Interview – Pierre Stambul : «Israël nous fait revenir à la loi de la jungle !»
«Pour tenir le Proche-Orient, les Etats-Unis ont besoin d’Israël et des pays féodaux, patriarcaux et esclavagistes du Golfe», explique le porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), selon lequel, en bloquant le projet de résolution sur Gaza présenté par l’Algérie à l’ONU, «Joe Biden s’est tiré une balle dans le pied». «L’armée israélienne n’extermine pas seulement la population palestinienne, elle tue aussi le judaïsme et la mémoire du génocide nazi», estime Pierre Stambul. Interview.
Algeriepatriotique : L’armée sioniste a ouvert le feu sur une foule qui recevait de la nourriture, causant la mort de plus de 119 personnes. Comment peut-on expliquer une telle sauvagerie ?
Pierre Stambul : Les dirigeants israéliens ont théorisé le fait qu’il est «légitime» de tuer des civils, des femmes, des enfants, puisque, disent-ils, «tous les Palestiniens sont des terroristes» et «Israël a le droit de se défendre». La Cour internationale de justice a désigné nommément plusieurs dirigeants coupables d’appel au génocide. Si un peu de nourriture arrive dans le sud de la bande de Gaza, au nord et dans la ville de Gaza, l’occupant organise la famine. Tirer à partir de tanks sur des gens affamés, ça rappelle les pires moments de l’histoire de l’humanité. Les dirigeants occidentaux complices sont gênés. Faire semblant de ne pas savoir est de moins en moins possible. Et pourtant, ils ne font rien pour imposer le cessez-le-feu.
Le correspondant de l’UJFP écrit que «les pays qui envoient de l’aide attisent délibérément ce chaos»…
Les Gazaouis attendent une aide digne et organisée. Comme celle que, dans des circonstances très compliquées, le correspondant de l’UJFP parvient à organiser. Il est fondamental que le tissu social de Gaza se maintienne et que la société tellement résiliente de Gaza ne se désagrège pas. En lançant un peu de nourriture sans combattre la famine, en ne se préoccupant pas des conditions dans lesquelles cette aide va être distribuée, en transformant la population en mendiants, beaucoup de pays participent au chaos. Etre solidaire, ce n’est ni donner la charité ni lancer de la nourriture comme on n’ose plus le faire quand on nourrit les animaux. C’est organiser la solidarité avec la population.
L’espace aérien palestinien est interdit, mais l’aide des pays comme la Jordanie et l’Egypte est parachutée. Pourquoi ces actions sont-elles la cible de critiques ?
Ces pays seraient dix fois plus efficaces en rompant leurs relations diplomatiques avec Israël, et, pour l’Egypte, en cessant de participer au blocus de Gaza ou à l’humiliation des Gazaouis qui traversent le pays. Sans oublier que l’Egypte exige des sommes délirantes pour les Gazaouis qui parviennent à sortir. Jeter des colis par avion qui arrivent dans la mer, c’est une honte. Les pays voisins ont les moyens de s’impliquer dans une vraie solidarité et ils ne le font pas. Le monde arabe, politiquement, est un monde de vaincus, acceptant de collaborer avec un pays dont les dirigeants assument de commettre un génocide.
Selon l’Organisation internationale de Protection civile, le bilan final dépassera les 80 000 morts à Gaza, représentant environ 3% de la population…
On en est déjà à plus de 40 000 morts ou disparus. C’est comme s’il y avait 1 200 000 morts en France. Et on a toujours des dirigeants et des médias qui contestent le génocide en cours, qui continuent de ranger Israël dans le camp du «bien» dans leur «guerre du bien contre le mal» et qui parlent sans arrêt du «terrorisme du Hamas». L’armée israélienne n’extermine pas seulement la population palestinienne. Elle détruit totalement le droit international en nous faisant revenir à la loi de la jungle. Elle tue aussi le judaïsme et la mémoire du génocide nazi.
Israël semble avoir un plan qui vise à faire durer le conflit, bien qu’il soit quasiment impossible d’éradiquer le Hamas. Quel est le dessein de Netanyahou, son gouvernement et ses chefs de guerre ?
Netanyahou sait qu’il ne restera pas à la tête d’Israël et risque même la prison si les combats cessent. Il veut donc faire durer ce génocide jusqu’à l’élection de Trump. Cette guerre n’est évidemment pas une guerre contre le Hamas. C’est une guerre de destruction de la Palestine. C’est une tentative de réaliser une nouvelle Nakba. Dans le gouvernement Netanyahou, certains pensent que l’impunité d’Israël ne souffrira d’aucune limite et qu’il faut expulser les Gazaouis vers l’Egypte. Ce qui guide le sionisme depuis des décennies, c’est un maximum de territoires pour un minimum d’Arabes. D’autres veulent tuer et détruire bâtiments et infrastructures pour pouvoir confier ensuite la reconstruction aux milliardaires des pays du Golfe. Le nom de Mohammed Dahlan, connu pour sa corruption et pour le fait d’être l’homme des Emirats, circule. Continuer à parler du Hamas est évidemment une plaisanterie meurtrière. Il n’y a pas d’armée du Hamas. Dans les familles palestiniennes, il y a des membres de tous les partis politiques. Gaza, c’est le pluralisme et la diversité. Parler de «terrorisme du Hamas», c’est aider idéologiquement les massacreurs.
De nombreuses plaintes ont été déposées devant la CIJ et la CPI. Pensez-vous que la multiplication des actions en justice pourrait contraindre Israël à mettre fin à ses crimes ?
La justice internationale n’a pas les moyens d’imposer un cessez-le-feu. Et elle a souvent été une justice de vainqueurs comme dans le cas du tribunal sur la Yougoslavie. Mais il ne faudrait surtout pas minimiser l’impact de la plainte de l’Afrique du Sud. Elle montre que la prétention des Occidentaux d’incarner le droit est une escroquerie intellectuelle. Un pays du Sud, auréolé par sa victoire sur l’apartheid, rappelle à l’Occident ce qu’est le droit. L’image d’Israël, pays très mondialisée (15% de la population juive israélienne vit à l’étranger) est très fortement atteinte. Et cette perte d’image va provoquer une grave crise morale et économique.
Pour la CPI, la plainte a été relancée. Mais quand on sait que la première plainte date de 2009, on est quand même déçu par une lenteur qui a probablement d’autres causes que la stricte application du droit. Israël s’est toujours moqué du droit quand il n’était pas en sa faveur. Ainsi, il y a eu une condamnation au moment de la construction du mur qui balafre la Cisjordanie, ce qui n’a pas ralenti sa construction. Israël ne cédera que quand on cessera de lui envoyer de l’argent et des armes.
Les Etats-Unis viennent de bloquer un énième projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Quelle a été votre réaction à ce veto qui donne carte blanche à Israël pour poursuivre ses crimes impunément ?
Le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël a des raisons stratégiques. Pour tenir le Proche-Orient, les Etats-Unis ont besoin d’Israël et des pays féodaux, patriarcaux et esclavagistes du Golfe. Ces forces se sont alliées avec les «accords d’Abraham». Mais Biden s’est tiré une balle dans le pied. Malgré le danger que représente Trump, une partie de son électorat va le lâcher. Il y a un fossé qui s’est créé aux Etats-Unis entre une opinion publique qui ne partage pas ce soutien (et son coût) et les dirigeants politiques qui ont une peur bleue des chrétiens évangélistes. Biden se montre incapable de sortir du piège dans lequel Netanyahou l’entraîne. Sa responsabilité dans le génocide en cours est totale. Aux Etats-Unis, les manifestations restent massives pour la Palestine. Il leur manque un débouché politique.
Qui peut arrêter la furie meurtrière de l’Etat hébreu, l’ONU étant devenue obsolète ?
En Occident et dans les pays arabes, la société civile a une responsabilité. Elle seule peut contraindre les gouvernements complices à sanctionner Israël. Toutes les actions sont nécessaires : le boycott, le recours à la justice, les manifestations, les actions contre la présence israélienne partout : aux Jeux olympiques, à l’Eurovision, dans le sport, la culture, etc. Il y a un modèle : ce qui s’est passé autrefois contre l’apartheid sud-africain.
Vous pensez que les peuples du monde ont assez de poids pour démolir ce système sioniste qui les domine ?
Il n’y a que les peuples qui peuvent agir. En défendant la Palestine, on lutte pour soi, on défend le «vivre-ensemble dans l’égalité des droits». On défend le droit international. On remet à l’ordre du jour la liberté, l’égalité et la justice qui sont bafouées partout.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El Hocine
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