Interview – Me Khadija Aoudia : «Israël a déjà perdu la guerre de victimisation»
Maître Khadija Aoudia, avocate franco-algérienne et bâtonnière du barreau de Nîmes, en France, a pris part au colloque international organisé par les avocats tunisiens sur l’agression barbare subie par les Palestiniens. Elle a bien voulu nous faire un compte rendu concis de ce rendez-vous et délivrer sa réflexion sur les crimes perpétrés par Israël à Gaza, à Rafah et en Cisjordanie, et les voies légales pour juger et faire condamner leurs auteurs. Interview.
Algeriepatriotique : Vous avez pris part, ce samedi 24 février, au Colloque international sur la Palestine et le droit international, organisé par le barreau de Tunis. Pouvez-vous nous faire un résumé de cette rencontre ?
Maître Khadija Aoudia : De façon liminaire, je voudrais saluer la qualité des interventions de mes confrères et m’incliner devant leur courage, leur pugnacité et leur compétence. Aborder juridiquement les crimes subis en Palestine en se dépossédant de tout affect dans un intérêt supérieur de la raison du droit international était un exercice intellectuel extrêmement difficile. Pour autant nécessaire. La raison doit gouverner les actions judiciaires, pas l’émotion qui contamine toujours la qualité des combats, aussi nobles soient-ils.
Force sera de constater que l’ensemble des intervenants et participants ont été à la hauteur de l’événement. Le colloque peut se résumer en deux parties : il s’agit dans un premier temps de poser factuellement un état des lieux de l’atrocité des crimes perpétrés à Gaza, les rapports de l’ONU et témoignages des victimes étaient les principales sources. Dans un second temps, il s’agit de motiver juridiquement les qualifications juridiques retenues pour saisir la CPI : génocide et crimes de guerre.
Vous avez livré une réflexion juridique sur les moyens d’action judiciaire à mener en France et sur le plan international devant toutes les instances judiciaires pour faire valoir la compétence universelle des Etats signataires, dont l’Algérie fait partie, pour poursuivre les criminels d’actes de génocide et crimes de guerre perpétrés en Palestine. Quelle forme ces poursuites prendront-elles ?
Les pays signataires peuvent faire valoir leur compétence universelle pour poursuivre à l’intérieur de leur frontière, conformément au droit interne, les criminels de guerre, pour des crimes contre l’humanité, tel que le génocide commis à l’extérieur de leur frontière. Exemple : l’affaire des frères Mohamed dans laquelle la France avait fait valoir sa compétence universelle pour les crimes perpétrés pendant la décennie sanguinaire en Algérie. Cette procédure permettrait d’obtenir des condamnations effectives avec mandat d’arrêt international.
De nombreuses plaintes ont été déposées devant la CIJ et la CPI. Pensez-vous que la multiplication des actions en justice pourrait contraindre enfin Israël à mettre fin à ses crimes à Gaza et en Cisjordanie ?
Israël a déjà perdu la guerre idéologique de victimisation. Il n’aura à terme pas le choix. Il est à préciser que la politique sioniste a aussi pour conséquence l’augmentation de l’antisémitisme et donc la division au sein de la communauté juive. De nombreux intellectuels dénoncent le sionisme comme leur nuisant gravement. La guerre psychologique est toujours lourde de conséquences. L’avocat doit continuer à se mobiliser et multiplier les actions judiciaires pour donner aux Etats les armes politiques pour parvenir à la cessation de l’atrocité de cette guerre. Je rappelle que l’espèce humaine est sacrée et donc inviolable. L’avocat, et c’est ce qui l’honore, demeure le défenseur du droit à la vie.
Les Etats-Unis viennent de bloquer un énième projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Quelle a été votre réaction à ce blocage qui donne carte blanche à Israël pour poursuivre ses crimes impunément ?
La position des Etats-Unis est insoutenable et contraire au droit à tous de vivre dignement.
Un large panel d’avocats s’est constitué pour porter plainte contre Israël auprès de la CIJ. Vous êtes-vous jointe à cette équipe qui s’est réunie à Alger ? Si non, pourquoi ?
A ce jour, je n’ai été saisie par aucune victime, association ni aucun Etat pour saisir les instances internationales.
Un dernier mot ?
Les combats les plus nobles sont toujours douloureux et impopulaires. Pour autant, il ne faut jamais reculer face à l’adversité. Ne jamais oublier qu’il n’y a rien de hiérarchiquement supérieur que le droit de vivre. C’est pourquoi j’œuvrerai sans relâche pour une justice terrestre plus humaine.
Propos recueillis par Karim B.
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