par les apprentis défenseurs de la légalité internationale à géométrie variable.

Le rôle et la place mineurs des pays en développement et l’impact de l’instrumentalisation du droit international, qui vise à berner les opinions publiques des pays occidentaux, sont le prélude à un désordre qui se propage à travers le continent africain et les pays arabes qui souffrent, à la fois, des crises latentes et du terrorisme. La trituration de la paix et l’utilisation de tiers-Etats, dans le rôle de mercenaires des temps modernes, sont autant de facteurs à l’origine des souffrances des peuples et des retards dans les règlements pacifiques des différends, à l’image de la Libye, de la Syrie, du Soudan ou des pays du Sahel qui s’enlisent encore dans les crises de gouvernance et de réconciliation avortée.

Cette rétrospective d’un ouvrage généraliste, qui bénéficiera aussi bien aux juristes et analystes en géopolitique qu’aux étudiants, fait le constat d’une étape cruciale qui interpelle tant les défis, de nature différentes, agrègent les tendances maximalistes vers une ère de confrontation à grande échelle, sans outils d’arbitrage. Le droit international serait le plus indiqué.

M. A.

Comment (2)

    Le Chat Botté
    7 février 2024 - 3 h 53 min

    Le monde d’aujourd’hui se résume à la fable de J.de la Fontaine;
    Le loup et l’agneau.
    Avec comme moralité de l’histoire:
    LA RAISON DU PLUS FORT EST TOUJOURS LA MEILLEURE.

    A l’air Intéressant
    5 février 2024 - 16 h 37 min

    Ouvrage Disponible
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